Sudan
Smoke is seen in Khartoum, Sudan, Wednesday, April 19, 2023. Terrified Sudanese are fleeing their homes in the capital Khartoum, witnesses say, after an internationally brokered cease-fire failed and rival forces battled in the capital for a fifth day. (AP Photo/Marwan Ali)/DV101/23109582682865//2304191815

Conflit au Soudan : « C’est la continuation de la guerre du Darfour »

Quatre ans tout juste après la chute d’Omar el-Béchir, destitué par l’armée après 30 ans au pouvoir, le Soudan plonge ces derniers jours dans le chaos. Des dizaines de personnes ont été tuées dans des affrontements entre l’armée et le puissant groupe paramilitaire dirigé par le général « Hemetti ». Selon le chercheur au CNRS Roland Marchal, la situation actuelle est une continuation de la « guerre du Darfour ». Entretien.
Rédaction Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

 

Depuis samedi 15 avril, de violents combats ont lieu à Khartoum et dans plusieurs villes du pays. Peut-on parler de guerre civile ?

On est en présence aujourd’hui d’une guerre entre deux corps armés. D’un côté, il y a l’armée régulière dirigée par le général Al-Bourhane, de l’autre les forces du RSF menées par le général Mohammed Hamdan Daglo dit « Hemetti ». Les deux militaires étaient jusque-là associés à la tête du régime.

Le général Hemetti a joué un rôle crucial dans l’arrestation d’Omar el-Béchir. Il ne veut plus entendre parler d’islamistes au pouvoir, alors que le général Al-Bourhane commande une armée qui n’a pas été purgée de ces éléments. Son projet est celui d’une restauration politique.

Est-ce la suite du conflit au Darfour ?

Hemetti est lui-même originaire du Darfour, et les milices qu’il contrôle sont en partie le produit du conflit dans la région. En un sens, il s’agit donc bien de la continuation de la guerre du Darfour. Le « débat » entre les deux généraux peut se résumer à qui aura quoi et qui gardera quoi en termes d’influence politique sur le pays. Mais on peut se demander quel rôle jouent actuellement les milices islamistes, qui apparaissent et disparaissent à intervalles réguliers de la scène politique et qui ont été écartées en 2019.

La communauté internationale a-t-elle échoué à accompagner la transition politique ces dernières années ?

Depuis la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019 la communauté internationale tente de construire un régime civil au Soudan. Des accords ont été signés entre l’appareil sécuritaire représenté par Hemetti et l’armée officielle contrôlée par le général Al-Bourhane. Les deux forces ont joué un rôle décisif dans la chute de Béchir, et étaient désireuses de se partager le pouvoir.

En octobre 2021, les deux hommes ont décidé de faire un coup d’état contre le régime civil naissant, et cela a entraîné l’arrêt immédiat de toute aide économique au Soudan. Dans les mois qui ont suivi, les désaccords entre Al-Bourhane et Hemetti se sont multipliés, notamment sur le type de transition civile qu’il convenait d’enclencher pour le pays. Aujourd’hui, le Soudan est à bout de souffle.

Plusieurs pays, dont la France, ont décidé d’évacuer leurs ressortissants. Quels sont les intérêts stratégiques de l’Europe et de la France au Soudan ?

Le Soudan est une économie ruinée. Il y a très peu de pétrole, les Soudanais vendent de l’or à raison de 90 tonnes par an, mais ce n’est pas un élément déterminant des prises de position internationales. Pour les Européens, il s’agit de garder un œil sur les migrants d’Érythrée et d’Éthiopie qui traverseraient la région. Le chaos au Soudan posera des problèmes au Tchad, qui représente un intérêt stratégique pour la France. Mais dans l’ensemble, il s’agit simplement d’un pays de plus qui s’effondre dans le monde.

Le Soudan fait partie des pays sur lesquels la Russie tente de maintenir son influence. Quel rôle joue Moscou dans la situation actuelle ?

La Russie suit les évolutions de près car Moscou possède une base militaire sur la mer Rouge. Vladimir Poutine entretenait de très bonnes relations avec Omar el-Béchir. Il est parvenu à garder un bon contact avec les deux généraux qui se disputent actuellement le pays. Je reste néanmoins sceptique sur le rôle militaire que joueraient ou pourraient jouer les groupes paramilitaires russes dans le conflit. Le seul intérêt des Russes aujourd’hui est de conserver leur base, peu importe l’identité de la personne à la tête du Soudan. A l’inverse, l’Égypte prend clairement parti en aidant l’armée soudanaise régulière, principalement pour des raisons historiques. Le Caire déteste prodigieusement Hemetti, qu’elle considère comme un gardien de dromadaires.

Quelle est la situation humanitaire sur place ?

Dans la capitale, Khartoum, il y a des problèmes graves d’accès à l’eau potable. Internet n’est pratiquement plus accessible sur l’ensemble du pays. Dans les provinces, la situation n’est pas plus réjouissante : l’économie est en voie d’effondrement, l’inflation est très importante. Le prix des biens de première nécessité a grimpé en flèche, pas seulement à cause de la guerre en Ukraine mais aussi en raison d’une inflation que le régime ne parvient plus à maîtriser car l’aide occidentale est suspendue depuis octobre 2021. Aujourd’hui, 1/3 de la population soudanaise a besoin d’une aide humanitaire d’urgence.

Partager cet article

Dans la même thématique

Trump vetoed Israeli plan to kill Iran’s supreme leader
5min

International

Conflit Israël-Iran : « Les militaires américains n’attendent plus que le feu vert de Trump pour intervenir en Iran »

Pour la cinquième nuit consécutive, Israël et l'Iran ont échangé des tirs de missiles. Mais tous les regards se tournent à présent vers les Etats-Unis. Alors que Donald Trump a quitté ce lundi précipitamment le G7, une participation américaine à l’offensive israélienne est-elle imminente ? Pour Public Sénat, l’historien et spécialiste de la politique américaine André Kaspi fait un point sur la situation.

Le

Conflit au Soudan : « C’est la continuation de la guerre du Darfour »
3min

International

Israël-Iran : Netanyahou « est très soutenu par son opinion publique, et peut avoir la tentation d’aller plus loin », analyse Jean-Louis Bourlanges

Invité de la matinale de Public Sénat, l’ancien président de la commission des Affaires étrangères a analysé le conflit qui secoue le Moyen-Orient depuis plusieurs jours, après les attaques israéliennes sur des sites stratégiques et militaires iranien, vendredi dernier. Pour Jean-Louis Bourlanges, Israël s’est trompé de méthode, et aurait dû engager des « négociations multilatérales ».

Le

Conflit au Soudan : « C’est la continuation de la guerre du Darfour »
3min

International

Conflit israélo-palestinien : Il y a une « élimination pure et simple de la population de la zone de Gaza », affirme Jean-Louis Bourlanges

Invité de la matinale de Public Sénat, l’ancien président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale a analysé la stratégie politique et militaire de Benyamin Netanyahou dans la bande de Gaza. Si Jean-Louis Bourlanges refuse de parler de génocide, il a dénoncé « l’élimination physique de la population de Gaza », et ce par « un instrument terrifiant, qui est la famine ».

Le