Sudan

Conflit au Soudan : « C’est la continuation de la guerre du Darfour »

Quatre ans tout juste après la chute d’Omar el-Béchir, destitué par l’armée après 30 ans au pouvoir, le Soudan plonge ces derniers jours dans le chaos. Des dizaines de personnes ont été tuées dans des affrontements entre l’armée et le puissant groupe paramilitaire dirigé par le général « Hemetti ». Selon le chercheur au CNRS Roland Marchal, la situation actuelle est une continuation de la « guerre du Darfour ». Entretien.
Rédaction Public Sénat

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Depuis samedi 15 avril, de violents combats ont lieu à Khartoum et dans plusieurs villes du pays. Peut-on parler de guerre civile ?

On est en présence aujourd’hui d’une guerre entre deux corps armés. D’un côté, il y a l’armée régulière dirigée par le général Al-Bourhane, de l’autre les forces du RSF menées par le général Mohammed Hamdan Daglo dit « Hemetti ». Les deux militaires étaient jusque-là associés à la tête du régime.

Le général Hemetti a joué un rôle crucial dans l’arrestation d’Omar el-Béchir. Il ne veut plus entendre parler d’islamistes au pouvoir, alors que le général Al-Bourhane commande une armée qui n’a pas été purgée de ces éléments. Son projet est celui d’une restauration politique.

Est-ce la suite du conflit au Darfour ?

Hemetti est lui-même originaire du Darfour, et les milices qu’il contrôle sont en partie le produit du conflit dans la région. En un sens, il s’agit donc bien de la continuation de la guerre du Darfour. Le « débat » entre les deux généraux peut se résumer à qui aura quoi et qui gardera quoi en termes d’influence politique sur le pays. Mais on peut se demander quel rôle jouent actuellement les milices islamistes, qui apparaissent et disparaissent à intervalles réguliers de la scène politique et qui ont été écartées en 2019.

La communauté internationale a-t-elle échoué à accompagner la transition politique ces dernières années ?

Depuis la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019 la communauté internationale tente de construire un régime civil au Soudan. Des accords ont été signés entre l’appareil sécuritaire représenté par Hemetti et l’armée officielle contrôlée par le général Al-Bourhane. Les deux forces ont joué un rôle décisif dans la chute de Béchir, et étaient désireuses de se partager le pouvoir.

En octobre 2021, les deux hommes ont décidé de faire un coup d’état contre le régime civil naissant, et cela a entraîné l’arrêt immédiat de toute aide économique au Soudan. Dans les mois qui ont suivi, les désaccords entre Al-Bourhane et Hemetti se sont multipliés, notamment sur le type de transition civile qu’il convenait d’enclencher pour le pays. Aujourd’hui, le Soudan est à bout de souffle.

Plusieurs pays, dont la France, ont décidé d’évacuer leurs ressortissants. Quels sont les intérêts stratégiques de l’Europe et de la France au Soudan ?

Le Soudan est une économie ruinée. Il y a très peu de pétrole, les Soudanais vendent de l’or à raison de 90 tonnes par an, mais ce n’est pas un élément déterminant des prises de position internationales. Pour les Européens, il s’agit de garder un œil sur les migrants d’Érythrée et d’Éthiopie qui traverseraient la région. Le chaos au Soudan posera des problèmes au Tchad, qui représente un intérêt stratégique pour la France. Mais dans l’ensemble, il s’agit simplement d’un pays de plus qui s’effondre dans le monde.

Le Soudan fait partie des pays sur lesquels la Russie tente de maintenir son influence. Quel rôle joue Moscou dans la situation actuelle ?

La Russie suit les évolutions de près car Moscou possède une base militaire sur la mer Rouge. Vladimir Poutine entretenait de très bonnes relations avec Omar el-Béchir. Il est parvenu à garder un bon contact avec les deux généraux qui se disputent actuellement le pays. Je reste néanmoins sceptique sur le rôle militaire que joueraient ou pourraient jouer les groupes paramilitaires russes dans le conflit. Le seul intérêt des Russes aujourd’hui est de conserver leur base, peu importe l’identité de la personne à la tête du Soudan. A l’inverse, l’Égypte prend clairement parti en aidant l’armée soudanaise régulière, principalement pour des raisons historiques. Le Caire déteste prodigieusement Hemetti, qu’elle considère comme un gardien de dromadaires.

Quelle est la situation humanitaire sur place ?

Dans la capitale, Khartoum, il y a des problèmes graves d’accès à l’eau potable. Internet n’est pratiquement plus accessible sur l’ensemble du pays. Dans les provinces, la situation n’est pas plus réjouissante : l’économie est en voie d’effondrement, l’inflation est très importante. Le prix des biens de première nécessité a grimpé en flèche, pas seulement à cause de la guerre en Ukraine mais aussi en raison d’une inflation que le régime ne parvient plus à maîtriser car l’aide occidentale est suspendue depuis octobre 2021. Aujourd’hui, 1/3 de la population soudanaise a besoin d’une aide humanitaire d’urgence.

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