Comme à son habitude, Donald Trump a fait fi des recommandations européennes. Dans la nuit de samedi à dimanche, sans avertir les responsables européens, les Etats-Unis ont bombardé les sites nucléaires iraniens avec la fameuse bombe GBU-57, réclamée depuis plusieurs jours par Israël. Mis devant le fait accompli, les Européens n’ont pas condamné l’opération américaine. S’ils s’accordent à dire que l’Iran ne doit pas accéder à l’arme nucléaire, ils réclament un retour à la « table des négociations » pour éviter toute escalade du conflit.
« Il n’y a pas de solution militaire à ce problème »
Et c’est ce qui s’est dit ce lundi à Bruxelles lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères prévue de longue date. Censée examiner la possible suspension de l’accord commercial avec Israël, la réunion a essentiellement abordé le rôle de l’UE au Moyen-Orient après les frappes américaines survenues en Iran. En marge de la réunion, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot a rappelé la position française : « Il n’y a pas de solution militaire à ce problème, mais des négociations qui permettront d’encadrer strictement le programme nucléaire iranien afin d’apporter des réponses durables ». Une position déjà évoquée la veille par Emmanuel Macron, lors d’un conseil de défense où il a appelé à éviter une « escalade incontrôlée » dans la région. « La reprise des relations diplomatiques est le seul moyen d’atteindre les objectifs que nous attendons tous, que l’Iran ne puisse pas se doter de l’arme nucléaire », a-t-il déclaré. Actuellement en visite d’Etat en Norvège, le président de la République a indiqué ne pas voir « le cadre de légalité » dans les frappes américaines, mais a précisé « partager l’objectif » américain que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire.
« L’Europe ne va pas pouvoir aider sur ce sujet »
Dans une ultime tentative de négociation, après les rumeurs d’attaques américaines, les ministres des Affaires étrangères français, allemands et britanniques ainsi que la haute représentante de l’Union européenne, Kaja Kallas, se sont retrouvés vendredi dernier à Genève pour tenter de relancer la négociation. Au même instant, alors que la réunion n’était pas encore terminée, Donald Trump déclarait : « L’Europe ne va pas pouvoir aider sur ce sujet ». Pourtant, selon une source diplomatique rapportée par Le Monde, les représentants étaient « prêts à faire beaucoup de concessions, avant même que les Américains ne frappent ».
Invité de la matinale de Public Sénat, le sénateur Les Républicains et membre de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, regrette que l’Europe et la France ne soient plus en « première ligne » comme ils l’ont été lors de la guerre d’Irak de 2003 tout en assurant que l’Union européenne peut encore jouer un « rôle de médiateur ».
Des positions divergentes au sein de l’UE
Un rôle de médiateur pourtant difficile à assurer au vu des divergences de positions qui coexistent entre les Etats membres. En très grande majorité, les pays ont regretté les attaques commises par les Etats-Unis comme Jean-Noël Barrot qui s’est dit « préoccupé ». A l’inverse, son homologue allemand a déclaré que « les Américains ont pris leur responsabilité dans la région » et s’est réjoui de la « menace importante éliminée ». Des propos dans le sillon de ceux prononcés par le chancelier allemand Friedrich Merz, qui saluait le « sale boulot » réalisé par l’Etat hébreu en Iran.
Interrogé par Public Sénat, le docteur en géopolitique à l’Université de Paris IV – Sorbonne et spécialiste de l’Europe, Pierre Verluise, souligne le principe de compromis qui sévit au sein de l’Union et qui constitue sa « grandeur et sa faiblesse ». « Sur certains sujets, l’UE est contrainte au plus petit dénominateur commun avec certains pays dont l’avis pèse lourd », précise-t-il. « Au vu de son histoire, l’Allemagne a un fort sentiment de responsabilité auprès d’Israël ». Ainsi, les Etats membres connaissent des difficultés à parler d’une voix commune ce qui rend difficile leur moyen de pression et de négociation dans le conflit. Mais selon le chercheur, le poids historique de l’UE au Proche et Moyen-Orient a toujours été marginal. « L’actualité fait que cet éloignement est souligné, mais l’UE est satisfaite de cette mise à l’écart ».
Un précédent accord
Pourtant en 2015, le Conseil de sécurité (États-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni) et l’Allemagne ont signé l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Après des négociations entamées à partir de 2003, les pays sont parvenus à une levée des sanctions économiques imposées à l’Iran en échange d’un contrôle de son programme nucléaire. Mais trois ans après la signature, Donald Trump décide de quitter l’accord relançant ainsi le programme de recherche nucléaire iranien à des fins militaires.
A l’aune de ce revirement, le positionnement unilatéral du président américain prend tout son sens. Dans une interview accordée à Public Sénat, l’historien et spécialiste de la politique américaine, André Kaspi, analyse la stratégie de Donald Trump qui agit sans prendre en considération les avis européens : « Il aime décider seul, défendre les intérêts américains avant tout », souligne-t-il. « Il pense que les Etats-Unis se suffisent à eux-mêmes et n’ont pas besoin de se plier aux compromis et aux discussions de ces grands sommets multilatéraux [Sommet du G7 que le président américain a quitté précipitamment la semaine dernière]. C’est une vision très unilatérale des relations internationales, centrée sur la puissance et la souveraineté américaines ».
Sous l’égide de relations transatlantiques fragilisées, doit se tenir demain à la Haye le sommet de l’Otan. C’est le premier sommet de l’organisation depuis la nouvelle présidence de Donald Trump. Alors que l’armée israélienne poursuit ses attaques en Iran, l’Europe va tenter de faire entendre ses appels à la négociation et à la désescalade. Mais il y a fort à parier que ses appels soient vains tant le Vieux continent n’a jamais semblé aussi isolé.