Israel Politics
Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu attends the weekly cabinet meeting at the the Kirya military base in Tel Aviv, Israel Sunday, Dec. 31, 2023. (Abir Sultan/Pool Photo via AP)/TKMY302/23365316800936/POOL PHOTO/2312311002

Conflit Liban/ Israël : « La stratégie de Netanyahou consiste à pousser le Hezbollah et l’Iran à la faute pour justifier une intervention militaire israélienne », analyse Pierre Razoux

Alors qu’un responsable du Hamas, Saleh el-Harouri, a été assassiné dans la banlieue de Beyrouth, le risque d’une extension du conflit entre Israël et le Hamas n’a jamais été aussi proche. Décryptage avec Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) et auteur de Tsahal, histoire de l’armée israélienne (Perrin)
Henri Clavier

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Après la frappe contre Saleh el-Harouri dans la banlieue de Beyrouth par l’armée israélienne, doit-on craindre une escalade et un embrasement de la région ?

Les risques de tension et d’escalade sont plus élevés aujourd’hui qu’au début de la guerre. On constate que Benjamin Netanyahou et ses partisans sont tentés de profiter de la situation pour affaiblir le Hezbollah. En plus de Saleh el-Harouri, quatre cadres du Hezbollah ont été tués par la frappe israélienne et un général iranien a été assassiné à Damas la semaine précédente. Pour Benjamin Netanyahou, pousser le Hezbollah à s’impliquer dans le conflit peut permettre d’affaiblir durablement l’une des principales menaces pour Israël et de faire durer la guerre. Le premier ministre israélien sait bien que lorsque la guerre sera finie il risque d’être ciblé par une commission d’enquête, de perdre le soutien de la Knesset, de devoir quitter le pouvoir et de connaître de nouvelles poursuites judiciaires. 

Avec cet assassinat, l’armée israélienne a-t-elle franchi les lignes rouges du Hezbollah ? 

La stratégie de Netanyahou consiste justement à se rapprocher de cette ligne rouge et de pousser le Hezbollah et l’Iran à la faute pour justifier une intervention militaire israélienne massive contre le Hezbollah. Pour Téhéran, la ligne rouge serait franchie en cas de frappe sur le sol iranien ; les incursions de l’aviation israélienne en Syrie ou au Liban ne suffiront pas à plonger l’Iran dans le conflit, sauf si Israël attaquait massivement des infrastructures vitales du Hezbollah au nord du fleuve Litani, ce qui n’est pas encore le cas. Benjamin Netanyahou veut profiter de son avantage et pousser l’Iran et le Hezbollah à franchir les lignes rouges israéliennes que sont les tirs de missiles vers les grandes villes d’Israël et l’infiltration de commandos adverses en territoire israélien, ce qui dépasse le cadre actuel de combats très limités à la frontière sud du Liban. 

L’Iran et le Hezbollah ont-ils un intérêt à une intensification du conflit ? 

Pas vraiment, et le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a appelé le Hezbollah et les gardiens de la révolution à faire preuve de patience et à ne pas céder à la tentation de représailles directes qui pourraient porter le conflit dans une nouvelle dimension. Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, fait également preuve de prudence depuis le début du conflit et ne souhaite pas étendre les combats. La ligne rouge est encore loin d’être franchie du côté du Hezbollah dans la mesure où même en cas d’assassinats ciblés sur d’autres membres de milices sunnites (comme le Jihad islamique) ou chiites autres que le Hezbollah, ceux-ci ne devraient pas suffire pour que le Hezbollah franchisse les lignes rouges israéliennes. Par ailleurs, sans cibler les grandes villes israéliennes, le Hezbollah qui dispose d’un arsenal six à huit fois supérieur à celui du Hamas (avant le 7 octobre 2023) pourrait cibler des infrastructures stratégiques comme les plateformes gazières offshore des gisements de Katlan, Tamar et Leviathan. Cela pourrait avoir un coût politique et économique majeur pour Israël, sans s’en prendre directement à la population israélienne. Enfin, l’Iran a déjà rempli la plupart de ses objectifs stratégiques depuis le 7 octobre en réussissant à stopper la normalisation des relations diplomatiques entamée par Israël avec les pays arabes et notamment l’Arabie saoudite. 

Le gouvernement israélien ne risque-t-il pas de se couper du soutien des Etats-Unis en cas de nouvelles frappes au Liban ?

Pour les Etats-Unis, les assassinats ciblés au Liban sont à la limite de ce qu’ils peuvent accepter, tant qu’ils ne sont pas de nature à provoquer l’escalade régionale du conflit. La question est d’ailleurs de savoir s’ils ont été consultés en amont concernant la frappe dans la banlieue de Beyrouth.

Peut-on imaginer une situation dans laquelle Tsahal lancerait une invasion du Liban ?

Toute la question sera de savoir quels sont les rapports de force au sein du gouvernement israélien si cette situation se présentait. Une partie de l’opinion israélienne est consciente que l’État Hébreu doit composer avec son voisinage et sait également que les interventions terrestres israéliennes au Liban ont toujours été difficiles pour Tsahal. Ce serait prendre le risque de rentrer dans une guerre de harcèlement avec des morts quotidiennement dans l’armée et une image d’Israël encore plus dégradée sur la scène internationale. Et de l’autre côté, une partie de l’opinion publique israélienne considère que leur pays est engagé dans une guerre existentielle et que c’est le moment pour affaiblir durablement le Hezbollah, quels que soient les risques induits

Partager cet article

Dans la même thématique

Conflit Liban/ Israël : « La stratégie de Netanyahou consiste à pousser le Hezbollah et l’Iran à la faute pour justifier une intervention militaire israélienne », analyse Pierre Razoux
4min

International

Chercheurs américains en Europe : « Une vaste comédie », selon cette eurodéputée insoumise  

L’Union européenne débloque 500 millions d’euros pour attirer les chercheurs américains maltraités par Donald Trump. Mais cette enveloppe est-elle suffisante ? L’Union a-t-elle les moyens d’accueillir des chercheurs américains alors que sa propre recherche manque de financements ? On en débat cette semaine dans l’émission Ici l’Europe, sur France 24, LCP et Public Sénat.

Le

Frappes israéliennes en Iran : un revers pour la diplomatie de Trump ?
7min

International

Frappes israéliennes en Iran : un revers pour la diplomatie de Trump ?

Les bombardements israéliens sur une série de sites iraniens durant la nuit écoulée viennent questionner l’état de la relation entre Washington et l’État hébreu, qui ont connu une série de hauts et de bas lors des derniers mois. Ce vendredi, Donald Trump a choisi de mettre la pression sur Téhéran.

Le

Pakistan Iran Mideast Wars
5min

International

Frappes israéliennes : « Israël veut replacer l’Iran comme l’ennemi principal de la région »

Cette nuit, Israël a frappé à de nombreuses reprises des sites nucléaires et des dirigeants de l'armée iranienne en justifiant une « menace nucléaire ». L’Iran a riposté avec une centaine de drones lancés vers le territoire israélien. Les attaques se sont poursuivies dans la journée. Pour Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l’Iran, la justification d’Israël n’est qu’une « façade » et vise à occulter la question palestinienne. Selon lui, cette série d'attaques va renforcer l’isolement d’Israël. Entretien.

Le

Iran nuclear water reactor of Arak
6min

International

Attaques d'Israël contre l'Iran : ce que l'on sait du programme nucléaire de Téhéran

Israël a invoqué la menace nucléaire pour justifier une série d’importants bombardements sur le sol iranien. Accusée de ne plus respecter depuis plusieurs années l’accord conclu en 2015 sur ses capacités nucléaires, Téhéran disposerait désormais du matériel nécessaire à la construction d’une bombe, selon des conclusions de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Le