« Ça ne sert à rien un Conseil des ministres alors que le gouvernement français est quasiment démissionnaire, lance Patrick Martin-Genier, naturellement il est important de travailler sur des sujets de fond, mais Emmanuel Macron ne va rien pouvoir faire. Les décisions seront reportées, sûrement après l’élection présidentielle de 2027 d’ailleurs. » Et pourtant, il y a plus d’un sujet où les décisions commencent à devenir urgentes. Défense, commerce, énergie, les points de tensions entre Paris et Berlin s’accumulent. À tel point que Patrick Martin-Genier parle plus d’un « tandem claudiquant » que d’un couple moteur.
Souvenez-vous en juillet dernier lorsque la présidente de la Commission européenne s’était félicitée d’avoir décroché des droits de douane à 15 % sur bon nombre de produits européens exportés aux États-Unis. Un coup dur pour la filière viticole française, mais une sacrée aubaine pour l’industrie automobile allemande. Le deal avait fait dire à certains que Berlin avait d’abord défendu ses intérêts.
Pourtant si le nouveau chancelier fait un peu « cavalier seul » sur la scène internationale, il a montré des signes encourageants propices à un nouvel élan de la coopération franco-allemande. Dès ce jeudi soir, il dînera avec le Président français, dans sa résidence, au large de Toulon. Demain, dix ministres, de chaque pays, prendront place autour des deux dirigeants.
Réaffirmer le soutien à l’Ukraine
Sur le fond, il ne devrait pas avoir trop d’accros à se mettre d’accord sur le soutien commun à l’Ukraine. Côté allemand, « le chancelier Merz a dit souhaiter adopter une position plus ferme face à la Russie, rompant avec certaines ambivalences passées », écrit le secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri, Paul Martin. Un enjeu de taille pour le pays, qui malgré des réformes budgétaires pour freiner sa dette, s’est donné comme cap d’augmenter considérablement ses dépenses militaires. Berlin ambitionne même de se doter de « la première armée conventionnelle d’Europe ». « C’est un vœu pieux, l’armée allemande est dans un état de délabrement. Il faudra des années avant que le pays ne retrouve une armée solide », souligne Patrick Martin-Genier.
En revanche, toujours dans le chapitre défense, un sujet plus épineux s’invitera peut-être autour de la table. Quid de l’avion et du char du futur ? Tout beaux tout neufs, en tout cas sur le papier, le SCAF et le MGCS commencent à faire les cent pas en salle d’attente. La raison de ce tempo lent, une mésentente pour savoir qui dirigera les opérations. Évidemment chacun veut placer ses industriels. Côté aviation, Dassault semble mener le jeu, ce qui fait craindre aux industriels allemands d’être sapés par le géant tricolore. Et tant que la messe n’aura pas été dite, l’avion et le char du futur resteront à l’état de croquis. Pourtant la France en aurait bien besoin pour conserver une capacité de dissuasion nucléaire crédible, et ce, avant 2045, dernier délai. Le ministre français de la Défense parlait le mois dernier d’un « moment de vérité » avant d’entrer dans la phase 2 du programme.
Mercosur et nucléaire : accords impossibles, désaccord assuré ?
Autres points de tensions qui seront probablement abordés demain, le désaccord entre Paris et Berlin sur l’accord du Mercosur et sur le nucléaire.
Concernant l’accord commercial sud-américain, « Mertz veut trouver un accord rapidement car c’est dans son intérêt. » Mais Paris freine des quatre fers et l’impasse semble pour l’instant inéluctable. « Les tensions commerciales entre l’UE et les États-Unis renforcent la volonté de l’Allemagne, dont la croissance repose sur les exportations, à rechercher d’autres partenariats et donc à diversifier les accords commerciaux. Ceux-ci, qui semblent une nécessité pour l’Europe, doivent être anticipés, notamment par une préparation coordonnée entre la France et l’Allemagne sur les critères et les lignes rouges de chacun pour la signature de potentiels futurs accords », explique Paul Martin.
Enfin, sur le nucléaire le chancelier s’était un peu avancé en évoquant l’ouverture de petites centrales électriques (Small Modular Reactors), mais le SPD (Parti social-démocrate), hostile au nucléaire, étant partenaire de sa coalition, Friedrich Merz a dû faire machine arrière. « Friedrich Merz est fragilisé dans sa coalition », ajoute Patrick Martin-Genier.
Celui qui se rêve en nouvel « homme fort de l’Europe », selon les mots de Patrick Martin-Genier, devra se confronter à la fois à sa coalition instable, et à un partenaire historique, qui l’est encore plus. « Emmanuel Macron va essayer de montrer qu’il pèse encore sur la scène internationale, mais la réalité c’est qu’on est puissant à l’extérieur quand on est puissant à l’intérieur. Or la France est très affaiblie », renchérit le spécialiste. Les Allemands sont inquiets de ce qui se passe en France. »