Ce 15 janvier, depuis la Maison Blanche, Joe Biden s’est exprimé une dernière fois dans une allocution télévisée d’un peu moins de 20 minutes. Quatre jours avant l’investiture de Donald Trump, le ton du président sortant est sombre. « Je veux mettre en garde le pays contre certaines choses qui m’inquiètent grandement », a-t-il averti, avant d’alerter sur une « dangereuse concentration du pouvoir » aux mains d’une « oligarchie ».
Alors que Donald Trump s’entoure d’une administration qui cristallise les inquiétudes, notamment autour de la personnalité du milliardaire Elon Musk, Joe Biden a tout de même achevé son discours par un message plus optimiste. « Ce qui, je crois, est l’Amérique de nos rêves, est toujours plus proche qu’on ne le pense. C’est à nous de réaliser nos rêves », a-t-il espéré.
Un discours qui conclut quatre années d’un mandat paradoxal : malgré un bilan positif, Joe Biden quitte la Maison Blanche avec une cote de popularité au plus bas, sous la barre des 40 % selon les derniers sondages. En se retirant tardivement de la course à la présidentielle au profit de sa vice-présidente Kamala Harris, il aura aussi grandement mis en difficulté la candidate démocrate dans sa campagne. Analyse avec Maxime Chervaux, professeur agrégé à l’Institut français de géopolitique.
De l’allocution de Joe Biden, on retient surtout un ton très grave. Habituellement, en fin d’exercice, les présidents mettent plutôt en avant leur bilan. De ce point de vue, est-ce que le discours du démocrate détonne ?
Il ne détonne pas complètement. Sur les 17 minutes de son discours, la moitié est quand même dédiée à la mise en avant de son bilan à la fois interne et international. Il est vrai que la tonalité générale est celle d’une mise en garde sur la fragilité de la démocratie. Mais, cet appel au répertoire de représentation commune de la République américaine, c’est quelque chose que l’on retrouve dans les discours d’investiture et de fin de mandat de plusieurs présidents précédents. D’ailleurs, dans l’analyse du discours de Biden, beaucoup font le parallèle avec le discours de fin de mandat du président Eisenhower, en 1961.
Cette tonalité grave, elle va aussi de pair avec le contexte dans lequel se déroule la passation de pouvoir entre Biden et Trump. Le pouvoir grandissant des grands patrons de la tech, la polarisation de la société américaine, la montée de la violence… Le discours de Joe Biden ne pouvait pas faire abstraction des limites que rencontre aujourd’hui la société américaine, à l’aune d’une présidence de Donald Trump déjà très controversée.
Sans le nommer, Joe Biden a à plusieurs reprises fait des allusions à Elon Musk, en dénonçant l’avènement d’un « complexe techno-industriel qui pourrait faire courir de vrais dangers » aux Etats-Unis.
Presque plus que Donald Trump, aujourd’hui, est-ce que c’est la figure d’Elon Musk qui inquiète ?
Au-delà de la personnalité de Donald Trump, et même de celle d’Elon Musk, c’est le pouvoir de la tech et des plateformes contre lequel Joe Biden a mis les Américains en garde. Son administration s’est démarquée par sa volonté de mettre des limites à la concentration du pouvoir dans les mains de quelques entreprises. La campagne de Donald Trump s’est posée en contrepoint de cette dynamique, avec la volonté d’abattre les limites à la concentration de l’économie américaine.
Mais, je le redis, le discours de Joe Biden n’était pas seulement marqué par la gravité et l’inquiétude. Il s’est aussi appuyé sur la métaphore de la construction de la statue de la Liberté, qui balance « d’avant en arrière pour résister à la furie d’une tempête ». C’est tout de même un message d’espoir : au-delà des tempêtes, l’Amérique résiste.
Joe Biden montre aussi qu’une porte de sortie est possible, dans le travail au-delà des divisions partisanes. Cette alternative est présentée dès la première phrase de son allocution. Avec la mention du cessez-le-feu trouvé à Gaza, il salue le fruit d’un travail mené en concertation avec la future administration Trump.
Joe Biden achève son mandat avec une cote de popularité au plus bas. Pourtant, son bilan n’est pas si catastrophique. Comme vous le mentionnez, un cessez-le-feu vient d’être trouvé à Gaza avec l’impulsion de son administration, il a lancé de vastes plans d’investissements pour réindustrialiser le pays…
Joe Biden restera-t-il un président aux actions incomprises ?
Pour l’instant, oui. Pourtant, effectivement, le bilan de Joe Biden est bon, il est même très bon. Il a mené des plans d’investissement, de réindustrialisation et de modernisation de l’économie américaine qui sont historiques dans les 50 dernières années du pays.
Mais Joe Biden n’a pas su assurer la promotion de cette politique, dont les effets positifs ne se verront que dans quelques années. Son mandat a aussi été terni par plusieurs sujets, à commencer par le retrait des troupes américaines en Afghanistan. C’est le premier l’événement qui a entamé sa popularité. Ensuite, il y a aussi évidemment eu l’inflation, le tout dans un contexte de déclin progressif de ses capacités physiques et mentales.