Il n’en restera qu’une. Avec la restitution des deux dernières emprises militaires françaises au Sénégal, ce jeudi 17 juillet, l’ancienne puissance coloniale ne dispose plus que d’une seule base en Afrique, à Djibouti. La cérémonie de restitution s’est tenue jeudi à Dakar au camp de Geille avec la remise symbolique des clefs du camp au chef d’état-major des armées sénégalaises.
Le départ du personnel militaire français du Sénégal marque la conclusion d’un vaste mouvement de désengagement français en Afrique de l’Ouest. En effet, depuis 2022, l’armée française a mis fin à sa présence permanente, parfois d’un commun accord, mais également à la suite de décisions unilatérales des pays accueillant des contingents français. Un cas de figure valable pour le Niger, le Mali, le Tchad et le Burkina Faso qui, dans des contextes politiques instables, ont tous décidé de mettre un terme à la présence française sur leur sol. Le retrait a été plus consensuel en Côte d’Ivoire et au Gabon où les bases françaises se sont transformées en « camp partagé » axé sur la formation et permettent toujours d’accueillir des troupes françaises. Si la France disposait d’un bataillon comptant environ un millier d’hommes en Côte d’Ivoire, la présence française au Sénégal était plus réduite et les 350 militaires présents sur place assuraient essentiellement des missions de formation. Un retrait éminemment symbolique donc qui met fin à une présence française de plus de 60 ans.
Le respect de la souveraineté
De plus en plus contesté au Sahel et en Afrique occidentale, le départ des troupes françaises était l’un des thèmes de campagne du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, élu en avril 2024. « Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires dans un pays souverain », avait déclaré le président sénégalais en novembre 2024. Surtout, dans un contexte politique instable, le retrait français apparaît comme un gage de non-ingérence dans les affaires internes des pays africains. En effet, après l’intervention française au Sahel et l’opération Barkhane, la présence de l’armée a été perçue comme une menace pour la souveraineté, notamment au Mali, au Niger ou au Burkina Faso. La durée de l’opération Barkhane (2014-2022), son incapacité à endiguer durablement la menace djihadiste, les coups d’États et les rapprochements entre les juntes nouvellement en place et les groupes militaires russes présents dans la région ont accéléré le mouvement.
« L’Afrique est un continent marqué par l’instabilité, il y a une vraie difficulté à conduire des opérations sur le long terme », expliquait le chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard vendredi 11 juillet à l’occasion de la présentation de la nouvelle revue nationale stratégique qui insistait également sur la « position particulière de la France en Afrique de l’ouest, directement attaquée sur le champ informationnel par ses compétiteurs ». « Au moment où on parle de souveraineté, et où c’est devenu un marqueur politique important dans la région, il semble normal de rendre ces bases », estime le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire de la délégation française auprès des Nations unies.
Vers une nouvelle forme de coopération en matière de défense ?
Concrètement, la restitution des différentes emprises françaises dans la région s’inscrit dans un revirement stratégique sur la coopération en matière de défense et de sécurité entre la France et les Etats d’Afrique de l’ouest. La réduction de la présence française en Afrique figurait déjà dans les recommandations formulées par l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel. Dans son rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique, remis le 25 novembre 2024 au président de la République, la réduction de la présence militaire française était perçue comme un moyen de renouveler le partenariat de défense. « Les inconvénients liés à notre présence permanente devenaient insupportables », déclarait Thierry Burkhard assurant, dans le même temps, que « l’Afrique a encore besoin de France. Un discours partagé par le président sénégalais qui déclarait que le retrait français n’était pas un acte de « rupture » mais le début d’un « partenariat rénové ».
« Ce retrait permet de nouer des rapports plus sains avec des pays souverains, ça devrait également renforcer une nouvelle forme de coopération basée sur la formation », juge le général Trinquand qui assure que « la France conserve des liens très étroits avec les pays africains ».
Une perte d’influence française en Afrique de l’ouest ?
Dans une note de la Fondation pour la recherche stratégique intitulée « Les menaces en Afrique subsaharienne à l’horizon 2040 », la chercheuse Djenabou Cissé dresse un constat moins optimiste. « [La France] n’est plus le principal acteur extérieur pourvoyeur de sécurité en Afrique de l’Ouest et centrale, et elle voit son influence dans la zone de plus en plus remise en question. Certaines autorités (militaires en particulier) et franges (pour l’heure minoritaires mais croissantes) des populations locales reprochent à la France son interventionnisme militaire et sa politique étrangère jugée néocoloniale. Ainsi sur le plan des partenariats militaires avec les pays africains, la France jadis en position de leader court un risque de déclassement majeur au cours des prochaines années », écrit Djenabou Cissé.
Ce recul de l’influence française pourrait se révéler préjudiciable sur trois plans : la protection des intérêts économiques français dans la région, la protection des ressortissants français (117 500 en Afrique francophone) et la lutte contre le terrorisme. « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de base permanente que l’on ne peut pas intervenir, mais concernant les besoins d’évacuations des ressortissants français sur place cela nécessiterait une plus grande organisation car l’opération se déploierait de plus loin », concède le général Trinquand qui ajoute que « pour la lutte contre le terrorisme, cela dépendra largement de la demande des Etats ». Pour rappel, au moment du lancement de l’opération Serval en 2013, la France ne disposait d’aucune base militaire au Mali. « Si le besoin de prépositionnement des forces occidentales pourrait s’accentuer d’ici 2040 pour contrer la montée des actions hybrides, cette présence sera sans doute de plus en plus critiquée localement voire impossible. En cas d’intervention souhaitée dans la région d’ici 2040, la France pourrait se heurter à des dénis d’accès », note Djenabou Cissé.