Russia Ukraine War

Deux ans de guerre en Ukraine : « L’enjeu pour l’armée ukrainienne, c’est de tenir », analyse le général Trinquand

A la veille du deuxième anniversaire de la guerre, l'Ukraine apparaît fragilisée alors que les combats se poursuivent avec intensité à l'est du territoire. De son côté, la Russie célèbre une armée conquérante, malgré des victoires entachées par d’importantes pertes humaines. Quelle lecture donner de l'état du front deux ans après le début de la guerre ? Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, répond aux questions de Public Sénat.
Rédaction Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Deux ans après le début de l’offensive russe en Ukraine, le président Volodymyr Zelensky a reconnu ce lundi que la situation sur le front était devenue « extrêmement difficile ». Alors que le Congrès des Etats-Unis bloque une aide de 60 milliards d’euros, le président ukrainien a exhorté les sénateurs américains à approuver une aide supplémentaire à son pays. La semaine dernière, la France a approuvé une aide de trois milliards d’euros pour 2024. Affaiblie après l’échec de sa contre-offensive estivale et une réserve de munitions en constante diminution, l’Ukraine tente tant bien que mal de tenir sa position défensive face aux attaques incessantes de la Russie. Explications sur la situation militaire actuelle avec le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU et auteur de Ce qui nous attend (Robert Laffont).

 

Alors que l’Ukraine s’apprête à entrer dans sa troisième année de guerre contre la Russie, quel diagnostic faites-vous de l’état du front qui oppose les deux pays ?

La ligne de front a beaucoup évolué depuis le début de la guerre. Entre l’été et l’hiver 2022, l’Ukraine a réussi à faire reculer la Russie. D’abord en faisant évacuer Kiev et ses alentours, puis en éloignant les forces russes présentes à Kharkiv. Enfin, les Ukrainiens ont réussi à faire retraverser le Dniepr [fleuve à l’est de l’Ukraine, ndlr] aux forces russes.

Mais depuis le mois de janvier 2023, les choses n’ont pas beaucoup bougé et le front terrestre reste figé. La Russie a réussi à s’installer sur une ligne de confrontation entre le Dniepr et Kharkiv, que les Ukrainiens n’ont pas réussi à enfoncer l’été dernier. Mais en réalité, les Russes ont réussi à grappiller deux zones seulement : Bakhmout et Avdiivka. Ce sont deux victoires, tactiques mais qui se sont faites au prix de grosses pertes du côté russe.

Toutefois, les offensives ukrainiennes ont été concluantes sur des dépôts logistiques en arrière de la ligne de front, mais surtout sur la mer Noire, où elles ont détruit les forces russes. La Russie n’a jamais été très forte sur le plan maritime. L’Ukraine a pu tirer profit de son armement perfectionné, tels que les drones maritimes ou les missiles longue portée Storm Shadow.

 

La Russie compte de plus en plus d’offensives réussies dans la région de Donetsk. Comment l’expliquer ? Y a-t-il eu un changement dans sa stratégie ?

D’une part, l’armée russe a décidé de consolider durablement sa position défensive. D’autre part, elle a transformé son économie en économie de guerre et surtout, elle a réussi à se faire approvisionner en munitions par la Corée du Nord et par l’Iran. Cela lui a permis de concentrer ses efforts uniquement sur des zones très précises du front, comme Bakhmout et Avdiivka.

 

Aujourd’hui, la Russie a célébré ses combattants à l’occasion d’une journée nationale d’hommage aux « défenseurs de la patrie ». Ce jeudi, l’armée russe a également revendiqué la prise du village de Pobeda à l’est de l’Ukraine. Parmi tous les succès célébrés par la Russie ces derniers jours, sa victoire à Avdiivka constitue-t-elle un tournant dans le conflit ?

Non ce n’est pas un tournant. Ce qui est certain c’est qu’il est important pour Poutine de mettre en avant cette victoire, car il est en campagne électorale. Mais du côté ukrainien, il est vrai que c’est difficile psychologiquement d’encaisser une défaite.

D’ailleurs, la situation va être très difficile en 2024 pour l’Ukraine. Son armée est alimentée par les industries occidentales, elles-mêmes en incapacité de fournir assez de matériel militaire. Il y a aujourd’hui un retard dans les livraisons, ce qui ne lui permet pas de se maintenir en position défensive.

 

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a reconnu ce lundi une situation « extrêmement difficile » sur le front. Cette nuit, l’Ukraine a continué à subir des attaques de missiles et de drones russes. Odessa a été touchée, ainsi que les zones de Mariïnka et d’Avdiivka, où la situation est très tendue. L’armée ukrainienne parviendra-t-elle à quitter sa position défensive pour tenter une nouvelle percée ?

Non, il n’y aura pas de nouvelle percée de l’armée ukrainienne en 2024. Actuellement, l’enjeu essentiel pour l’Ukraine, c’est de tenir. Du côté européen, tous les moyens sont mis en place pour lui permettre d’assurer sa défense [les dirigeants du Conseil de l’Europe se sont engagés ce vendredi à apporter leur soutien « indéfectible » à l’Ukraine, ndlr]. L’inquiétude point plutôt du côté américain. Les trois quarts des munitions étaient fournis par les Etats-Unis, mais la campagne électorale menée par Donald Trump a ajouté beaucoup d’incertitude.

 

De son côté, la Russie est-elle en bonne position pour poursuivre sa percée vers l’ouest ?

Il est très difficile de se prononcer sur la poursuite d’une percée russe. Cela lui a pris quatre mois avant de réussir la prise d’Avdiivka. Il est peu probable que la Russie ait les ressources nécessaires pour continuer à gagner du terrain. L’objectif de Poutine ce n’est pas de conquérir l’Ukraine complètement, il sait qu’il n’est pas en capacité de le faire. Il tentera de conquérir complètement les oblasts de Louhansk et Donetsk qui ont été annexés sans être complètement occupés par la Russie.

 

Propos recueillis par Myriam Roques-Massarin

Dans la même thématique

Turkey Iran Protest
6min

International

Iran : « Au sein de la jeunesse, il y a un rejet très fort de l’islam politique, voire de l’islam tout court »

Que se passe-t-il aujourd’hui en Iran ? La semaine dernière, le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a dénoncé un durcissement récent du contrôle des femmes sans voile. Dans le même temps, Paris juge « inacceptable » la condamnation à mort du rappeur Toomaj Salehi, emprisonné pour son soutien au mouvement Femme, Vie, Liberté. Pour Public Sénat, Farid Vahid, spécialiste de l’Iran et co-directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès, analyse le durcissement de la République islamique.

Le

Russian missile hit the outskirts of the city of Kharkiv
6min

International

Guerre en Ukraine : « Les Russes peuvent tirer dix fois plus d’obus que les Ukrainiens  »

Depuis l'été dernier et l’échec de sa grande contre-offensive, l’armée ukrainienne est sur la défensive. Malgré le déblocage d’une aide américaine de 61 milliards de dollars, le commandant en chef des armées reconnaît une dégradation de la situation sur le front. Pour Public Sénat, le Général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, analyse une situation qui ne connaîtra d’issue qu’avec la « disparition de Vladimir Poutine ».

Le

Deux ans de guerre en Ukraine : « L’enjeu pour l’armée ukrainienne, c’est de tenir », analyse le général Trinquand
4min

International

En Espagne, la Catalogne s’invite dans la campagne des européennes

A quelques semaines des élections européennes, l’émission Ici l’Europe, sur France 24 et Public Sénat, s’intéresse aux enjeux du scrutin en Espagne, où l’alliance du gouvernement socialiste avec les indépendantistes catalans crée des remous dans la société espagnole et résonne au niveau européen.

Le

Trait-d-union-V2
1min

International

[Podcast] Trait d’Union - Qu'est-ce qu'il se passe si la France rejette le CETA ?

Le 20 mars dernier, le Sénat français a rejeté l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne : le fameux CETA. La droite sénatoriale s’est alliée pour l’occasion aux communistes et aux écologistes pour marquer un coup politique contre la majorité présidentielle. Mais ce théâtre politique est loin d’être fini! Le texte doit maintenant être transmis par le gouvernement à l’Assemblée nationale. Dans cet épisode, je voudrais qu’on se projette. Et si l’Assemblée venait à rejeter le CETA à son tour ? Qu’est-ce qui se passerait ? Est-ce que tout s’arrêterait ? Et puis autre question, pourquoi est-ce que le CETA est déjà mis en oeuvre, alors que tous les pays ne l’ont pas encore ratifié ? C’est ce qu’on va voir dans cet épisode.  Invité : Alan Hervé, professeur de droit européen à Sciences Po Rennes Vous souhaitez soutenir Trait d’Union ou en savoir plus ? Rendez-vous sur www.traitdunionpodcast.com

Le