Droit à l’IVG : « Plus d’une femme sur deux ne dispose pas de son corps librement dans le monde »

La délégation aux droits des femmes du Sénat organisait, ce jeudi, plusieurs tables rondes sur le droit à l’avortement et son accès à travers le monde. L’Etat des lieux est plutôt inquiétant pour les droits sexuels et reproductifs qui sont en recul dans de nombreux pays, alors qu’en France, un projet de loi constitutionnelle visant à inscrire l’IVG dans le texte fondamental de la Ve République, est annoncé pour la fin de l’année.
Simon Barbarit

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« Nous considérons que le recul, dans de nombreux pays, des droits sexuels et reproductifs, au premier rang desquels le droit à l’avortement, constitue une violence faite aux femmes à l’échelle mondiale », a exposé Dominique Vérien, sénatrice centriste, présidente de la délégation aux droits des femmes, en introduction d’un colloque organisé au Sénat sur le droit et l’accès à l’avortement, à travers le monde.

Depuis la décision de la Cour suprême des Etats-Unis, en juin 2022, révoquant l’arrêt Roe V. Wade, qui protégeait constitutionnellement le droit à l’avortement depuis 50 ans, les parlementaires de français de gauche et de la majorité présidentielle, par la voie de plusieurs propositions de loi, ont souhaité garantir dans le marbre de la Constitution de la Ve République, le droit à l’IVG. Le mois dernier, Emmanuel Macron a repris la formulation d’une proposition de loi adoptée par le Sénat et a annoncé la présentation avant la fin de l’année d’un projet de loi constitutionnelle visant à garantir « la liberté des femmes » à mettre fin à leur grossesse dans le texte fondamental.

« L’arrêt Roe V Wade a déjà eu des impacts négatifs sur des processus législatifs à l’international »

Lors des débats à la Haute assemblée, une partie de la droite du Sénat avait reproché à la gauche de l’hémicycle de vouloir importer une problématique d’Outre-Atlantique, alors que l’accès et le droit à l’IVG, n’étaient, selon eux, pas menacés en France. Mais aucun pays n’est à l’abri d’un revirement de législation comme l’ont expliqué les intervenantes et intervenants du colloque. « On voit que (la révocation) de l’arrêt Roe V Wade a déjà eu des impacts négatifs sur des processus législatifs à l’international. Au Kenya et au Nigéria, il y a déjà eu des arrêts de processus législatif progressifs en faveur des droits sexuels et reproductifs où l’arrêt Roe V Wade a été cité. On le voit également en Ethiopie ou en Inde où il a été cité par des mouvements antiavortement », a souligné Jeanne Hefez, chargé de plaidoyer pour l’ONG Ipas, une organisation qui œuvre pour faire progresser l’accès à l’avortement et la contraception dans le monde.

« Une femme qui ne souhaite pas poursuivre sa grossesse mettra tout en œuvre pour cela en dépit des dispositifs législatifs »

Si le droit à l’avortement est protégé par le droit international, en vertu notamment du droit à la vie privée, à l’autodétermination, à l’autonomie corporelle et à l’intégrité, énoncés par la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, « il y a une hétérogénéité des cadres législatifs » nationaux, a souligné, Amandine Clavaud, directrice des études, directrice de l’Observatoire de l’égalité homme-femme de la Fondation Jean Jaurès. « L’avortement n’est autorisé que dans seulement 77 pays. Il est complètement interdit dans 22 pays. Plus d’une femme sur deux ne dispose pas de son corps librement dans le monde et près d’une IVG sur deux est pratiquée dans des conditions non sécurisées. On le sait. Une femme qui ne souhaite pas poursuivre sa grossesse mettra tout en œuvre pour cela en dépit des dispositifs législatifs », a-t-elle rappelé.

En Europe, le tableau n’est pas forcément plus rassurant. « L’IVG est autorisée dans 25 Etats membres sur 27 ». « Malte et la Pologne l’interdisent quasiment totalement. Andorre et le Vatican l’interdisent aussi », a exposé Amandine Clavaud. Sur le continent, les mouvements dit « anti-genre » sont de plus en plus actifs. « Ce sont essentiellement des ONG, des think tanks, des partis politiques. Ils sont souvent d’inspiration religieuses, mais vont le camoufler […] L’origine intellectuelle de ces idées est essentiellement catholique […] Ils sont proches de la droite traditionnelle et l’extrême droite […] Ils savent produire des projets de loi, des amendements. Ils ont des relais politiques pour faire avancer leurs idées », a détaillé Neil Datta, directeur exécutif de l’EPF, (Forum parlementaire pour les droits sexuels et reproductifs), qui a identifié plus de 120 mouvements, dont 54 sont financés à hauteur de 700 millions de dollars. Ces fonds sont en provenance de la droite chrétienne américaine, des oligarques russes, et aussi de certains pays d’Europe comme la Hongrie ou la Pologne.

« Il est quasiment impossible d’avorter en Pologne »

La Pologne a, d’ailleurs, été citée par Amandine Clavaud comme un exemple « de traduction politique de ces mouvements anti-droits », une fois au pouvoir. « Il est quasiment impossible d’avorter en Pologne sauf en cas de danger pour la vie de la femme, de viol ou d’inceste, depuis une loi de janvier 2021 ». « Elle est issue d’une longue bataille menée par le parti conservateur droit et justice, depuis son arrivée au pouvoir en 2015 ». En Hongrie, l’avortement est autorisé, mais son accès est de plus en plus difficile. Les femmes souhaitant avorter doivent auparavant écouter le battement de cœur du fœtus. En Italie, l’IVG est autorisée mais la clause de conscience est évoquée par 70 % des médecins, voire 90 % dans certaines régions.

Cette réversibilité de la législation concernant le droit et l’accès à l’IVG démontre pour Amandine Clavaud, « que l’inscrire dans le marbre de la Constitution (en France) garantirait plus de droits pour les femmes ». Pour le moment, aucun État dans le monde n’a effectué cette démarche.

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