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Droit d’asile : que contient le projet d’accord européen ?

Jeudi dernier, les ministres de l’Intérieur de l’Union Européenne ont adopté un projet de réforme du droit d’asile à l’échelle européenne. Les demandes d’asile jugées comme ayant le moins de chance d’aboutir seraient traitées aux frontières de l’UE, et les demandeurs d’asile placés en centre de rétention. Il prévoit aussi une répartition du traitement des demandes entre les Etats-membres, sous peine de compensation financière. Mais cette réforme est encore soumise à de nombreuses négociations.
Louis Mollier-Sabet

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C’est une première étape franchie après presque trois années de négociations. Présenté par la Commission en septembre 2020, le projet de Pacte européen sur l’asile et l’immigration a enfin été adopté par le Conseil de l’Union Européenne, qui regroupait les ministres de l’Intérieur des Etats-membres de l’Union européenne, ce jeudi 8 juin, par un vote à la majorité qualifiée qui devait regrouper au moins 15 Etats-membres, et 65% de la population de l’UE. Déjà définie comme priorité par la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022, c’est sous la présidence suédoise que les négociations sur la réforme du droit d’asile auront donc abouti.

Au départ, la Commission européenne entendait réactualiser l’ensemble des politiques migratoires et d’asile, mais la focale s’est progressivement resserrée sur le droit d’asile explique Tania Racho, docteure en droit européen, et chercheuse associée à l’IEDP de Paris-Saclay : « Le régime d’asile européen commun (RAEC) a été codifié dans les années 2000-2010 et contient assez peu de choses sur l’immigration légale. Initialement, la Commission avait la volonté d’aborder l’immigration économique, les partenariats entre pays, mais c’est complètement passé à la trappe. Aujourd’hui on a une accélération pour que cela soit voté avant mai 2024, date du renouvellement du Parlement européen. »

Une réforme de l’asile européen, ou la fin de Schengen ?

Ce « Pacte européen sur l’asile et l’immigration », s’est donc concentré sur le « screening » (« filtrage ») aux frontières, la refonte du règlement de Dublin et des procédures de traitement des demandes d’asile. Une « nécessité » pour Jean-François Rapin, président LR de la commission des Affaires européennes du Sénat. « Il y a une vraie volonté d’avancer, il y a encore quelques semaines, on avait l’impression que ça coinçait. On sent qu’il faut que ce soit bouclé avant les élections européennes pour pas que ça n’en soit l’enjeu unique, sinon on sait très bien comment ça va se finir », estime-t-il.

Sur le fond, le système actuel, dit « de Dublin », prévoyait en effet que les demandes d’asile devaient être traitées par un seul pays européen, souvent celui par lequel un demandeur d’asile est rentré en Europe. Dans l’argumentation de la Commission, cette réglementation faisait peser sur les pays méditerranéens – et notamment l’Italie et la Grèce – une grande partie du traitement de ces demandes d’asile. Dans un contexte de pression migratoire croissante, qui avait même mis l’agence Frontex dans une situation difficile en fin d’année dernière, la Commission estime que la non-adoption de ce pacte avant le renouvellement du Parlement européen en 2024 signifierait « la fin de Schengen », rappelle Tania Racho.

Chiffres des demandes d’asile en Europe

En 2022, 966 000 demandes d’asile ont en effet été enregistrées dans l’Union européenne, ainsi qu’en Suisse et en Norvège, où s’appliquent aussi les règlements de Dublin, contre 632 315 en 2021. À titre d’exemple, sur 68 000 migrants qui sont entrés dans l’Union Européenne par la mer entre janvier et mai 2023, 51 000 sont arrivés en Italie.

Le projet validé en Conseil de l’Union Européenne comporte ainsi deux volets principaux. L’un pour tenter de traiter plus rapidement les demandes d’asile en créant une procédure accélérée et un traitement à la frontière des demandes ayant peu de chances d’aboutir. Les ressortissants des Etats – Turquie, Maroc, Tunisie, Bangladesh, Inde, Albanie ou Serbie, par exemple – où moins de 20 % des demandes d’asile aboutissent en moyenne en Europe auront ainsi peu de chance d’obtenir le statut de réfugiés. Les demandes d’asile seront examinées plus rapidement, et surtout à la frontière, où jusqu’à 120 000 migrants par an pourraient voir leurs demandes traitées dans des centres d’accueil fermés, avec 30 000 places disponibles simultanément. L’Allemagne poussait notamment pour faire une exception pour les familles accompagnées de mineurs, mais en l’état actuel du Pacte européen sur l’asile et l’immigration, seuls les mineurs isolés pourraient bénéficier de cette exemption.

« Une vision très radicale de la migration »

L’autre volet du Pacte européen sur l’asile est un mécanisme davantage contraignant de solidarité dans la répartition des demandeurs d’asile entre les Etats-membres. Les pays qui refuseraient de traiter les demandes d’asile qui seraient ainsi répartis devraient verser une somme à la Commission, qui répartirait ensuite l’argent entre les pays traitant les demandes supplémentaires. En l’état actuel du Pacte, on parle de 20 000 euros par demande refusée, mais Tania Racho rappellent que sur les chiffres précis, les lignes peuvent encore largement bouger.

D’autant plus que le cheminement européen de cette nouvelle réglementation de l’asile est loin d’être terminé. Si la date butoire semble claire – mai 2024 – le Conseil de l’Union Européenne, le Parlement européen et la Commission vont devoir se mettre d’accord. Un « trilogue » devrait donc être entamé prochainement, une procédure de négociation pour le moins opaque, explique Tania Racho. « Ils vont s’asseoir dans une pièce fermée, et si le trilogue aboutit à un accord, le débat au Parlement est quasiment un enregistrement », détaille-t-elle. Jean-François Rapin confirme que le trilogue sera probablement l’endroit où se noueront les principaux équilibres, avec notamment un rôle clé de la Commission européenne dans les négociations : « Le compromis a été difficile à trouver au Conseil. La Commission va devoir jouer un rôle dans le trilogue, et elle est prête à mettre 1 milliard sur la mise en place du filtrage. »

Une fois n’est pas coutume au sein de l’Union Européenne, les négociations devraient donc aller bon train s’il faut trouver un accord en un peu moins d’un an, puisqu’il faudra non seulement concilier les intérêts divergents entre les pays – frontaliers ou non – mais aussi les forces politiques. Dans un Parlement européen divisé entre 300 députés de droite et d’extrême droite, 250 députés de gauche, 100 députés centristes et 50 non-inscrits, les équilibres seront probablement délicats à trouver sur un sujet aussi clivant.

 

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