L’horloge tourne et la date fatidique du 1er août arrive à grand pas. A Bruxelles, les négociations se poursuivent depuis l’annonce du 12 juillet dernier d’un taux de droit de douane américain de 30 % sur les produits européens. La semaine dernière, le commissaire européen au Commerce s’est rendu à Washington pour de nouvelles négociations, en vain.
Dès lors à Paris, un certain agacement se fait ressentir avec cette envie de montrer plus de fermeté. Ce mardi, le ministre de l’Industrie et de l’Energie, Marc Ferracci, a réuni à Bercy un Conseil national de l’industrie exceptionnel. Était présents : l’ensemble des filières industrielles du pays venus « construire une position commune de l’industrie française sur la posture européenne dans les négociations commerciales en cours entre la Commission européenne et l’administration Trump ».
« Il faut rentrer dans un rapport de force avec Donald Trump »
« La position de l’Europe doit être une position de négociation mais également une position de fermeté », a déclaré le ministre à la sortie du Conseil, réjoui du consensus trouvé entre les différents représentants. « Nous avons, en particulier, dit qu’il fallait déclencher un certain nombre de mesures de riposte dans l’hypothèse où l’accord n’était pas trouvé d’ici au 1er août », a-t-il ajouté.
Pour Thomas Grjebine, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au CEPII, la stratégie française est la bonne face à un président américain qui ne connaît que la force : « Il faut rentrer dans un rapport de force avec Donald Trump sinon le résultat sera forcément défavorable », explique l’économiste. « Il faut donc durcir le jeu, mais pour cela il faut avoir les reins suffisamment solides car il risque de surenchérir et tester si l’unité européenne tient dans ce cadre ».
« La France est moins exposée »
A ce jeu-là, l’Europe apparaît bien démunie. Si les différentes filières industrielles françaises ont réussi à trouver un consensus, comme l’a annoncé Marc Ferracci, malgré plusieurs divergences d’intérêts, rien n’est moins sûr pour l’ensemble des Etats membres de l’UE. En premier lieu, l’Allemagne et l’Italie qui souhaitent absolument aboutir à un accord avec les Etats-Unis d’ici au 1er août pour éviter toute escalade. « Lorsque vous produisez en Europe et que vous exportez, vous êtes plus vulnérables à une guerre commerciale », analyse Thomas Grjebine.
Les exportations en Allemagne représentent près de 4 % de son PIB et ses échanges commerciaux avec les Etats-Unis sont largement excédentaires. A l’inverse, les échanges français avec les Etats-Unis sont déficitaires et ses exportations ne représentent qu’à peine 1,5 % de son PIB. « La France est moins exposée que ses voisins européens même si certains secteurs comme le luxe ou le vin risquent de pâtir d’une guerre commerciale ».
A l’échelle du continent, l’Union européenne est excédentaire sur ces échanges avec les Etats-Unis. En y ajoutant les services échangés, largement dominé par les Etats-Unis, l’Europe conserve un excédent de 50 milliards d’euros. Pour Thomas Grjebine, la posture de la France s’explique en partie par le fait qu’elle ne souhaite pas payer pour un excédent essentiellement tiré par l’Allemagne.
Le « bazooka économique »
Dans un communiqué commun, les industriels français ont rappelé les outils à la main de la Commission pour « défendre les intérêts de l’Union européenne ». Ils recommandent d’adopter, « en cas d’échec des négociations », une première liste de contre-mesures évaluées à hauteur de 21 milliards d’euros et envisager l’adoption dans la foulée d’une seconde liste de contre-mesures. Selon le ministre, ces contre-mesures pourraient s’élever à hauteur de 90 milliards d’euros. Il réclame également l’usage de l’« instrument anti-coercition », dit le « bazooka économique », qui permet d’empêcher l’accès aux marchés publics européens ou le blocage de certains investissements. Il permettra également de taxer les services américains.
Le 12 juillet dernier, Emmanuel Macron a demandé à la Commission d’étudier son déclenchement. Ursula von der Leyen a indiqué que cet outil a été conçu « pour des circonstances exceptionnelles ». Elle a estimé que la situation actuelle ne justifiait pas son utilisation. D’autres séries de mesures de rétorsion sont déjà dans les tiroirs de Bruxelles, en particulier une liste de 72 milliards d’euros de produits américains ciblée. Plusieurs Etats membres redoutent son utilisation, craignant une escalade.
« Donald Trump sait qu’il est compliqué pour l’Europe de rester unie et de prendre des décisions communes »
Le bras de fer s’annonce donc tout aussi tendu entre la France et l’institution européenne, qu’avec les Etats-Unis. Dès demain, Emmanuel Macron se rend en Allemagne pour échanger avec le chancelier Friedrich Merz. A n’en pas douter, le sujet d’une négociation ou d’un affrontement frontal avec Donald Trump devrait être au cœur des discussions. Le chancelier allemand lui souhaite faire pression sur les Etats-Unis pour aboutir à un accord de négociation rapide, protégeant l’économie allemande. Du côté de Bercy, certains craignent qu’un accord inéquitable conduise à la perte de confiance européenne des entreprises.
En mai dernier, interrogé par Public Sénat, l’économiste et spécialiste du commerce international, Vincent Vicard définissait la stratégie de Donald Trump comme un « test sur la capacité des Européens à faire front et à répondre de manière collective ».
« Je ne sais pas si c’est une stratégie consciente », répond Thomas Grjebine. « Ce qui est sûr c’est que Donald Trump sait qu’il est compliqué pour l’Europe de rester unie et de prendre des décisions communes. On le voit très bien ici ».