L’onde de choc causée par l’offensive douanière de Donald Trump du 2 avril continue de se propager sur la planète. Sur l’ensemble des places boursières, les indices sont en chute en libre pour la deuxième journée consécutive. Cette nervosité, inédite depuis la panique financière du printemps 2020 au début de la pandémie du Covid-19, traduit les craintes d’une déstabilisation du commerce mondial et surtout l’incertitude sur l’ampleur du bras de fer commercial entre Washington et ses principaux partenaires économiques. Ce vendredi, la Chine a choisi la voie d’une riposte ferme et symétrique, en annonçant des droits supplémentaires de 34 % sur les importations américaines.
L’Europe recherche une réponse « échelonnée et unifiée »
Autre stratégie sur le continent européen. L’Union européenne veut laisser une chance à la négociation avec l’administration Trump, et éviter l’alourdissement des droits de douane, prévu pour le 9 avril. Ils comptent en premier lieu dissuader le président américain en rappelant la force de leur marché intérieur : 450 millions d’habitants, contre 340 pour les États-Unis. « Nous agirons de manière calme, soigneusement échelonnée et unifiée […] en prévoyant suffisamment de temps pour les pourparlers. Mais nous ne resterons pas inactifs si nous ne parvenons pas à conclure un accord équitable », a prévenu le commissaire au Commerce Maros Sefcovic.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a notamment menacé les États-Unis de contre-mesures « si les négociations échouent ». Les Vingt-Sept envisagent « d’attaquer les services numériques » américains, ils pourraient aussi réduire l’accès aux marchés publics des entreprises américaines. Ce vendredi, le ministre de l’Économie Éric Lombard a précisé que la riposte européenne pourrait aller « au-delà des droits de douane », évoquant les normes, les échanges de données ou les outils fiscaux. Emmanuel Macron a quant à lui appelé à suspendre les investissements des entreprises françaises aux États-Unis dans le cadre d’une riposte qu’il souhaite « proportionnée ».
« À une guerre économique, il faut répondre par une guerre économique. Nous ne sommes pas des nains politiques », tonne Cédric Perrin
Cette demande de cohésion européenne est également largement partagée au Sénat. « Je reste persuadé que Donald Trump est dans la confrontation. Il faut être ferme avec lui et lui expliquer qu’à toute mesure prise à notre égard, une autre sera prise contre eux. À une guerre économique, il faut répondre par une guerre économique. Nous ne sommes pas des nains politiques, nous sommes 450 millions en Europe. Si on se concerte, on peut peser », insiste le président (LR) de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Cédric Perrin.
« Il va falloir une réponse claire et une réponse unie. Je voudrais être sûr que tous les Etats membres soient sur la même ligne », espère également Jean-François Rapin (LR), président de la commission des affaires européennes. Il précise néanmoins : « Il ne faut pas se laisser prendre au piège. Il y a une réaction qui doit être forte, mais pas dans l’urgence. Il faut se donner une réflexion qui soit coordonnée, mais aussi pragmatique. Combien de temps les annonces de Donald Trump vont tenir ? Car elles vont bouleverser le marché américain. »
Un travail autour de trois commissions lancé au Sénat sur le commerce international
Si la réponse aux lourds tarifs douaniers américains est à la main des institutions européennes, les sénateurs ont bien l’intention de contribuer à cette réflexion sur la riposte. Une mission d’information va être lancée autour des commissions des affaires économiques, de celle des affaires étrangères et de la défense, et celle des affaires européennes.
La présidente de la commission des affaires économiques Dominique Estrosi-Sassone (LR), qui nous en avait l’annonce hier sur notre antenne, s’interroge sur le périmètre de riposte à opérer contre Washington, et comment le calibrer au mieux sans que cela soit préjudiciable aux entreprises françaises. « On voit que si l’atteinte de la cible est mal positionnée, cela peut aussi avoir d’autres incidences sur notre économie locale et française », alertait la sénatrice des Alpes-Maritimes. Ce sujet sera également l’objet d’une réunion d’urgence à Bruxelles le 10 avril. Les Européens veulent évaluer les conséquences des annonces américaines et les contre-mesures européennes possibles pour choisir les plus indolores pour l’économie européenne.
Mais les travaux de la mission d’information auront surtout un style plus sénatorial, au long cours. Les réflexions vont être orientées sur le thème plus large du commerce international, qui pourrait potentiellement être redessiné avec les décisions américains d’alourdir les barrières douanières.
« Ce sera quelque chose de réfléchi. L’idée n’est pas de faire quelque chose dans un moment brûlant pour avoir une réponse immédiate et rapide, mais plutôt de prendre du recul à ce qu’on constate aujourd’hui, et de quelle manière on peut défendre nos intérêts », expose Cédric Perrin. « On aura une réflexion sur notre économie, notre balance commerciale, comment améliorer la situation, être plus efficace et opérant. C’est une vision à court, moyen et long terme. »
« Si ça se passe mal avec les Etats-Unis, il va falloir que l’on trouve des débouchés »
« Il faut voir les choses avec du pragmatisme, dans un souci d’urgence mais aussi un regard éclairé », considère Jean-François Rapin au sujet des enjeux qui se posent brutalement aux Européens depuis mercredi.
Les secousses commerciales en cours pourraient par ailleurs redessiner la carte des coopérations économiques dans le monde, si certains pays avaient pour ambition d’être moins dépendants des Etats-Unis. « Si ça se passe mal avec les Etats-Unis, il va falloir que l’on trouve des débouchés. Il faut arriver à montrer à Donald Trump qu’on a la possibilité de faire sans eux », résume Cédric Perrin. « Il y a des alliances qu’il faudra entretenir et peut-être améliorer », évoque-t-il, faisant mention du Canada. Les tensions actuelles avec les Etats-Unis vont-elles amener les parlementaires français à changer de regard sur le traité de libre-échange conclu entre l’Europe et le Canada, le CETA ? « La question c’est de savoir, compte tenu du contexte, s’il n’y a pas une réflexion à avoir sur ce sujet », relève le sénateur du Territoire de Belfort.