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Droits de douane : « La politique de Donald Trump ne va pas favoriser la réindustrialisation des Etats-Unis »

Alors que Donald Trump se félicite de l’entrée en vigueur imminente des accords concernant les droits de douane avec l’Union européenne, le président américain espère que l’accord permettra, à terme, une réindustrialisation des Etats-Unis. Un pari ambitieux qui pourrait néanmoins se retourner contre le président des Etats-Unis.
Henri Clavier

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Les droits de douane vont rendre les Etats-Unis « grands et riches » a affirmé Donald Trump alors que ce dernier signait le décret qui permettra d’appliquer les droits de douane à partir du 7 août. Dès son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a fait de la négociation commerciale son arme principale pour faire baisser le déficit commercial des Etats-Unis qui a atteint 918 milliards de dollars en 2024. Pour résorber ce déficit, aucun pays n’a été épargné par les négociations commerciales. Si le Trésor américain a annoncé une augmentation des droits de douane perçus pour 2025 (87 milliards de dollars), les barrières tarifaires doivent, selon Donald Trump, principalement servir à faire reculer la consommation de produits importés et faciliter la réindustrialisation américaine. 

Ces éléments, couplés aux investissements négociés par Donald Trump (600 milliards pour l’Union européenne et 550 milliards pour le Japon) doivent, selon le président américain poser les jalons de la réindustrialisation Outre-Atlantique. Malgré cela, les Etats-Unis devront surmonter leurs difficultés actuelles alors que l’emploi manufacturier recule et que 400 000 emplois restent vacants dans ce secteur, d’après le US Bureau of labour statistics. Un signe du manque d’attractivité du secteur qui rémunère, en moyenne, trois dollars de moins que le reste du secteur privé. Dans ce contexte, la politique commerciale et économique de Donald Trump est-elle réaliste ? Entretien avec Stéphanie Villers, économiste, conseillère économique chez PwC.

L’accord signé entre les Etats-Unis et l’Union européenne sur les droits de douane va-t-il stimuler l’économie américaine ?

Il faut dissocier les droits de douane et les promesses d’investissement. Sur la partie de l’accord qui prévoit un investissement de 600 milliards de dollars dans l’économie américaine, c’est uniquement un engagement oral. La Commission européenne ne peut pas diriger l’investissement privé vers les Etats-Unis, donc sur ce point, l’accord n’est pas vraiment tangible. Ensuite, concernant les 15 % de droits de douane, cela n’engage que ceux qui y croient. Donald Trump peut décider de revenir sur cet accord quand il le veut et menacer les Européens d’une augmentation des taux s’il n’est pas satisfait.

Doit-on s’attendre à une augmentation des investissements européens aux Etats-Unis ?

Les entreprises européennes ont intérêt à attendre afin de pouvoir observer concrètement l’effet des droits de douane sur les consommateurs. Vraisemblablement, les importateurs et distributeurs ne vont pas réduire leurs marges et donc les tarifs vont se répercuter sur le coût des produits importés. Ça risque de considérablement freiner le pouvoir d’achat des ménages américains qui va se retrouver avec une inflation forte. Par ailleurs, il faudra attendre de pouvoir estimer l’impact des droits de douane sur l’opinion publique puisque Donald Trump a été élu sur cette promesse de lutte contre l’inflation et de renforcement du pouvoir d’achat des ménages. Les Américains vivent à crédit et consomment au-delà de leurs revenus, donc avec des prix et des taux d’intérêt qui augmentent, le coût de l’emprunt va également progresser et risque d’enclencher une spirale un peu toxique. La politique de Donald Trump ne va pas initier ou favoriser les investissements pour réindustrialiser les Etats-Unis.

Malgré les droits de douane, les entreprises n’ont pas intérêt à délocaliser une partie de leur production pour éviter d’être soumises aux taxes ?

Délocaliser coûte cher et représente un risque. Tant que les entreprises ne savent pas si les consommateurs américains sont en mesure d’absorber les droits de douane, elles n’ont pas intérêt à délocaliser leur production. Ensuite, pour les entreprises européennes, la réindustrialisation serait plus avantageuse au sein de l’Union européenne. Au sein de l’Union, il y a plus de stabilité et aucun risque de voir des droits de douane apparaître. Par ailleurs, pour la majorité des Etats membres, les échanges internes sont les plus importants. Par exemple, la France exporte sept fois plus au sein de l’Union européenne qu’aux Etats Unis.

Le marché américain pourrait-il absorber une augmentation de la production alors même que les entreprises américaines rencontrent des difficultés pour recruter dans le secteur industriel ?

Sur la main-d’œuvre, c’est le même problème qu’en Europe. L’industrie n’a pas été stimulée donc la main-d’œuvre a été très peu formée et il y a actuellement des pénuries. Ce n’est pas irréversible, mais pour former une population et stimuler le tissu industriel il faut une politique à plus long terme.

Certains secteurs, particulièrement dépendants du marché américain, pourraient-ils quand même avoir intérêt à s’implanter aux Etats-Unis ? 

Le secteur automobile européen a déjà commencé à s’implanter aux Etats-Unis pour leur production. Mercedes et BMW, par exemple, sont déjà très présents sur le marché américain (les constructeurs automobiles allemands emploient plus de 140 000 personnes dans les usines américaines). Les industries qui ont déjà des implantations aux Etats-Unis comme l’industrie pharmaceutique ou l’industrie automobile sont les plus dépendantes du marché américain. Pour ces secteurs, il va falloir se poser la question d’un renforcement de leurs activités sur place. On le voit également pour le luxe qui pourrait être pénalisé par ces droits de douane puisque les débouchés aux Etats-Unis sont particulièrement conséquents. Bernard Arnault a d’ailleurs annoncé, le 24 juillet, l’ouverture d’un nouveau site de production aux Etats-Unis. Mais pour la grande majorité des entreprises et des industriels, pour l’instant, la meilleure chose à faire c’est d’attendre.

 

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