Depuis son retour à la Maison blanche, il est toujours difficile de savoir si Donald Trump va mettre sa menace à exécution, surtout lorsqu’il s’agit de droits de douane. Ceci étant dit, le président américain a annoncé, dimanche, sa volonté d’élargir sa guerre commerciale au cinéma, avec une taxe de 100 % sur les films diffusés aux Etats-Unis mais produits à l’étranger. « L’industrie cinématographique américaine est en train de mourir très rapidement […] Hollywood et de nombreuses autres régions des Etats-Unis sont dévastées » […] « D’autres pays offrent toutes sortes d’incitations pour attirer nos cinéastes et nos studios loin des Etats-Unis », a-t-il justifié sur son réseau Truth Social.
« Le modèle de production américain coûte très cher et a atteint un pic »
Il a pris soin de préciser qu’il s’agissait d’un « effort concerté de la part d’autres nations » représentant « une menace pour la sécurité nationale ». C’est ce motif qui peut permettre au Président américain de publier un décret imposant des droits de douane sur des produits, s’il est démontré que leur volume d’importation représente un risque pour la sécurité nationale.
« En promettant de rapatrier les tournages aux Etats-Unis, Donald Trump reprend les revendications de la Directors Guild of America qui a alerté récemment le représentant américain au commerce sur la baisse des tournages à Hollywood. Le modèle de production américain est plus cher qu’en Europe et par ailleurs, a atteint un pic. En outre, rappelons qu’une œuvre est considérée comme européenne à partir du moment où un prestataire de service ou un producteur est européen. Ainsi, les films américains tournés en Europe pourraient être considérés comme étrangers pour l’administration Trump », explique Juliette Prissard, déléguée générale d’Eurocinéma, une association de producteurs de cinéma et de télévision basée à Bruxelles.
Si Hollywood a généré 279 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022 et représente quelque 2,3 millions d’emplois, selon les derniers chiffres de l’association interprofessionnelle américaine MPA, les studios subissent la concurrence de pays comme la Thaïlande, la Hongrie ou l’Afrique du Sud, qui proposent des avantages fiscaux alléchants pour y tourner. Beaucoup de films sont par ailleurs tournés dans plusieurs pays. La Californie n’arrive qu’en sixième position d’un récent sondage de responsables de studios sur leurs lieux préférés de tournage pour 2025 et 2026. Les Etats-Unis ont également été affaiblis par les grèves historiques qui ont paralysé Hollywood pendant plusieurs mois en 2023. S’il reste une des principales destinations de tournage avec 14,5 milliards de dollars de dépenses de production en 2024, selon l’analyse du cabinet ProdPro, ce chiffre est en recul de 26 % sur deux ans.
« Il pourrait se heurter à des mesures miroirs de la part des Etats »
Le sénateur communiste, Jérémy Bacchi co-auteur d’une proposition de loi « visant à conforter la filière cinématographique en France » estime que Donald Trump « joue gros » s’il mettait sa menace à exécution. « Il pourrait se heurter à des mesures miroirs de la part des Etats ». Le secteur américain du cinéma est en effet excédentaire. Il exporte 3,1 fois plus en valeur que les importations, selon l’association interprofessionnelle américaine MPA. Selon les chiffres d’UniFrance, l’Europe reste la première zone géographique d’exploitation en salle du cinéma français avec 55,4 % des entrées mensuelles. « Donald Trump prend le problème à l’envers. La France n’est pas seulement attractive pour l’industrie du cinéma en raison d’aides financières comme le crédit d’impôt international. C’est tout un écosystème qui est favorable : une multitude de paysages à proximité, des collectivités qui soutiennent les projets.
On ne sait pas si la menace de Donald Trump porte également sur les productions de séries télévisées ou diffusées sur des plateformes de streaming en ligne.
Pour Trump, la souveraineté américaine est » violée » par la réglementation européenne
Toutefois, dans un mémorandum visant à « défendre les entreprises et les innovateurs américains contre l’extorsion étrangère », publié le 21 février, Donald Trump dénonçait « les régimes juridiques étrangers qui limitent les flux de données transfrontaliers, obligent les services de streaming américains à financer des productions locales » et donc selon lui « violent la souveraineté américaine ».
Est ici clairement visée, la Directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), dont la révision est prévue en 2026. Elle impose de la part « des fournisseurs de services de médias audiovisuels à la demande, de veiller à ce que leurs catalogues contiennent une part minimale de 30 % d’œuvres européennes et qu’elles soient suffisamment mises en valeur.
« Le démantèlement de la directive SMA marquerait la fin de la conquête de la souveraineté culturelle de l’Europe et de ses États membres. Ce serait un coup fatal pour les écosystèmes nationaux favorisant la production indépendante, et donc pour la diversité culturelle reconnue par la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », s’inquiétait l’eurodéputée socialiste Emma Rafowicz, dans courrier adressé à la présidente de la Commission européenne, en mars dernier.
En France, depuis 2021, les plateformes de streaming américaines comme Netflix, Disney, Amazon et consorts ont l’obligation d’investir dans l’exception culturelle. Le décret dit Smad (services de médias audiovisuels à la demande) demande aux groupes étrangers d’investir au moins 20 % du chiffre d’affaires qu’ils réalisent en France.
Selon les chiffres de l’Arcom et du CNC, en 2023, les plateformes de streaming américaines ont contribué à hauteur de 362 millions d’euros à la production audiovisuelle et cinématographique française.