Au lendemain de l’attaque, Moscou conteste la provenance des drones. Peut-on vraiment douter qu’il s’agit d’engins russes ?
Il faut d’abord souligner que la Pologne appartient à l’Otan et que ses dispositifs de surveillance ont parfaitement fonctionné. Il n’y a pas de doute quant à l’attribution de cette attaque à la Russie, d’autant plus que certains drones se sont écrasés, ce qui a permis de les examiner.
Une telle intrusion a-t-elle déjà eu lieu sur le sol européen ?
C’est la première fois. Depuis le déclenchement de la guerre en 2022, des drones ont déjà volé au-dessus de la Roumanie et de la Moldavie. Mais dix-neuf en même temps, c’est massif. C’est un signal très clair envoyé par Moscou, qui cherche à tester la réaction des Européens. Même si la plupart de drones n’avaient pas de charge explosive, une ligne rouge est franchie. Vladimir Poutine teste les limites de l’Union européenne et de l’Otan. Pour autant, la réaction rapide de cette dernière et l’activation de l’article 4 du traité sont un bon signe et montrent une certaine prise de conscience, mais les lendemains risquent d’être difficiles. Il va falloir faire preuve de solidarité et de pugnacité. L’objectif, ce n’est pas de faire la guerre, mais c’est d’obliger à aller à la paix.
Le 4 septembre dernier, vingt-six pays dont la France ont affirmé être prêts à envoyer des « forces de réassurance » en Ukraine pour assurer la paix en cas d’accord, sous le regard des Américains. Ces annonces peuvent-elles avoir accéléré une telle attaque ?
Non, car Vladimir Poutine sait que Donald Trump ne réagira pas, et il sait qu’il peut diviser les Européens, notamment avec les menaces récentes de Medvedev [le 8 septembre, l’ancien président russe Dmitri Medvedev a publié une tribune dans laquelle il s’attaque frontalement à la Finlande, la qualifiant de « pays hostile », ndlr], les attaques de drones, ou les guerres hybrides qui touchent l’ensemble des pays européens. Vladimir Poutine est persuadé que le temps joue pour lui et que les Européens n’auront pas le courage d’aller plus loin.
Nous sommes dans un moment stratégique, on ne mesure pas l’ampleur du fossé voulu par Trump. Lui qui prétend avoir le Prix Nobel de la paix, ne connaît que des échecs patents dans le domaine des relations internationales. Au Proche et au Moyen-Orient, il n’a aucun résultat si ce n’est la guerre, il profère des menaces contre le Brésil sous prétexte que son ami Bolsonaro a été condamné [le 11 septembre, l’ancien président du Brésil Jair Bolsonaro a été condamné à 27 ans de prison par la Cour suprême brésilienne pour tentative de coup d’État, ndlr]. Vladimir Poutine joue là-dessus, tout comme Xi Jinping. La période est très sombre.
Il faut souligner qu’heureusement, malgré la crise politique nationale, la France dispose de capacités militaires importantes et qu’elle se trouve obligée, avec les Britanniques, d’assumer un leadership.
Qu’attendre de Donald Trump dans cette situation ? Il a affirmé hier que cette intrusion pouvait être une « erreur ».
La déclaration de Donald Trump est catastrophique et inadmissible, alors même que l’ambassadeur américain à l’Otan rappelle son soutien aux pays européens. Avec ces mots, on peut se demander si Donald Trump n’a pas définitivement lâché l’Otan. Ils témoignent du désintérêt profond du président américain pour l’Europe, et il y a de quoi être extrêmement inquiet. Cette petite phrase pourrait avoir de multiples conséquences sur l’avenir de la sécurité européenne.
L’engagement des États-Unis dans l’Otan évolue depuis 2009, au moment où Barack Obama a, en quelque sorte, effectué une bascule des préoccupations stratégiques du pays cers l’Asie et plus particulièrement la Chine. Mais il y a une différence entre dire que la priorité stratégique des Etats-Unis change vers l’Asie et la Chine, tout en maintenant la solidarité avec les pays européens, comme l’a fait Obama, et l’attitude de Donald Trump depuis son arrivée au pouvoir. Il y a eu une bascule irréversible, on est à un point de clivage extrêmement difficile. Quelle va être la suite ?
Depuis cet événement, l’Otan est intervenue, l’Allemagne a renforcé son soutien aérien, la France lui a envoyé trois Rafale, et elle a convoqué l’ambassadeur russe. Est-on en train d’assister à un embrasement ?
Ce n’est pas un embrasement, mais l’Union européenne doit comprendre qu’elle est désormais seule et que l’allié américain n’est plus fiable. Cela pose un sérieux problème, car Washington est en train d’effectuer un véritable racket pour obliger les Européens à acheter du matériel militaire américain. La France a eu raison avant tout le monde en parlant d’ « autonomie stratégique ».
Aujourd’hui, on rentre dans une essoreuse dramatique. Il y faut à la fois faire face à l’agressivité russe, rester vigilant aux élections en Moldavie [le 28 septembre auront lieu les élections législatives en Moldavie, la campagne est la cible de la désinformation russe, ndlr], affronter les tentatives de déstabilisation intérieure, comme les récentes découvertes de têtes de porc devant les mosquées en France [Le 10 septembre, plusieurs têtes de cochon ont été retrouvées devant des mosquées de la région parisienne. Les faits ont été commis par des étrangers qui ont immédiatement quitté le territoire, ndlr]. La guerre hybride menée par Moscou va se poursuivre. Il faut réagir d’abord immédiatement, mais aussi sur le temps long.