Donald Trump a mis ses menaces tarifaires à exécution. Le président américain a signé lundi un décret qui porte à 25 % les tarifs douaniers sur les importations en provenance du Mexique et du Canada. Il a également durci à nouveau de 10 % ceux sur les produits chinois, un tarif qui s’ajoute aux droits supplémentaires de 10 % décrétés le mois dernier. Le locataire de la Maison Blanche accuse ces pays de ne pas avoir pris suffisamment de mesures pour lutter contre le trafic de fentanyl. Il veut surtout stimuler l’activité manufacturière dans son pays, protéger l’emploi et augmenter les recettes fiscales, issues des produits importés.
La mise en place des nouveaux tarifs douaniers intervient à un moment où certains indicateurs américains se sont dégradés. Quels sont les risques pour l’économie américaine de ce nouveau bras de fer commercial ? Entretien avec Bastien Drut, responsable de la stratégie et des études économiques chez CPR Asset Management, et professeur d’économie associé au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
En janvier, l’indice des prix PCE (Personal Consumption Expenditures) a progressé de 2,5 % sur un an. Dans quelle mesure ces tarifs douaniers vont-ils aggraver cette inflation ?
Il est clair que cela va augmenter l’inflation et les prix. On aura une inflation générale des prix qui va augmenter d’un point sur l’année qui arrive. Ce sont les estimations de différents think tanks. Les prix vont monter, mais c’est une sorte de one-off : l’effet sur l’inflation est temporaire. Cela va se voir de façon très claire pendant un an, si ces droits de douane sont maintenus. Ensuite, l’inflation retombera de façon mécanique dans un an, car cela sortira de la variation annuelle du niveau général des prix. Une partie peut être résiduelle. La hausse des droits de douane concerne les prix de consommation et les biens intermédiaires, qui servent à la production de produits finis. Ces derniers peuvent propager de l’inflation un peu plus longtemps.
Ce point d’inflation supplémentaire va-t-il peser sensiblement sur la situation des ménages américains ou cela reste marginal ?
Les estimations refaites hier par des économistes de Yale indiquent, selon qu’il y aura des mesures de rétorsion ou pas, que le coût pour les ménages américains serait de 1600 à 2000 dollars par an en moyenne. L’impact sera très différent en fonction des revenus. Comme on peut le craindre, les ménages les plus modestes vont être plus touchés.
C’est assez problématique, car ces deux ou trois dernières années, un fossé s’est creusé entre les ménages aisés et les ménages défavorisés, qui n’ont pas pu utiliser l’excédent d’épargne pendant la crise Covid ou qui l’ont utilisé très vite. Les ménages aisés ont un patrimoine financier qui a très fortement augmenté en 2023 et en 2024, il y a des effets de richesse importants qui se sont matérialisés. Au cours des deux dernières années, la consommation des ménages les plus défavorisés a peu près stagné. Les droits de douane vont causer une situation encore plus difficile pour ces ménages.
Le déficit commercial s’est creusé à un niveau inédit en janvier, c’est le signe que les importations ont augmenté en prévision des nouveaux tarifs douaniers ?
C’est ce qu’on a pu voir au cours des deux ou trois derniers mois, avec une très forte augmentation des importations. C’est évidemment une anticipation des hausses de droits de douane, pour échapper à des droits plus importants. On peut penser que cette très forte augmentation du déficit sur les derniers mois, avec un record historique battu en janvier, est plutôt temporaire. Les importations devraient être un peu moins fortes au cours des mois à venir. Cela peut avoir un impact sur le calcul du PIB, puisqu’on regarde l’évolution du solde commercial. S’il se dégrade, cela contribue négativement à la croissance. S’il se réduit ensuite, cela jouera positivement sur la croissance au deuxième trimestre.
Justement, la Réserve Fédérale d’Atlanta a fortement révisé à la baisse son estimation du PIB pour le premier trimestre, il se contracterait de 2,8 %, alors qu’elle s’attendait à une progression +2,3 % il y a encore une semaine. Y a-t-il un risque de bascule de l’économie américaine ?
On n’a que le chiffre de janvier pour le commerce extérieur, et c’est pareil pour la consommation, ce qui ne le rend pas très fiable. C’est encore trop tôt dans la durée de vie de cet outil. Il devient de plus en plus pertinent au fil des semaines, quand on a de plus en plus de statistiques sur un trimestre.
Lundi, par exemple, le géant taïwanais des semiconducteurs TSMC a annoncé qu’il investirait 100 milliards de dollars de plus aux Etats-Unis. La stratégie relocalisation aux Etats-Unis peut-elle être payante ?
En théorie, oui. Dans la pratique, c’est toujours compliqué de relocaliser des usines. Le temps de consommation et celui de la production ne sont pas les mêmes. L’administration Trump a en tête de provoquer des relocalisations. Mais les pays qui perdent des industries ont aussi perdu au fur et à mesure des compétences. Les investissements importants dans les data centers, annoncés dans les jours suivant l’investiture, c’est très bien pour ces secteurs, mais ça n’est pas toute l’économie. Pour plusieurs biens de consommation, ce sera plus difficile de reprendre une production locale.
Entre les interrogations sur la croissance, et l’inflation qui se maintient à un niveau supérieur aux objectifs banque centrale : les Etats-Unis peuvent-il connaître un épisode de stagflation ?
L’inflation est au-dessus de la cible de 2 %, et restera durable au-dessus. Je ne sais pas si on peut appeler ce niveau comme élevé, on peut dire que ce serait plus vers 4 à 6 %. En revanche, le risque c’est qu’il y ait une inflation au-dessus de la cible, et une activité qui se détériore à cause notamment des droits de douane, et peut-être de tout ce qui est en train de se passer avec les suppressions de postes de fonctionnaires, qui créent des incertitudes dans l’économie. Globalement, il y a une incertitude forte et qui pénalise l’activité.
La Bourse américaine a perdu près de 6,5 % depuis son record du 19 février. Elle est désormais même en recul depuis le 1er janvier. Que traduit cette nervosité sur les marchés ?
On a vu des enquêtes auprès de l’économie réelle, des ménages et des entreprises, qui se dégradées ces dernières semaines. Cela traduit l’anxiété de l’économie réelle par rapport aux droits de douane. Cela commence à peser. Les investisseurs ont commencé à voir de façon plus claire que ces tarifs allaient pénaliser l’activité, ce qui a fait baisser les marchés boursiers, et les taux d’intérêt ont baissé dans ce sillage.
Ce qu’on avait déjà observé en 2018-2019, pendant la première guerre commerciale, c’est qu’à chaque fois qu’il y a eu des annonces de droits de douane singuliers, cela a impliqué une baisse des taux longs et une baisse des marchés action. Cela avait conduit à l’époque l’administration Trump à annuler des hausses de droits de douane prévues, car cela pesait un peu trop sur la Bourse américaine. Il est possible qu’une baisse trop marquée de la Bourse – c’est très difficile à quantifier – amène peut-être Donald Trump à être moins agressif dans les relations commerciales.