Presidential runoff election in Poland
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Election présidentielle en Pologne : « Il y a une trumpisation de la politique polonaise », s’inquiète Dorota Dakowska 

L’élection du nouveau président polonais marque un coup d’arrêt pour la politique du gouvernement pro-européen de Donald Tusk. Malgré une campagne émaillée de scandales, l’historien de 42 ans, Karol Nawrocki, n’a cessé de gagner en popularité au fil des semaines. Son élection fait craindre une implosion de la coalition libérale au pouvoir.
Henri Clavier

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Jusqu’au bout, le suspens aura été présent. Après une nuit de confusion, où chaque camp a revendiqué la victoire, la commission électorale nationale a finalement annoncé celle du candidat nationaliste Karol Nawrocki avec 50,89 % des voix. Le maire de Varsovie et candidat libéral soutenu par le gouvernement de Donald Tusk, Rafal Trzaskowski, donné gagnant à 21h, a finalement recueilli 49,11 % des voix.  

La victoire de Karol Nawrocki, soutenu par l’ancien parti au pouvoir, le PiS (ultranationaliste et conservateur), porte un sévère coup d’arrêt aux ambitions du gouvernement pro-européen de Donald Tusk. « Nous avons gagné parce que nous avons raison. Parce que nous disons la vérité sur l’état du pays, la vérité sur la feuille de route qu’adopte la Pologne, dictée de l’étranger et mise en œuvre par Donald Tusk. C’est exactement la feuille de route inverse de celle dont la Pologne a besoin », a affirmé le leader du PiS, Jaroslaw Kaczyński. Inconnu du grand public, le nouveau président polonais, historien de formation et ancien directeur de l’Institut de la mémoire nationale, a bénéficié du soutien du parti d’extrême-droite pour accéder au pouvoir.  

Un candidat soutenu par le parti ultraconservateur PiS  

Donné largement perdant par les sondages au début de la campagne, Karol Nawrocki a vu sa personnalité et son passé animer les dernières semaines de la campagne. « C’est un candidat fabriqué à grands coups de communication, personne ne le connaissait il y a encore six mois. Le PiS a réussi à imposer quelqu’un qui sera l’homme de paille de Jaroslaw Kaczyński, avec une personnalité malléable et sans passé politique », estime Frédéric Zalewski, maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre et spécialiste de la Pologne. Une stratégie déjà utilisée par le PiS avec le président sortant, Andrzej Duda, peu connu au moment de son élection.  

Né à Gdansk, l’historien de 42 ans s’est particulièrement intéressé au rôle de l’URSS dans la Pologne post 1945 et au syndicat Solidarnosc. Durant la campagne, plusieurs scandales liés à son passé ont émergé. En 2009, Karol Nawrocki a été impliqué dans un affrontement entre deux groupes de hooligans supportant des clubs de football rivaux. Plusieurs participants ont par la suite été condamnés pour trafic de drogue, d’arme, agressions violentes ou encore pour meurtre. Par ailleurs, comme révélé par le site Onet, le futur président aurait participé à un trafic de prostitution alors qu’il travaillait pour un hôtel d’une station balnéaire de la mer Baltique.  

Une proximité avec les milieux criminels qui ne l’a pas empêché de remporter l’élection. Ses mensonges formulés pendant la campagne ne l’ont pas plus désavantagé. Alors que le futur président avait affirmé, lors du premier débat, ne posséder qu’un seul appartement comme « la majorité des Polonais », il était finalement apparu que Karol Nawrocki possédait un deuxième appartement, à Gdansk, vraisemblablement acquis à la suite d’un abus de confiance.  

« Il a eu une forme d’immunité face aux polémiques. Pire, il en a profité pour mettre en avant son caractère d’homme fort et viril »  

En dépit de ces révélations qui ont émaillé la campagne, la popularité du candidat s’est renforcée. « Il a eu une forme d’immunité face aux polémiques. Pire, il en a profité pour mettre en avant son caractère d’homme fort et viril », explique Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix. « Il y a une trumpisation de la politique polonaise. Ces révélations ont renforcé la conviction de beaucoup de Polonais de voter pour un ‘gars bien de chez nous’ » continue Dorota Dakowska. Son slogan, « La Pologne d’abord, les Polonais d’abord » illustre d’ailleurs la proximité idéologique avec le président américain qui l’a reçu à la Maison-Blanche le 30 avril.  

Malgré cela, difficile de voir une surprise dans le résultat de l’élection tant le PiS reste solidement implanté en Pologne dont il a entièrement dominé la vie politique entre 2015 et 2023. « Ce qui est certain, c’est que l’on voit que la société polonaise est extrêmement polarisée. On observe également une réussite de toutes les stratégies de mobilisation conservatrices qui transforment la campagne politique en guerre culturelle », note Frédéric Zalewski. Néanmoins, si certains éléments font apparaître des clivages classiques, entre villes et campagnes notamment, Dorota Dakowska souligne un « plébiscite des jeunes pour les partis nationalistes et d’extrême-droite ».  

Au premier tour, le vote des moins de 35 ans avait largement plébiscité les candidats d’extrême-droite hors PiS et les candidats de gauche. Alors que les deux candidats étaient au coude-à-coude et affichaient des scores proches de 30 % à l’issue du premier tour, le candidat du PiS semble avoir bénéficié d’un meilleur report de voix. Karol Nawrocki a notamment signé une déclaration en huit points pour s’assurer le soutien de Slawomir Mentzen, issu de la formation d’extrême-droite, Konfederacja. Parmi ses promesses, le refus de toute législation qui augmenterait les impôts, limiterait la liberté d’expression ou mènerait à la ratification de l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’Otan.  

« Le droit de veto est sa principale prérogative »  

Reste à savoir si le nouveau président respectera sa parole. « Il faudra voir comment se comporte le nouveau président qui est un novice en politique. Il y aura forcément des conséquences à moyen et à long terme », explique Dorota Dakowska. Car si l’arrivée au pouvoir de Karol Nawrocki n’implique pas nécessairement une démission du gouvernement de Donald Tusk, la constitution polonaise octroie un important pouvoir de nuisance au président de la République.  

« Le droit de veto est sa principale prérogative et il peut l’utiliser pour paralyser l’action du gouvernement et tenter de faire exploser la coalition, en bloquant la loi de finances par exemple. La coalition peut aussi s’effriter et subir les conséquences d’un vote de sanction, mais à ce stade, ça reste de la politique-fiction », analyse Dorota Dakowska. Si le nouveau président peut difficilement s’opposer à l’Union européenne, il disposera néanmoins de moyens importants pour entraver l’action gouvernementale sur l’avortement ou en matière de protection des droits des personnes LGBTQ +. 

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