Ce dimanche, avaient lieu les élections législatives en Moldavie. Bien qu’ayant lieu dans un petit pays non-membre de l’Union européenne, elles étaient cruciales pour l’avenir de l’Europe. Le parti au pouvoir, dont est issue la présidente Maia Sandu, le PAS (parti action et solidarité), a remporté le scrutin avec plus de 50 % des suffrages, dépassant de loin le bloc pro-russe, le BEP (bloc électoral populaire), qui totalise 24,3 % des voix. Un résultat qui rassure le vieux continent, tant la campagne a été émaillée d’ingérences russes. On fait le point avec Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof et co-auteur de La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu, Edition du Non-lieu, 2019).
Le camp pro-européen, et par ricochet l’Europe, ont-ils gagné une bataille, avec la victoire du PAS hier ?
Clairement, l’Union européenne jouait au moins sur trois plans lors de ces élections. Elle a apporté son soutien au parti pro-européen, le Parti Action et Solidarité (PAS), et de ce point de vue, ce dernier a rempli sa mission : non seulement arriver en tête, mais également obtenir une majorité absolue au Parlement. Cela lui permettra de former seul un gouvernement et mettra ainsi fin aux spéculations sur le jeu des alliances.
Le deuxième plan sur lequel jouait l’Union européenne concerne le processus d’élargissement. Elle a proposé à la Moldavie le statut de pays candidat en juin 2022. Les Européens ont multiplié les initiatives : le deuxième sommet de la Communauté politique européenne a été organisé en juin 2023 au château de Mimi à Bulboaca ; Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a visité le pays en 2024 avant les élections européennes ; Emmanuel Macron, le chancelier allemand Friedrich Merz et le Premier ministre polonais Donald Tusk s’y sont également rendus en août dernier, avant la fête de l’indépendance, pour rencontrer sa présidente Maia Sandu. Il aurait été compliqué de justifier la politique d’élargissement, si elle n’était pas souhaitée par les Moldaves. Celle-ci a été justifiée par les événements d’hier soir.
Troisièmement, l’Union européenne a des intérêts en Moldavie concernant la guerre en Ukraine. Un gouvernement qui s’éloignerait de l’Union européenne dans le contexte de cette guerre constituerait une nouvelle difficulté introduirait une ambiguïté stratégique sur le sud de l’Ukraine. Or, cette zone sera l’objet de la poussée russe dans les prochains moins.
Des incidents ont-ils eu lieu dans des bureaux de vote lors de ces élections ? De la corruption électorale a-t-elle été recensée ?
Ce n’est pas ce qui est remonté. Des alertes à la bombe ont été lancées dans plusieurs villes, en Moldavie comme dans des pays étrangers, au moment du vote. Cela visait notamment à empêcher la diaspora de voter. Or, elle se mobilise généralement pour le PAS. Du côté de l’opposition, on peut déplorer que seulement deux bureaux de votes aient été ouverts en Russie, alors qu’elle accueille sur son sol beaucoup de Moldaves. En Transnistrie, quelques incidents ont été recensés : les résidents de cette région ayant la nationalité moldave pouvaient voter, mais certains ponts ont été bloqués.
Chaque camp a pu attribuer à l’autre des agissements. Pour autant, alors qu’au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2024, Maia Sandu avait dénoncé 300 000 achats de vote, elle n’a pas fait une telle déclaration cette fois-ci. Cela ternirait l’image qu’elle veut afficher de résultats irréprochables.
Comment les deux principaux blocs, le PAS et le BEP, ont-ils évolué depuis les dernières élections législatives en juillet 2021 ?
Le PAS recule un peu, tout en conservant une majorité absolue, ce qui reste une performance extrêmement forte. Le BEP, composé de partis communistes et socialistes, perd un peu de voix. Un parti a été interdit avant les élections, le parti d’Ilan Shor, pro-russe, pour des raisons de financement illégal. Le « bloc victoire » a été empêché de concourir par une décision de justice. Sa représentante dans la région de Gagaouzie a même été arrêtée et condamnée à de la prison au mois d’août, ce qui a eu des effets clivants au sein de l’électorat. Les partisans du PAS y ont vu une avancée dans la réforme de la justice. L’opposition y a vu un procès politique, fait à dessein, à quelques semaines des élections. Chacun des camps s’est enfermé dans sa bulle. Le parti interdit occupait un rôle secondaire, voire tertiaire, dans la vie politique moldave.
L’interdiction de ce parti a permis l’apparition de trois autres formations : le bloc Alternative, mené par le maire de Chisinau, et deux autres partis (Partidul Nostru, et le Parti « démocratie à la maison »). C’est la nouveauté de ce scrutin : trois partis qui ne se définissent pas uniquement par des sujets géopolitiques.
En bout de course, cela donne la victoire d’un parti qui se réclame de l’intégration européenne comme principal outil de politique étrangère comme de politique intérieure ; un parti pro-russe qui ne fait pas mieux qu’un quart de l’électorat ; et une offre qui ne se réduit pas à la question de politique étrangère et qui récupère les déceptions des citoyens envers le PAS. Il n’y aura pas de période d’incertitude, contrairement à ce qui était attendu. La Moldavie devrait être capable assez rapidement de confirmer son Premier ministre ou d’en changer, mais incontestablement, c’est la continuité qui ressort de ces élections.
Ces élections, à l’enjeu important, ont-elles mobilisé davantage la population moldave ?
Le taux de participation est de 52 %, ce qui est dans une fourchette relativement haute. On aurait pu imaginer que les déçus du PAS n’iraient pas aux urnes, mais finalement, au vu de la campagne anxiogène et centrée sur les enjeux géopolitiques, ils ont pu au dernier moment se tourner vers le PAS. Les sondages, une semaine avant le scrutin, estimaient à 30 % le taux d’électeurs n’ayant pas fait leur choix, mais l’ambiance des deniers jours a pu susciter un sursaut légitimiste.
La victoire du PAS est-elle une défaite pour la Russie et sa stratégie d’ingérence ?
Oui, dans la mesure où, à la dernière minute, les électeurs moldaves on fait un autre choix. Pendant la campagne, les sondages donnaient le PAS à 43-44 %. Il y a véritablement eu une dynamique en faveur du PAS. Les tentatives de désinformation ont pu exploiter une forme de mécontentement, mais il ne s’est pas traduit sur le résultat des élections.
La victoire du PAS envoie un message : y compris sur un territoire comme la Moldavie, qui aurait pu être plus perméable, on s’aperçoit qu’il est possible, quand les dirigeants sont très engagés dans le domaine, de contrer la désinformation.