La cité des anges est en proie aux flammes. Du moins, c’est ce que le président américain affirme. « C’est Donald Trump lui-même qui a créé cette crise », affirme Olivier Burtin, maître de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’Université de Picardie Jules Verne. « Les heurts sur place étaient relativement calmes ».
Depuis vendredi, l’une des banlieues de Los Angeles, composées à majorité d’hispaniques, subit de nombreuses protestations. Les manifestants s’opposent aux multiples arrestations d’immigrés menées ces derniers jours par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), la police fédérale de l’immigration.
Selon, Jim McDonnell, le chef de la police de Los Angeles, cité par le Los Angeles Times, les manifestations étaient globalement pacifiques. Elles ont cependant dégénéré, à certains endroits, en affrontements avec les forces de l’ordre. Des voitures ont été incendiées et les émeutiers ont pillé plusieurs commerces. Après avoir dénoncé « l’anarchie » en cours, Donald Trump a ordonné samedi soir le déploiement de 2 000 membres de la Garde nationale. Sa réponse s’est encore durcie hier par la mobilisation de 700 Marines et 2 000 réservistes supplémentaires de la Garde nationale.
« Avec lui, tout est permis »
Si le déploiement des Marines sur le sol américain est régi par des limitations légales très strictes, leur mobilisation fait craindre à des débordements du cadre de la loi. En cas d’invocation de « l’Insurrection Act », ce texte fédéral qui autorise le président des États-Unis à déployer l’armée sur le territoire, les forces mobilisées pourraient être autorisées à procéder à un maintien de l’ordre. Pour l’heure, les Marines sont positionnés à la protection des bâtiments fédéraux. « Trump va juger s’il est intéressant politiquement d’invoquer l’Insurrection Act », prévient Olivier Burtin. « Avec lui, tout est permis ».
Mais cette réquisition a immédiatement fait réagir. Dans un message posté sur X, le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, a qualifié la décision de « délibérément incendiaire » et qui ne ferait « qu’aggraver les tensions ». Et pour cause, le maintien de l’ordre est une prérogative de l’Etat et non pas d’une décision fédérale. Il faut remonter à 1965 pour voir un président déployer les militaires sans demande préalable d’un gouverneur d’État. Cette année-là, le président Lyndon Johnson réquisitionnait la Garde nationale pour une tout autre raison : protéger les manifestations portées par Martin Luther King des attaques perpétrées par… les ségrégationnistes blancs.
« C’est une escalade, dans le sens où les heurts sont restés limités et que la police avait la situation en main », juge Olivier Burtin. « Trump essaye de faire en sorte que la situation dégénère en lui accordant une importance médiatique. Si les heurts se généralisent, il en tirera un avantage médiatique au risque de voir la situation véritablement dégénérer, avec des morts ».
Un bras de fer entre Trump et le gouverneur de Californie
Mais c’est surtout sur X que la situation s’est envenimée. Le gouverneur de Californie a accusé Donald Trump « d’espérer le chaos pour pouvoir justifier plus de répression, plus de peur, plus de contrôle ». En retour, le président américain a trouvé « super » l’idée d’arrêter le gouverneur lui reprochant un « boulot horrible ». « Allez-y, arrêtez-moi », a réagi le gouverneur en mettant au défi Donald Trump. « Le président des Etats-Unis vient d’appeler à l’arrestation d’un gouverneur en exercice. […] C’est une ligne que nous ne pouvons pas franchir en tant que nation – c’est un pas incontestable vers l’autoritarisme », a-t-il ajouté.
Pour Olivier Burtin, la guerre menée par l’administration Trump contre l’Etat fédéral a cependant déjà commencé : « Il y a quelques mois, une juge dans le Wisconsin a été arrêtée pour avoir soi-disant aidé un immigré à échapper à une arrestation. Je ne pense pas qu’il va le faire, mais s’il arrête un gouverneur, cela conduirait à une vraie escalade. Personne ne s’attendait à ce qu’il fédéralise la Garde nationale, donc il est tout à fait possible qu’il opte pour une stratégie encore plus agressive ». Le procureur général de Californie, Rob Bonta, a annoncé poursuivre Donald Trump en justice, invoquant une « violation » de la Constitution de la part du président américain.
La Californie : bastion progressiste
« Pour Gavin Newsom aussi, c’est bénéfique », assure Olivier Burtin. « Il passe pour l’opposant majeur à Trump ». A la tête, depuis 2019, de l’Etat le plus puissant économiquement du pays, le gouverneur incarne désormais le principal opposant à Donald Trump. Selon toute vraisemblance, il devrait briguer l’investiture démocrate pour la Maison Blanche en 2028.
Véritable bastion progressiste, la Californie a déjà subi, à de nombreuses reprises, les velléités du président américain. « Il avait déjà demandé à son administration de passer en revue les bourses allouées aux universités californiennes », rappelle Olivier Burtin. « Des subventions fédérales pourraient également être suspendues. Mais ici nous avons affaire à une attaque d’une plus grande ampleur, contre un Etat qui est perçu comme le champion du libéralisme et de la gauche américaine ».
« Red meat »
Dès lors, quel intérêt pour Donald Trump d’envenimer la situation au risque de créer de véritables heurts et de renforcer la position de son principal adversaire ? Selon Olivier Burtin, le président américain poursuit un double intérêt. Connu pour ses talents de communication, Donald Trump souhaite faire oublier ses querelles de la semaine passée, avec son ancien fidèle, le milliardaire Elon Musk. « Il cherche à séduire ses électeurs qui ont pu être déçus de la situation avec Elon Musk, cette base électorale qui est idéologiquement plus proche du milliardaire ».
Donald Trump espère surfer sur l’opinion américaine. « A Los Angeles, il apparaît comme étant du côté de la loi et de l’ordre », souligne Olivier Burtin. « Les Démocrates passent pour les défenseurs des manifestants tandis que Trump passe pour un défenseur du droit ».
Pour le chercheur, cette séquence politique est un cas typique de « red meat » (viande rouge). Le terme vise à désigner les déclarations utilisées par les responsables politiques pour plaire à leurs électeurs ou pour générer une forte réponse émotionnelle. « Cette situation qui s’envenime, a un intérêt électoraliste, mais permet aussi à Donald Trump de revenir sur la scène médiatique », conclut-il.