Ecuador Violence

Équateur : prise d’otages sur un plateau de télévision, la violence des narcotrafiquants à son paroxysme

Mardi 9 janvier, un groupe d’hommes armés a pris en otage les journalistes d’une télévision publique équatorienne. Le président a déclaré le pays en état de « conflit armé interne » et a déployé l’armée pour faire face à la violence des gangs de narco-trafiquants. Selon la chercheuse, Emmanuelle Sinardet, l’Equateur est dans un « continuum de violence qui va crescendo et sans discontinuer ».
Rédaction Public Sénat

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La crise sécuritaire en Équateur a atteint son paroxysme, mardi après-midi, quand des hommes armés ont fait irruption sur le plateau de télévision de la chaine publique TC Television à Guyaquil. Munis de pistolets, de fusils à pompe et même de grenades, les assaillants ont pris en otage les journalistes et employés de la chaîne face à la caméra qui continuait de tourner. Cagoulés ou à visage découvert, ils se sont filmés en faisant des signes de reconnaissance propres aux narco-trafiquants. Pendant de longues minutes, ils frappent et forcent les otages à s’allonger sur le sol, avant que la police n’intervienne. C’est le dernier épisode d’une violence spectaculaire qui frappe l’Équateur, après trois jours d’une crise sécuritaire sans précédent. Cette crise fait suite aux évasions d’Adolfo Macias, chef du gang Los Choneros composé d’environ 8000 hommes, et de celle de Fabricio Colon Pico, le chef du gang des Los Lobos, quelques jours plus tard.

 

« Conflit armé interne »

 

Par décret, le président Daniel Noboa a déclaré le pays en état de « conflit armé interne » mobilisant ainsi « les forces armées et la police nationale » pour « garantir la souveraineté et l’intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non étatiques » qui ont déjà fait au moins 10 morts depuis le début de la crise. De son côté, l’administration pénitentiaire déclare compter 139 membres de son personnel retenus en otages dans 5 prisons du pays, tandis que la police décompte la prise d’otage de 7 agents. L’état d’urgence autorise l’armée déployée à assurer la sécurité dans les rues et les prisons tandis que le pays se fige. À Guayaquil et à Quito, de nombreux hôtels, restaurants et commerces ont fermé leur porte, tandis que le ministère de l’Éducation a annoncé la fermeture de toutes les écoles du pays jusqu’à la fin de la semaine.

Face à cette violence, l’inquiétude s’exporte. L’état d’urgence a aussi été déclaré dans les régions frontalières avec l’Équateur au Brésil, au Chili, en Colombie et au Pérou. Au même titre, les Etats-Unis se disent « extrêmement préoccupés » par la violence et sont « prêts à fournir de l’assistance » a déclaré le chef de la diplomatie américaine pour l’Amérique latine, Brian Nichols. La Chine suspend l’accueil du public à son ambassade et son consulat.

 

Axe stratégique des trafics de drogues

 

Ce pays, autrefois un havre de paix, est aujourd’hui victime des gangs de narco-trafiquants qui ont fait de l’Équateur un axe stratégique dans le trafic de drogues.  Après l’assassinat d’un candidat à l’élection présidentielle il y a quelques mois, Emmanuelle Sinardet, directrice du Centre d’Études Equatoriennes au sein du Centre de Recherche Ibériques et Ibéro-américaines, pensait que l’on avait atteint l’apogée de la violence, mais la récente et spectaculaire prise d’otages est la preuve que non.

Depuis les accords de paix signés en 2016 entre le gouvernement colombien et les Farc, l’Équateur est victime d’un « continuum de violence qui va crescendo et sans discontinuer », explique-t-elle. L’accord qui supposait le désarmement des groupes armés colombiens, a mené certains groupes de narco-trafiquants à chercher de nouveaux territoires pour exporter leur cocaïne. L’Équateur, pays limitrophe avec qui la Colombie partage des frontières poreuses, est une cible de choix. Le pays devient alors « la nouvelle plaque tournante du trafic de drogue ». Pour les gangs colombiens, mexicains et même albanais, l’Équateur est une étape stratégique : le port de Guyaquil est une porte sur le Pacifique tandis que la jungle amazonienne partagée avec le Brésil est un accès à l’Atlantique. La violence dont est victime le pays est nourrie par la concurrence territoriale que se livrent ces différents groupes. Selon un rapport semestriel de l’Observatoire équatorien du crime organisé, les homicides de jeunes entre 15 et 19 ans ont augmenté de 500 % depuis 2019. Les assassinats de rues quant à eux ont augmenté de 800% entre 2018 et 2023.

 

Un pouvoir politique mis à mal par la corruption

 

L’explosion de la violence s’accompagne d’une corruption endémique. « La pénétration des narcotrafiquants par la corruption dans les institutions est à tous les niveaux, depuis le policier de base au sommet avec les généraux », constate Emmanuelle Sinardet. Il y a « une pénétration au cœur même de l’État des trafiquants de drogue : au sein de la police, du système judiciaire et pénitentiaire ».

Le candidat à l’élection présidentielle Fernando Villavicencio, assassiné pendant la campagne présidentielle d’août dernier, déplorait même l’existence d’un « État-narco ». Le président actuel Daniel Noboa promettait de rétablir l’ordre dans un contexte pacifié en luttant contre la corruption, contrairement à son adversaire Jan Topic qui préconisait une approche plus violente contre les gangs. Une stratégie similaire à la méthode du président du Salvador qui a déclaré la guerre, en mars 2022, contre les gangs qui sévissent dans son pays. Mais malgré la mise en place de son plan de lutte contre la corruption, le plan « métastase », Daniel Noboa est contraint d’adopter une politique plus dure face à une violence toujours plus spectaculaire. Emmanuelle Sinardet observe un « durcissement de son ton et de ses méthodes, car il a été élu sur la promesse de rétablir l’ordre et de mettre fin à ce climat d’insécurité ». Elle ajoute aussi que la « campagne électorale qui ne dit pas son nom explique ce changement de ton (…) Il y a un climat de terreur. Ce continuum de violence à chaque fois plus spectaculaire peut donner à l’opinion publique un appui à la position de la main dure ».

Selon Emmanuelle Sinardet, il cherche à « se présenter comme l’homme de la situation » alors que la campagne électorale sera lancée dans quelques mois. La prochaine élection présidentielle est prévue en 2025.

Kanumera Creiche

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