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Sen. Bernie Sanders, I-Vt., talks to Vice President Kamala Harris, right, during a ceremonial swearing ceremony in the Old Senate Chamber at the Capitol, Friday, Jan. 3, 2025. (AP Photo/Manuel Balce Ceneta)/DCMC130/25003834408285//2501040028

Etats-Unis : en manque de leadership, le parti démocrate toujours rongé par des dissensions internes 

Plongé dans la tourmente après la défaite de Kamala Harris à l’élection présidentielle de 2024, le parti démocrate se divise toujours entre son aile centriste et une aile progressiste. Des divisions qui paralysent la capacité des démocrates à s’opposer à Donald Trump et menacent l’avenir du parti.
Henri Clavier

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Six mois après son retour à la Maison Blanche, la cote de popularité de Donald Trump s’effondre dans les sondages. Incapable d’apporter la paix au Moyen-Orient ou en Ukraine comme il l’avait promis, la politique économique de Donald Trump déçoit également. Seulement 40 % des Américains se disent satisfaits de l’action de Donald Trump, un niveau historiquement faible pour un président au début de son deuxième mandat selon un sondage de l’institut américain Gallup publié le 24 juillet 2025.

Paradoxalement, cette perte de vitesse de Donald Trump dans l’opinion publique ne profite pas vraiment au parti démocrate qui, selon un sondage NBC news publié en mars 2025, a récemment atteint son plus fort niveau d’impopularité depuis 1990 avec seulement 27 % d’opinions favorables. Un niveau particulièrement inquiétant pour le parti de Barack Obama, qui quelques mois après la défaite de Kamala Harris face à Donald Trump ne cesse d’afficher ses divisions. Ainsi, selon un sondage YouGov publié le 4 juillet 2025 seulement 28 % des Américains jugent le parti démocrate « uni » et seulement 8 % l’estime « très uni ». Des divergences qui s’expriment vivement au sein du parti démocrate qui peine à s’accorder sur les raisons de l’échec de Kamala Harris.

Une question particulièrement vivace car si Trump a largement remporté le vote au niveau fédéral, les écarts de voix entre les deux candidats se sont révélés historiquement faibles. En effet, contrairement à 2016, Donald Trump a remporté le vote populaire, mais le président républicain n’affiche qu’une avance d’un peu plus de 2 millions de voix et un écart de 1,49 point de pourcentage soit l’un des plus faibles écarts depuis la fin du XIXe siècle. Surtout, le Parti démocrate a perdu plus de 6 millions de voix entre 2020 et 2024, symbole de son incapacité à mobiliser son électorat historique. Depuis ces débâcles, les démocrates peinent à s’accorder sur les raisons de leur échec et donc sur les leçons à tirer de l’élection présidentielle de 2024. 

Gueule de bois post-électorale 

La défaite de Kamala Harris a laissé une forme de vide et depuis novembre 2024, les démocrates se retrouvent dépourvus de toute forme de leadership au niveau fédéral. En effet, dans le système politique américain les deux grands partis font largement figure de « machine à investiture » et ne sont véritablement actifs que durant les périodes électorales. Par ailleurs, on observe fréquemment, au sein d’un même parti, des lignes politiques distinctes, ce qui explique le recours systématique aux primaires. « Faute d’occuper la Maison blanche, il n’y a pas de leader inhérent au Parti démocrate et donc cette vacance à la tête du parti pousse presque naturellement les différentes factions à faire valoir leurs points de vue », pointe Maxime Chervaux, professeur agrégé à l’Institut français de géopolitique et spécialiste de la géographie électorale aux États-Unis. 

« On a vraiment deux branches qui ont du mal à s’accorder sur le diagnostic et les raisons de l’échec de la candidature de Kamala Harris. La branche la plus à gauche pense que les démocrates ont perdu en se désolidarisant de leur base et des préoccupations des plus pauvres tandis que la branche la plus centriste juge que Kamala Harris a fait une campagne trop à gauche », explique Ludivine Gilli, directrice de l’observatoire de l’Amérique du Nord à la fondation Jean Jaurès. Dans ce contexte, les démocrates éprouvent des difficultés à s’unir autour d’une stratégie commune pour s’opposer aux politiques mises en place par l’administration Trump. 

Une absence de ligne commune pour s’opposer à Donald Trump 

S’il est « difficile de dire que le parti démocrate est plus divisé que jamais, on constate en revanche que les divisions paralysent l’action du parti et sa capacité à s’opposer, de manière unie, aux politiques de Donald Trump », pointe Ludivine Gilli. Ainsi, les manifestations historiques du « No kings day » – qui ont rassemblé près de 5 millions de personnes à travers le pays – contre la parade militaire organisée par Donald Trump n’ont pas été organisées à l’initiative des différents leaders démocrates, mais par le mouvement 50501 qui a émergé en janvier sur le forum de discussion Reddit pour s’opposer à Donald Trump. 

Alors que les tenants de l’aile progressiste, le sénateur Bernie Sanders et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, se sont lancés dans une tournée des Etats-Unis pour « lutter contre l’oligarchie », l’aile centriste a, le 14 mars, soutenu un texte budgétaire de l’administration Trump. Ainsi, 9 sénateurs démocrates, dont le chef de la minorité démocrate au Sénat Chuck Schumer, ont soutenu le texte pour éviter un « shutdown » c’est-à-dire une interruption des activités fédérales non essentielles. Un positionnement qui lui a valu de fortes critiques au sein de son camp même si Chuck Schumer défendait une manière de s’opposer au projet de mise au pas de l’État fédéral par Donald Trump. 

Principale conséquence de ces divisions, l’opposition démocrate aux politiques de Donald Trump s’exprime principalement au niveau des Etats fédérés. « Sur l’immigration, par exemple, certaines villes, certains comtés se sont déclarés « sanctuaires » c’est-à-dire qu’ils ne participent pas à la mise en œuvre de la politique fédérale », explique Ludivine Gilli. Malgré cela, le 47e président des Etats-Unis a tout de même pu réquisitionner les 4 000 membres de la garde nationale de Californie afin de rafler et d’expulser massivement les migrants en situation irrégulière dans l’Etat. Face à cette situation, le gouverneur démocrate de l’Etat le plus peuplé des Etats-Unis, Gavin Newsom, a pris la parole pour dénoncer « l’autoritarisme » de Donald Trump et son « attaque coordonnée contre les fondements mêmes de la démocratie américaine ». Un discours qui l’a directement propulsé au premier plan et l’a auréolé d’une stature présidentielle. 

Une aile centriste à la reconquête de l’électorat blanc et ouvrier 

Gavin Newsom peut-il incarner la renaissance du parti démocrate ? « Gavin Newsom se pose en premier opposant de l’administration Trump depuis son premier mandat. Il le fait parce qu’il a la visibilité, une majorité écrasante, et la richesse de l’État de Californie et cela a été particulièrement visible récemment. En 2025, néanmoins, il a opéré un virage sur les questions liées au wokisme et développe une stratégie visant à renouer avec l’électorat blanc masculin ouvrier et employé qui a basculé à droite. Il essaye de faire ce virage en se rendant dans des podcasts dont l’audience est acquise à Donald Trump comme celui de Joe Rogan, et même en créant le sien », détaille Maxime Chervaux. 

Un électorat principalement présent dans les États de la Rust belt, historiquement acquise aux démocrates, qui avait permis à Joe Biden de l’emporter face à Donald Trump en 2020. Un courant puissant au sein du parti démocrate et qui appelle à se focaliser sur les questions de pouvoir d’achats plutôt que sur la défense des droits des minorités. « L’aile centriste se fédère autour de l’Abundance Framework qui découle du livre « Abundance » d’Ezra Klein et Derek Thompson. Dans les grandes lignes, cette mouvance propose de reformuler le message politique, d’arrêter avec les contraintes et de faire de la prospérité la priorité politique », rapporte Ludivine Gilli. 

Cependant, cette proposition n’emporte pas l’adhésion de l’ensemble du parti démocrate. Car si les voix de l’électorat blanc et ouvrier ont manqué à Kamala Harris, elles ne suffisent pas à expliquer l’écart de voix avec Joe Biden en 2020. D’autres électorats ont fait défaut à Kamala Harris, notamment les hispaniques où elle réalise un score inférieur de 7 points par rapport à Joe Biden (53 % contre 60 %) ou encore chez les jeunes où l’on constate un écart de 5 points (55 % contre 60 %). 

A New York, la surprise Zohran Mamdani, motif d’espoir pour l’aile progressiste 

Ce débat sur les origines et les causes de la défaite de Kamala Harris a également alimenté la primaire démocrate pour l’élection municipale de New York. Dans une ville largement acquise aux démocrates, c’est un candidat qui se revendique socialiste, Zohran Mamdani, qui l’a emporté à la surprise générale. Une primaire qui a pris des allures de règlement de comptes idéologique puisque Zohran Mamdani était opposé à Andrew Cuomo, un pur produit de l’establishment démocrate. « La victoire de Zohran Mamdani aux primaires démocrates pour la mairie de New York peut illustrer les dissensions internes au parti démocrate et la popularité auprès de la base d’une ligne politique plus à gauche. Il a fait une excellente campagne dans la mesure où il était encore inconnu en février. Il a réussi une vraie campagne de terrain avec des thématiques autour du pouvoir d’achat et a su mobiliser la jeunesse », pointe Ludivine Gilli. 

S’il s’agit incontestablement d’une surprise, Zohran Mamdani a bénéficié d’un contexte favorable puisque son principal rival, Andrew Cuomo, était visé par plusieurs accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement. Par ailleurs, le maire sortant, Eric Adams, ne participait pas à la primaire. Empêtré dans une affaire de corruption, l’édile de New York est accusé de s’être rapproché de Donald Trump pour obtenir un abandon des poursuites contre lui, un marchandage nié par le principal intéressé. « Il faut relativiser les conséquences de la victoire de Zohran Mamdani puisqu’il y a déjà un passif à New York où des figures progressistes comme Alexandria Ocasio-Cortez ont déjà émergé face à des personnalités centristes bien implantées », estime Maxime Chervaux. 

« Il faut éviter d’essentialiser les différences que l’on peut constater entre les différents élus. Les différences ne sont pas irrémédiables » 

Face à ses divisions, il peut être tentant de considérer que le parti démocrate se trouve dans son moment « Tea party » en référence aux divisions qui ont fracturé le parti républicain sous la présidence de Barack Obama. Cette mouvance proche de l’idéologie libertarienne et opposée aux taxes de l’Etat fédéral n’avait pas hésité à s’attaquer à l’establishment républicain jetant ainsi les premiers jalons idéologiques du Trumpisme. « Je ne pense pas que l’on puisse réellement parler d’un moment « Tea party », même s’il y a un potentiel. Le phénomène n’est pas nouveau et les divisions au sein du parti démocrate étaient très vives en 2016 où l’establishment démocrate s’est mobilisé pour empêcher l’investiture de Bernie Sanders. Les mois qui viennent, notamment avec la campagne pour New York, devraient donner des indications pour la suite », avance Ludivine Gilli. 

Un constat partagé par Maxime Chervaux qui rappelle que le Parti démocrate reste capable de s’unir. « Il faut éviter d’essentialiser les différences que l’on peut constater entre les différents élus. Les différences ne sont pas irrémédiables. Biden, réputé centriste, a réussi à fédérer le parti démocrate sur de nombreux textes. Il ne faut pas non plus dramatiser le fait qu’il y ait des débats, même intenses », estime le chercheur.

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