Paris: Macron and Netanyahou during a press conference at Elysee Palace

France-Israël : 70 ans de relations entre affinités et coups de froid

Paris et Tel-Aviv ont tissé des rapports depuis la naissance de l’Etat hébreu, rapports marqués à la fois par la volonté de la France de maintenir une politique étrangère tournée vers le monde arabe et par sa position sur le conflit israélo-palestinien. Vue d’ensemble.
Romain David

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« Nous portons la position historique de la France depuis Charles de Gaulle, au moins, c’est-à-dire depuis 60 ans ». Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, a pris la défense de sa famille politique ce mardi, lors d’une conférence de presse, alors que plusieurs élus de La France insoumise sont pointés du doigt depuis samedi pour leur réaction après l’attaque surprise du Hamas contre Israël. La référence à Charles de Gaulle évoque un revirement dans les rapports entre la France et Israël, et l’adoption d’une position critique vis-à-vis de l’Etat hébreu après la guerre des Six Jours. Mais cet épisode, souvent cité, a aussi tendance à éclipser plus d’un demi-siècle de relations diplomatiques, également déterminées par les intérêts géopolitiques des uns et des autres. Retour sur une relation en dents-de-scie.

Le 29 mai 1947, la France vote la résolution 181 de l’ONU en faveur de la création d’une solution à deux Etats, un Etat juif et un Etat arabe, sur l’ancien territoire de la Palestine, occupé par les Britanniques depuis le démantèlement de l’empire Ottoman. « Avant la Seconde Guerre mondiale, le mouvement sioniste avait plutôt échoué à convaincre les officiels français », relève Alain Dieckhoff, sociologue spécialiste du conflit Israélo-Palestinien et directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. « Le projet de création d’un Etat libre et indépendant semblait alors très loin de la vision française, celle d’une intégration à travers un processus d’émancipation individuel dans un cadre démocratique et républicain. »

La création de l’Etat d’Israël est proclamée le 14 mai 1948, après le retrait des troupes britanniques et une première série d’affrontements entre la communauté juive et la communauté arabe. La France ne reconnaît officiellement l’existence d’Israël qu’un an plus tard. Paris attendait un accord de réparation après la destruction d’établissements religieux français pendant la guerre civile. Ces atermoiements sont à l’image de la relation diplomatique qui va se tisser jusqu’à la fin du XXe siècle, marquée tantôt par un vif enthousiasme, tantôt par une certaine prise de distance.

Une forte collaboration militaire

Les années 1950 marquent une période d’intenses coopérations entre Paris et Tel-Aviv. La décennie fait presque figure d’anomalie dans l’histoire des relations diplomatiques entre les deux pays. « Elle est à replacer dans un contexte particulier de décolonisation. D’un côté Israël est en conflit avec les Etats arabes. De l’autre la situation algérienne est devenue un boulet dans les relations de Paris avec le monde arabe », pointe Alain Dieckhoff. La France, qui veut conserver l’influence historique qu’elle a longtemps eue au Levant, sur fond de rivalité avec la Grande-Bretagne, va donc s’appuyer sur son activité diplomatique avec Israël pour garder un pied dans la région, activité qui se manifeste notamment sur le plan de la coopération militaire.

En 1956, Israël participe avec la Grande-Bretagne et la France à l’opération militaire lancée après la nationalisation du canal de Suez. L’armée se dote des Mirage III de Dassault Aviation, tandis que la France participe activement au développement d’un programme nucléaire israélien. La centrale de Dimona, dans le désert du Néguev, est née de cette collaboration. Paris est réputé avoir joué un rôle clef pour permettre à l’Etat hébreu de se doter de l’arme nucléaire. Même si officiellement Tel-Aviv n’a jamais reconnu posséder l’arme atomique, et si le nombre d’ogives dont le pays dispose fait régulièrement l’objet de spéculations.

La proximité entre la France et Israël continue d’être entretenue après l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle. David Ben Gourion, le Premier ministre israélien, est reçu à Paris en juin 1960. « Les liens d’amitié qui unissent la France et Israël sont multiples, profonds et, j’en suis sûr, inébranlables », déclare le dirigeant à son arrivée.

1967, le tournant

Un changement de ton intervient à la fin de la décennie, avec une déclaration de Charles de Gaulle abondamment commentée. Dans le cadre de la guerre des Six Jours, le président français considère les Israéliens comme les agresseurs : Tel-Aviv a lancé le 5 juin 1967 une attaque surprise contre l’Egypte qui multiplie les exercices militaires dans le désert du Sinaï et a décidé de fermer le détroit de Tiran aux navires israéliens. « Le président Nasser savait bien que Tel-Aviv finirait par réagir, mais en droit international, Israël est celui qui ouvre les hostilités », commente Alain Dieckhoff.

Dans la foulée, la France vote la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU pour le retrait d’Israël des territoires nouvellement occupés. Paris suspend également pour partie la vente d’armes à l’Etat hébreu. Une réponse diplomatique et une sanction commerciale, somme toute, assez classique dans ce genre de situation, Mais ce sont les propos tenus quelques semaines plus tard, le 27 novembre, par le général de Gaulle en conférence de presse qui marquent le véritable point de rupture.

Interrogé sur la position de la France, le général revient sur les tergiversations qui ont accompagné la naissance d’un Etat juif : « Certains redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem. » Quant aux territoires passés sous le contrôle d’Israël, Charles de Gaulle dénonce une « occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion. Il s’y manifeste [dans les territoires occupés] contre Israël la résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme ».

Le président de la République est accusé de faire l’amalgame entre les Juifs et Israël, sur fond de clichés antisémites. Le philosophe Raymond Aron, qui s’était engagé à ses côtés pendant la Seconde Guerre mondiale, donnera une longue critique de cette conférence de presse dans son livre, De Gaulle, Israël et les Juifs, publié l’année suivante.

La politique arabe de la France

Notons qu’avec la fin de la guerre d’Algérie, en 1962, Paris a commencé à changer de stratégie en Méditerranée. « Au milieu des années 1960, la situation géopolitique évolue. Après l’indépendance de l’Algérie, la France est de nouveau en mesure de dialoguer avec le monde arabe. Factuellement, cela n’avait pas eu de réelles conséquences sur sa relation avec Israël, mais dans ce contexte, les propos du général de Gaulle solennisent une forme de rupture », décrypte Alain Dieckhoff.

L’épisode de 1967 pousse Israël à se focaliser sur son alliance avec les Etats-Unis, tandis que la France s’appuie sur une politique pro-arabe, manifeste notamment sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, avec une série de signaux envoyés aux autorités palestiniennes. Ainsi, le 16 octobre 1974, la France vote en faveur de la reconnaissance de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme principal interlocuteur pour la Palestine au sein de l’ONU. L’année suivante, Paris devient la première capitale européenne à accueillir un bureau d’information et de liaison de l’OLP.

Ce nouveau rapprochement avec le monde arabe culmine avec l’accord franco-irakien qui donne naissance en 1975 au réacteur nucléaire Osirak. Il sera finalement détruit par un raid israélien en 1981, dans la crainte que Bagdad n’utilise ce complexe pour se doter de l’arme nucléaire.

Tentatives de réchauffement

Au début des années 1980, François Mitterrand est le premier président français à se rendre en Israël, une marque d’amitié historique qui trahit la volonté de retisser la relation distendue. Mais la visite du socialiste se voit entachée par la destruction d’Osirak quelques mois plus tôt, et l’intervention israélienne au Liban, l’opération « Paix en Galilée », pour mettre fin aux attaques lancées par l’OLP depuis ce pays. Invité à prononcer un discours à la tribune de la Knesset, François Mitterrand se risque à rappeler quelle est la position de la France depuis 1947, celle d’une solution à deux Etats : « Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller jusqu’au bout de son droit ce qui, pour les Palestiniens comme pour les autres, peut le moment venu signifier un Etat. »

« À la fin des années 1980, nous sommes déjà dans une autre configuration. La France a été assez critique vis-à-vis d’Israël pendant la première Intifada, un soulèvement de la population palestinienne réprimé par l’armée. C’est dans ce contexte que Yasser Arafat, le président de l’OLP, est reçu à Paris en mai 1989 », pointe le directeur du CERI. François Mitterrand le persuade toutefois de déclarer « caduque » la charte de l’OLP qui affirme que « la lutte armée est la seule voie pour la libération de la Palestine ».

En 1995, la déclaration de Jacques Chirac lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, sur la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs, laisse augurer d’un nouveau rapprochement, mais son voyage en Israël, un an plus tard, se résume à une séquence rentrée dans les annales et à cinq mots prononcés en anglais : « This is not a method ! ». La déambulation du chef de l’Etat dans les rues de la vieille ville de Jérusalem est marquée par un vif accrochage, capté par les caméras de CNN, avec un agent de sécurité qui l’empêche d’aller au contact de la population palestinienne. « La scène en dit long sur l’état des relations. Les Israéliens reprochaient notamment à Jacques Chirac d’être un proche du Premier ministre libanais Rafiq Hariri », se souvient Alain Dieckhoff.

Retour à l’équilibre

À partir des années 2000, les relations entre la France et Israël se réchauffent. Sur le plan scientifique et culturel notamment, avec la création, en 2004, d’un Haut conseil pour la recherche et la coopération scientifique et technologique. « Au milieu des années 2000, la France abandonne, sans vraiment le dire, une certaine politique pro arabe. Ce changement de tonalité est aussi l’indice d’une position plus balancée entre Israël et Palestine », explique Alain Dieckhoff. Notons un incident survenu en novembre 2011, lorsqu’en marge du G20 des journalistes surprennent Nicolas Sarkozy confier à Barack Obama : « Je ne peux plus voir Netanyahou, c’est un menteur ».

Le Premier ministre israélien a été reçu cinq fois en France depuis l’élection d’Emmanuel Macron. C’est devant lui qu’en juillet 2017, à l’occasion d’une commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le locataire de l’Elysée dénonce l’antisionisme comme nouveau nez de l’antisémitisme. Toutefois, le dossier iranien a pu être un point de friction entre les deux hommes, Israël réclamant la fin de l’accord passé avec Téhéran sur ses activités nucléaires civiles.

En parallèle, Paris a voté pour l’entrée de la Palestine à l’Unesco en 2011, et en 2012 pour qu’elle soit reconnue comme observateur non-membre de l’ONU.

La France continue de consacrer « des sommes considérables à l’aide aux Territoires palestiniens », selon France diplomatie, avec un programme de 500 millions d’euros sur la période 2008-2017. « La plupart des projets portent sur l’amélioration des infrastructures et le développement durable. ». En 2020, pour aider la Palestine à faire face à l’épidémie de Covid, Paris a accepté un décaissement anticipé de 16 millions d’euros à destination de l’Autorité palestinienne, « dont environ un tiers en faveur de Gaza », précise le Quai d’Orsay.

« Ce soutien n’est pas un motif de grief entre la France et Israël », souligne Alain Dieckhoff. « Les Américains eux-mêmes ont été très actifs dans l’aide aux Palestiniens sous Obama. De son côté, Israël se satisfait de voir des externes continuer à soutenir la société civile et maintenir un certain niveau de vie dans la bande de Gaza. C’est autant de choses qu’ils n’ont pas à prendre en charge ».

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