La première réaction américaine après l’attaque d’envergure menée par Israël, sur des cibles miliaires et nucléaires sur le sol iranien, n’est pas venue du Bureau ovale mais de la diplomatie. Dans un communiqué laconique largement centré sur les intérêts américains, le secrétaire d’État Marco Rubio a pris ses distances avec l’opération « Rising Lion » menée par l’État hébreu, une mesure qu’il décrit comme « unilatérale ».
Selon lui, Israël a averti son allié en indiquant que cette offensive était « nécessaire pour sa défense ». Le secrétaire d’État a également souligné que la priorité des États-Unis serait de protéger ses forces stationnées dans la région, appelant l’Iran à ne pas cibler le personnel américain en riposte.
Donald Trump et Benyamin Netanyahou, dans le rôle du « bon » et du « mauvais flic »
L’opération nocturne pourrait sonner comme un affront, à première vue, vis-à-vis de la Maison blanche, qui privilégie l’outil de la discussion avec l’ouverture depuis avril de négociations avec l’Iran sur le programme nucléaire. « Nous sommes assez proches d’un bon accord », affirmait hier encore, Donald Trump, en appelant Israël à ne pas engager d’action militaire. « Je ne veux pas qu’ils interviennent, parce que je pense que cela ferait tout capoter. »
Faut-il y voir un échec diplomatique pour le président américain ? Dans l’état actuel de la situation, il encore un peu prématuré pour en tirer tous les enseignements, relationnels ou stratégiques, malgré l’escalade qui s’est engagée cette nuit sur décision de Benyamin Netanyahou. « Y a-t-il une stratégie concertée ou plus ou moins subie la part de l’administration Trump, difficile à dire, mais à l’heure qu’il est, elle va encore dans le sens de la politique de Donald Trump », analyse Romuald Sciora, chercheur associé à l’IRIS, et directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis. « Ils sont tous les deux dans un rôle, le bon et le mauvais flic. Comme Donald Trump l’a déclaré ce matin, il est toujours prêt à négocier, il a appelé Téhéran en précisant que si ça se produisait, il ne pourrait pas retenir Israël », poursuit le chercheur.
La Maison blanche choisit de mettre la pression sur l’Iran
Son message laissé sur son réseau Truth Social est lourd de significations. Loin d’appeler son allié à la retenue, le président américain choisit de mettre pression sur l’Iran en poussant son régime à une entente. Et si les États-Unis préviennent qu’ils ne participeront pas à l’opération militaire engagée par les Israéliens, ils ne la désapprouvent pas pour autant. « L’Iran doit passer un accord, avant qu’il ne reste plus rien », a écrit l’imprévisible chef d’État.
Symboliquement, les évènements de la nuit passée tombent au plus mal pour Donald Trump. Celui qui s’était posé comme un facilitateur de paix au début de son mandat, même s’il a torpillé l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien lors de son premier mandat, doit désormais composer avec un foyer de tensions de plus en plus vives au Moyen-Orient. Et cela, après avoir déjà échoué à obtenir la fin des combats entre la Russie et l’Ukraine. « Donald Trump essaye de faire bonne figure en disant que l’Iran ne veut pas négocier et qu’il risque un embrasement, mais c’est une épine dans son pied », observe le chercheur en géopolitique Sébastien Boussois, auteur de Donald Trump, retour vers le futur (Mareuil, 2025).
Un nouveau cycle de négociations avait été programmé dimanche entre l’Iran et les Etats-Unis, via une médiation du sultanat d’Oman. Le président américain avait fixé en avril un ultimatum de 60 jours pour aboutir à un accord. « En décidant d’attendre le 61e jour pour intervenir, Netanyahou a souhaité ne pas faire apparaître sa décision comme une provocation à l’égard de Donald Trump », note le chercher Romuald Sciora.
Pour Sébastien Boussois, Donald Trump est malgré tout pris en « défaut d’autorité » sur ce dossier. « On voit que c’est Netanyahou qui continue à mener la danse. Depuis quelques semaines, Trump a du mal, malgré son caractère, a véritablement imposer un ordre de bataille qui puisse aboutir à une solution. Il y a une forme de revanche de la part de Netanyahou », estime ce chercheur associé au CNAM.
Tournée du Golfe, accord avec les Houthis : la diplomatie américaine jette le trouble en Israël
La séquence intervient d’ailleurs après plusieurs semaines d’incompréhension entre les deux capitales. La tournée de Donald Trump au Moyen Orient – sans étape par Israël – a été particulièrement mal vécue au sein du gouvernement Netanyahou. Donald Trump a ainsi mobilisé des alliés, comme l’Arabie saoudite, pour convaincre l’Iran de négocier, mettant en exergue le risque d’un conflit si les pourparlers échouaient. L’annonce de la trêve entre Washington et les Houthis, l’organisation armée alliée de l’Iran basée au Yémen, a également jeté un froid dans les relations.
D’où une crainte pour l’État hébreu de se retrouver marginalisé voire lâché par son allié américain, de très loin son premier soutien en matière d’appui militaire, d’autant avec la pression internationale qui monte avec la situation dramatique de la bande de Gaza. Ce sentiment a souvent existé à Tel Aviv, mais il est sans doute moins exacerbé que sous l’ère Biden. « Il y a moins de mesures de rétorsion de la part d’un Républicain à la Maison blanche », rappelle Sébastien Boussois.
Malgré les tensions apparentes, l’alliance entre les États-Unis et Israël reste solide. Trump, soutenu par une base évangélique pro-israélienne, a en ligne de mire les élections de mi-mandat l’an prochain. « Il pourrait hausser le ton mais il ne lâchera jamais Israël. L’alliance entre Israël et les USA n’a jamais été aussi forte, jamais Israël n’a eu un ami comme Trump », estime Romuald Sciora.
« Ce que Trump veut éviter, c’est une guerre totale »
Reste à savoir comment évoluera la situation et jusqu’où ira l’escalade, dans ce qui est d’ores et déjà qualifié de « déclaration de guerre » par Téhéran. D’un côté, Israël a pour objectif d’affaiblir durablement l’Iran et le régime des mollahs. De l’autre, Washington souhaite que l’Iran cesse son programme nucléaire et que les deux pays s’engagent dans une guerre totale. « Ce que Trump veut éviter, c’est une guerre totale entre Israël et l’Iran, mais ce qu’on appellerait guerre totale, ce ne sont pas des bombardements. L’Iran va probablement répliquer, mais n’a pas un armement compétitif… Ce qui serait une guerre totale, c’est une guerre au sol », explique le chercheur Romuald Sciora. Et d’ajouter : « L’administration Trump peut encore avoir l’impression que choses vont dans le sens voulu. Mais je ne pense pas que l’Iran acceptera, sous la menace, un deal avec les Etats-Unis. »