Palestinians inspect the rubble of Al-Bashir mosque destroyed in an Israeli air strike in the Cental of Gaza Strip town of Dair EL-Balah

Frappes israéliennes : « Les Américains font preuve de complaisance et d’impuissance », selon Antoine Basbous

Presque six mois après les attaques du 7 octobre par le Hamas, l’armée israélienne a ciblé, ce 1er avril, plusieurs membres de l’état-major iranien lors d’une frappe sur le consulat iranien en Syrie. Une frappe qui fait craindre une intensification du conflit alors que l’Iran a promis une réplique. Une autre frappe israélienne, “involontaire” selon le premier ministre israélien, a tué 7 employés d’une ONG basée aux Etats-Unis. Assez pour remettre en cause le soutien occidental ? Éléments de réponse avec Antoine Basbous, politiste et directeur de l’Observatoire des Pays Arabes.
Henri Clavier

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La frappe d’Israël à Damas marque-t-elle le franchissement d’une ligne rouge dans le conflit ?

 

Avec cette frappe sur le consulat iranien à Damas, Israël a décapité l’état-major des Pasdaran, qui sont les gardiens de la révolution et se trouvent au cœur du pouvoir iranien, au Liban et en Syrie, tout ça dans une enceinte diplomatique. C’est une démonstration de force et en même temps une provocation de la part d’Israël mais, entre Israël et Iran les provocations sont très fréquentes. Apparemment, Israël a veillé à ce qu’il n’y ait pas de diplomates et que l’ambassadeur ne soit pas là pour frapper, mais cela reste une frappe à 1,5 km du palais présidentiel, dans le cœur du quartier diplomatique de Damas. Néanmoins, c’est une nouveauté qu’Israël s’attaque à des bâtiments diplomatiques en violation des conventions internationales.

 

Quel objectif poursuit Israël avec ce bombardement ?

 

Israël répond à la doctrine iranienne de l’unité des fronts en frappant les alliés de l’Iran sur lesquels le régime s’appuie, que cela soit les Houthis, le Hezbollah ou les milices chiites en Irak et en Syrie. Israël frappe la Syrie plusieurs fois par semaine et vise notamment les dépôts, les aéroports et les centres de stockage du Hezbollah. La semaine dernière, une frappe israélienne a fait 48 morts à Alep. Mais le bombardement sur Damas a permis à Israël de tuer plusieurs généraux iraniens, notamment Mohammad Reza Zahedi qui était le plus haut responsable iranien au Liban et en Syrie. C’était un homme clé, présent au Levant depuis 1998. Il fut le chef d’orchestre, responsable de la stratégie et de l’approvisionnement

militaire. Pour les Israéliens, décapiter l’état-major des Pasdaran est un succès indéniable, ce sont les personnes qui tiennent l’organisation, qui sont la mémoire de la collaboration de l’Iran et des milices, personnes absolument essentielles à la stratégie de l’Iran qui sont assassinés.

 

Peut-on craindre une réaction de l’Iran, un embrasement de la région ?

 

De l’Iran, directement, je ne crois pas, l’Iran cherche la guerre d’usure, ce qui est plutôt un succès pour l’instant. L’Iran ne cherche pas à s’exposer outre mesure, sa stratégie c’est l’endurance, la patience stratégique, et n’a pas pour habitude de procéder à des représailles violentes. Ce qu’ils peuvent faire, c’est agir par procuration, notamment avec des proxys comme le Hezbollah ou les Houthis au Yémen, qu’ils peuvent charger d’opérations sans les revendiquer, mais celui qui subit les dégâts saura que cela vient de l’Iran.

 

Quelle réaction peut-on attendre de la part des Etats-Unis ?

 

Les Etats-Unis ne devraient pas réagir particulièrement après cette frappe sur le consulat iranien en Syrie. Les Etats-Unis ne cautionnent pas forcément les actions d’Israël, mais l’Iran reste un adversaire stratégique des Etats-Unis. Israël cherche sans doute à impliquer les Etats-Unis pour s’attaquer à l’Iran car ils savent qu’ils ne sont pas capables de remporter seuls un affrontement contre l’Iran. Avec en toile de fond, l’accélération du programme nucléaire iranien.

 

Est-ce que les Etats-Unis ne pourraient pas revoir leur soutien à Israël après la mort de 7 employés d’une ONG basée aux Etats-Unis et un soutien de moins en moins clair aux opérations menées par Tsahal dans la bande de Gaza ?

 

Structurellement, les Etats-Unis soutiennent toujours Israël et viennent d’autoriser pour 18 milliards de dollars d’exportations de matériel militaire. Les Etats-Unis ne soutiennent pas tout ce que fait Israël, mais ne peuvent pas non plus lâcher l’État hébreu.

Les Etats-Unis ne soutiendraient pas de pousser les Palestiniens dans le Sinaï comme Israël voudrait le faire, mais si ça arrive, ils ne vont pas protester. Les Américains font preuve de complaisance et d’impuissance, une complaisance dans leur aide militaire et une impuissance qui se manifeste par l’aide humanitaire qu’ils n’arrivent pas à acheminer correctement.

 

Pour ces raisons, et après la mort d’humanitaires, on ne peut pas imaginer les Etats-Unis soutenir une résolution proposant un cessez-le-feu ?

 

Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’une ONG perd des hommes et des femmes sur place. Malgré la pression d’une partie de l’électorat de Biden pour changer le rapport à Israël, les Etats-Unis ne veulent pas sacrifier le travail diplomatique effectué depuis plusieurs dizaines d’années et veulent sauver les accords de paix.

 

Alors qu’Antony Blinken est en visite à Paris, est-ce que la voix de l’Union européenne et de ses États membres peut influer sur le soutien américain ?

 

Les Européens protestent, mais n’agissent pas beaucoup. Ils sauvent la face avec des discours, mais ne prononcent pas de sanctions et au final suivent les Etats-Unis. Peu d’Etats européens reconnaissent un Etat palestinien. Les Américains comme les Européens n’arrivent pas à peser sur les décisions de Benyamin Netanyahou qui de son côté fait tout pour s’accrocher au pouvoir. Dans cette perspective, le premier ministre Israélien ne peut pas arrêter la guerre, ce serait un échec stratégique historique. Par ailleurs, Netanyahou cherche à se maintenir au pouvoir pour échapper aux différentes enquêtes dont il fait l’objet. Le premier ministre est accusé de corruption et pourrait voir sa responsabilité engagée concernant l’attaque du 7 octobre.

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