Dimanche et lundi, Volodymyr Zelensky a négocié à Berlin avec les émissaires américains Steve Witkoff et Jared Kushner, pour tenter d’aboutir à un compromis. Donald Trump affirme que « nous sommes plus proches aujourd’hui que nous ne l’avons jamais été ». Est-ce que les choses avancent réellement ?
Il y a effectivement des progrès, mais ils sont d’abord visibles du côté ukrainien, européen et américain. Les discussions de Berlin ont permis de clarifier un certain nombre de points, notamment sur les garanties de sécurité réclamées par Kiev et soutenues par Paris et Londres. L’entourage d’Emmanuel Macron parle même d’ « avancées » sur ces garanties, grâce au travail de la coalition des volontaires et à une clarification du soutien américain.
La vraie question reste celle de la partie russe. Est-ce que Donald Trump est en mesure d’imposer à Vladimir Poutine ce qui a été discuté à Berlin ? Ou est-ce que le Kremlin va, comme souvent, chercher à gagner du temps ? À mon sens, il va temporiser. La Russie n’a aucun intérêt à accepter rapidement un compromis si elle pense pouvoir améliorer sa position sur le terrain ou dans le rapport de force diplomatique.
La balle est donc clairement dans le camp russe, à condition que les Américains restent fermes sur la ligne qu’ils ont affirmé ces derniers jours. Or, Donald Trump veut avant tout un arrêt rapide des combats, quitte à mettre une pression accrue sur Kiev, ce qui nourrit une forme d’ambiguïté.
Les dirigeants européens ont proposé lundi une « force multinationale pour l’Ukraine ». Un document commun associant neuf États et deux organismes européens a été présenté à Berlin, qui prévoit que cette force serait « soutenue » par les États-Unis : qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Le terme de “soutien” américain est volontairement large. Il ne s’agirait pas de troupes américaines au sol, mais d’un appui déterminant en matière de renseignement, de logistique, de capacités de défense sol-air et de coordination stratégique. Ce sont précisément ces éléments qui donnent de la crédibilité militaire à une force européenne.
A priori, la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne est envisagée, ce qui constituerait un changement majeur. Les garanties de protection évoquées aujourd’hui sont très supérieures à ce que Moscou réclamait dans les premières phases de négociation. C’est aussi pour cela que la Russie reste extrêmement méfiante face à ce projet.
Le même document évoque un engagement juridiquement contraignant à rétablir la paix en cas de future attaque armée. Est-ce une sorte de décalque de l’article 5 de l’OTAN ?
On est effectivement sur une logique assez proche de l’article 5, même si le cadre juridique serait différent. La difficulté centrale, c’est la qualification des violations. Entre un incident limité, des tirs sporadiques ou une attaque plus structurée, à partir de quel seuil considère-t-on qu’il y a rupture du cessez-le-feu et obligation d’intervention ?
C’est là que se pose la question d’un mécanisme d’observation international. L’OSCE jouait ce rôle lors des accords de Minsk, avec toutes les limites que l’on connaît. Faudra-t-il une mission de l’ONU ? Un dispositif ad hoc ? Sans outil d’évaluation crédible et accepté par toutes les parties, le risque d’escalade reste très élevé.
Rien n’a été dévoilé sur les effectifs totaux ni sur les contributions nationales. Où en sont les discussions au sein de la « coalition des volontaires » ?
Pour l’instant, le flou est volontaire. Les discussions existent, les états-majors travaillent sur différents scénarios, mais aucune annonce publique n’est faite pour des raisons opérationnelles évidentes. Révéler trop tôt des chiffres ou des zones de déploiement serait contre-productif.
Il y a aussi une réalité stratégique à ne pas oublier : la première garantie de sécurité de l’Ukraine, ce sont ses propres forces armées, qui comptent environ 800 000 soldats. Si l’on annonce, par exemple, une force européenne de 10 000 hommes face à une armée russe capable de mobiliser plusieurs centaines de milliers de combattants, cela pose immédiatement la question de la crédibilité et du rôle réel de cette force.
Jeudi, un sommet européen est prévu à Bruxelles. Il sera notamment question des avoirs russes gelés en Belgique. Est-ce que la résolution de ce dossier peut changer le rapport de force face à la Russie ?
C’est un enjeu absolument central. Des dizaines de milliards d’euros d’avoirs russes sont gelés, principalement en Belgique, et leur utilisation pourrait offrir à l’Ukraine une visibilité financière à moyen et long terme, aussi bien pour l’effort de guerre que pour la reconstruction.
Mais le sujet reste extrêmement sensible. Certains États, dont la Belgique, craignent des représailles russes. Moscou pourrait répondre par des mesures de rétorsion économiques ou politiques, voire par une montée des menaces, y compris nucléaires, dans une logique de chantage stratégique. Malgré tout, le simple fait que l’UE ait sécurisé dans la durée l’immobilisation de ces actifs envoie déjà un signal très fort à Moscou.
Le SBU, les services secrets ukrainiens, a affirmé ce lundi avoir « fait exploser un sous-marin russe » amarré dans le port de Novorossiisk, situé en mer Noire. Que s’est-il passé ?
C’est clairement un coup majeur, à la fois militaire et symbolique, de la part de l’armée ukrainienne. La marine russe accumule les revers depuis le début du conflit, et cette nouvelle perte constitue une humiliation supplémentaire. C’est spectaculaire, et cela contredit frontalement le discours du Kremlin sur la supériorité de ses forces armées.
Cela montre surtout la capacité des Ukrainiens à s’adapter, à innover et à identifier les failles des systèmes de défense russes, y compris dans des domaines réputés très protégés comme la flotte.
La Russie affirme avoir pris le “contrôle” de Koupiansk, ville-clé du nord-est de l’Ukraine, où les combats sont particulièrement intenses. En quoi cette bataille est-elle stratégique ?
Koupiansk est un nœud ferroviaire essentiel pour la région de Kharkiv, et donc un objectif logistique majeur. Les Russes cherchent à faire croire qu’ils gagnent la bataille terrestre, en annonçant régulièrement des prises de contrôle. Mais la réalité est beaucoup plus nuancée. La Russie avait déjà affirmé avoir capturé Koupiansk en novembre, avant que les Ukrainiens ne revendiquent la reprise de plusieurs quartiers. Aujourd’hui encore, Kiev affirme mener des percées locales, et Volodymyr Zelensky s’est même rendu sur place récemment pour soutenir les troupes.
Sur le terrain, on observe de manière générale des situations paradoxales : de petits groupes de soldats ukrainiens parviennent à fixer ou bloquer des forces russes bien plus nombreuses. Sur le plan tactique, l’armée russe a largement raté sa guerre. Même si elle grignote quelques centaines de kilomètres carrés par mois, le coût humain et matériel est énorme, et les gains restent limités. C’est une guerre où Moscou communique beaucoup plus qu’elle ne progresse réellement.