NICOLAS MESSYASZ/SIPA/2310261303

Gaza : Emmanuel Macron a « bien compris » que les plans de Benyamin Netanyahou « dépassent le démantèlement du Hamas »

A quatre jours de la reconnaissance officielle de l’Etat de Palestine par la France devant l’Assemblée générale de l’ONU, Emmanuel Macron s’est montré très critique envers le gouvernement de l’état hébreu à la télévision israélienne. Et pour cause, il y a urgence à tenter de « préserver la solution à deux Etats », selon David Rigoulet-Roze.
Aglaée Marchand

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

« Contreproductif », « échec », « énorme erreur »… C’est en des termes particulièrement durs, qu’Emmanuel Macron s’est exprimé au sujet de l’offensive israélienne sur Gaza jeudi 18 septembre, dans une interview accordée à la chaîne de télévision israélienne N12. Ces déclarations surviennent alors que le chef d’État français doit reconnaître officiellement l’existence de l’État de Palestine lundi 22 septembre.

Une position qui s’explique par « les rebuffades » du Premier ministre israélien, alors que l’État hébreu a été incité à de multiples reprises à « emprunter un nouveau chemin que celui de la guerre », analyse Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et président honoraire de l’Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). Mais aussi par la volonté d’essayer de s’adresser à la société israélienne en s’efforçant de « passer par-dessus le gouvernement actuel », qui a manifesté sa « surdité » à la solution à deux États, « laquelle, sur le terrain apparaît en outre de plus en plus hypothéquée par la politique de colonisation de la Cisjordanie », selon David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et spécialiste du Moyen-Orient.

Une perte de « crédibilité » d’Israël

Il n’a pas mâché ses mots. Pointant du doigt un « genre d’opérations […] totalement contreproductif », en dépit de « résultats uniques en termes de sécurité », Emmanuel Macron a vivement critiqué la stratégie du gouvernement israélien. « C’est un échec », a-t-il résumé. Sans détour, il a déploré des offensives qui provoquent « tellement de victimes et blessés chez les civils », qu’elles détruisent « complètement l’image et la crédibilité » de l’État hébreu, « non seulement dans la région, mais auprès de l’opinion publique partout ».

Des propos sévères du président français qui « s’aperçoit qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de ce gouvernement », commente Jean-Paul Chagnollaud, mais qui soulignent aussi la volonté du chef d’État français de montrer « qu’il pense en réalité à l’intérêt d’Israël à long terme qu’il estime malmené par la politique suivie par le gouvernement israélien dont la dernière offensive sur Gaza constitue l’expression », d’après David Rigoulet-Roze.

La reconnaissance d’un État palestinien, sans le Hamas

Celui qui avait pourtant affirmé son soutien très ferme aux Israéliens au lendemain des attaques du Hamas du 7 octobre 2023, a finalement acté avant l’été sa volonté de reconnaître l’État palestinien. Son déplacement à Al-Arich, l’avant-poste égyptien du soutien humanitaire à Gaza, au mois d’avril dernier, « n’y est pas pour rien », d’après Jean-Paul Chagnollaud. Emmanuel Macron « a pris conscience que le projet initial de Benyamin Netanyahou dépasse le démantèlement du Hamas et le souhait de ramener les otages », selon le chercheur, « il a bien compris que ses plans vont bien plus loin ».

C’est par un discours du chef d’État français lors de l’Assemblée générale des Nations Unies qui se tiendra lundi 22 septembre à New York, que Paris exprimera sa reconnaissance de la Palestine. Une prise de position qui devrait être suivie par le Royaume-Uni, le Canada, la Belgique et l’Australie et qui vient achever une séquence diplomatique initiée en juillet autour d’une conférence présidée par la France et l’Arabie saoudite, autour de la solution à deux États. Celle-ci a donné lieu à la « Déclaration de New York », une sorte de feuille de route vers un retour de la paix au Moyen-Orient, adoptée mi-septembre par 142 des 193 États membres.

L’exclusion du Hamas des démarches diplomatiques et politiques et son désarmement ont par ailleurs été actés par ce texte, ce sur quoi Emmanuel Macron a insisté lors de son interview hier : « Le Hamas doit être détruit, démantelé », pour « briser le cercle vicieux ». Mais le président a précisé que « l’approche militaire » n’est « pas suffisante ». S’adressant directement aux Israéliens, il a justifié sa décision de reconnaître un État palestinien comme « le meilleur moyen d’isoler le Hamas », qui refuse la solution à deux États et souhaite « vous » détruire. Et d’ajouter que cette reconnaissance signifie que « la perspective légitime du peuple palestinien, et ce qu’il endure aujourd’hui, n’a rien à voir avec le Hamas ».

Une manière aussi pour Emmanuel Macron « de prendre à témoin l’opinion publique » dont une majorité est loin de valider « la ligne assumée de Benyamin Netanyahou », qui ne dispose d’ailleurs plus de majorité à la Knesset, même s’il n’est toujours pas mis en minorité, explique David Rigoulet-Roze. Et d’en appeler à « une prise de conscience des Israéliens dont la psyché pour l’heure, en raison du choc causé par le 7 octobre 2023, n’est pas en état d’accepter l’idée même d’un État palestinien ».

Un premier « pas » pour l’Occident, dans l’ « urgence »

Une étape concrète, qui s’inscrit « dans un processus diplomatique très important » et « dans une volonté de revenir vers le droit international », d’après Jean-Paul Chagnollaud. Si jusqu’à présent « l’Occident n’avait pas reconnu l’État palestinien », lundi sera la première fois qu’il « franchit ce pas dans l’histoire de ce conflit », à l’exception des États-Unis.

Se pose à présent la question de « sanctions concrètes » qui « permettraient de bloquer la guerre, d’imposer un cessez-le-feu et d’empêcher les transferts de population ». « Le temps presse », « c’est une course contre la montre », selon le chercheur, qui rappelle que l’Espagne a déjà agi dans ce sens, via un embargo sur les contrats d’armement avec l’État hébreu. La Commission européenne a par ailleurs annoncé en début de semaine des propositions de sanctions de l’UE contre Israël, dans le but d’améliorer la situation humanitaire dans l’enclave palestinienne. En cas de nouvelle offensive à Gaza, « une énorme erreur », Emmanuel Macron a toutefois laissé planer la menace de mesures répressives.

Pour l’heure, le président français a souligné l’ « urgence » de cette reconnaissance, sur fond de menaces d’annexion de la Cisjordanie occupée, expliquant que « c’était la dernière occasion » avant que cette décision « ne devienne totalement impossible ». Et accusant l’approche du gouvernement israélien, « de quelques ministres particulièrement », d’intenter de « détruire la possibilité d’une solution à deux États ». Pour le président honoraire de l’iReMMO, cette « destruction » est « déjà très largement entamée », tant sur les territoires palestiniens que cisjordaniens.

La responsabilité américaine

« Le tout avec le soutien américain », dénonce Jean-Paul Chagnollaud, mentionnant, entre autres, la résolution appelant à un cessez-le-feu dans l’enclave bloquée par le véto américain au Conseil de sécurité de l’ONU, qui témoigne d’une « volonté des États-Unis de tout faire pour bloquer ce processus » de paix. « Le coup de la ‘Gaza Riviera’ de Donald Trump n’est pas à prendre à la légère », s’alarme-t-il, « ce sont des plans à prendre au sérieux ». David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IFAS et spécialiste du Moyen-Orient, évoque l’absence de position explicite de Donald Trump, en l’état, sur la situation en Cisjordanie. Et ce, alors que son opinion sur la question « sera sans doute déterminante pour le futur, dans le cas d’une annonce officielle du gouvernement de Benyamin Netanyahou de la mise en œuvre d’une souveraineté israélienne sur une large partie de la Cisjordanie, de fait qualifiée de ‘Judée-Samarie’, laquelle serait illégale d’un point de vue du droit international ».

D’après Jean-Paul Chagnollaud, « on est dans une convergence idéologique » entre « l’extrême-droite au pouvoir en Israël » et celle « au pouvoir aux États-Unis », qui se manifeste également du côté de la Hongrie, seul pays de l’Union européenne ayant voté contre la Déclaration de New York. Mais une difficulté pour le président américain pourrait résider, précise David Rigoulet-Roze, « au sein d’une partie de sa base MAGA », résolument « isolationniste », qui « n’est pas nécessairement dans un soutien inconditionnel à Israël », dès lors que cet appui pourrait « ne pas toujours coïncider avec les intérêts nationaux américains ». Et à l’approche des élections de mi-mandat, Donald Trump « va devoir tenir compte de cette opinion qui, pour ne pas être majoritaire, est néanmoins diffuse ».

Partager cet article

Dans la même thématique

Gaza : Emmanuel Macron a « bien compris » que les plans de Benyamin Netanyahou « dépassent le démantèlement du Hamas »
3min

International

« La solution à deux États est la seule capable de garantir la stabilité et la sécurité dans notre région », estime la cheffe de mission palestinienne en France

Israël a lancé mardi 16 septembre une nouvelle offensive terrestre dans la bande de Gaza, suscitant les critiques de la communauté internationale. Alors que plusieurs pays occidentaux, dont la France, doivent reconnaître lundi un État de Palestine lors d’une conférence à New York, Hala Abou-Hassira, ambassadrice et cheffe de mission de la Palestine en France, attend aussi « des sanctions » contre Israël.

Le

En déplacement en Palestine, une délégation de sénateurs -6ee1-41d4-8347-f7d7eb9d5cb5
7min

International

« Un étouffement régulier » : en déplacement en Palestine, une délégation de sénateurs s’inquiète de la colonisation en Cisjordanie

Plusieurs membres du groupe d’amitié sénatorial France-Palestine se sont rendus en Cisjordanie, dans la perspective de la reconnaissance de l’État de Palestine et donc du « jour d’après ». Leur voyage, décrit comme étant d’une « rare intensité », met en exergue les effets néfastes de la colonisation israélienne, entre difficultés humanitaires, asphyxie économique, et déplacements entravés.

Le