Israel Palestinians

Gaza : « Empêcher une population civile de se nourrir, au même titre que tirer dessus, est un crime de guerre »

À Gaza, une distribution d’aide alimentaire a viré à l’émeute jeudi, faisant une centaine de morts, selon le Hamas qui accuse l’armée israélienne d’avoir ouvert le feu sur la foule. De son côté, la France réclame l’ouverture d’une « enquête indépendante ». Interrogé par Public Sénat, Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des Universités, spécialiste de la question palestinienne, évoque « la situation de désespérance humanitaire » dans la bande de Gaza.
Romain David

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Les médias arabes en parlent déjà comme du « Massacre de la farine ». Jeudi, une distribution de nourriture dans l’ouest de la bande de Gaza a viré au drame, après que des soldats ont ouvert le feu sur la foule qui se pressait vers des camions d’aide alimentaire, faisant une centaine de morts. Le Hamas et Israël s’opposent sur le déroulé des évènements. Le ministère de la Santé de la bande de Gaza, dirigée par le Hamas, évoque un « massacre », faisant état d’au moins 112 morts et 760 blessés. De son côté, Israël a reconnu des « tirs limités » par des soldats qui se seraient sentis « menacés », et considère que la plupart des victimes ont été tuées dans la bousculade.

Dans la foulée, les condamnations internationales se sont multipliées. Pour Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des Universités et président de l’Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, ce drame illustre le « point d’incandescence » auquel est désormais porté le conflit israélo-palestinien.

Peut-on parler d’un tournant dans l’intervention israélienne à Gaza ou est-il encore trop tôt pour mesurer la pleine portée de cet évènement ?

« Des tournants, il y en a déjà eu beaucoup depuis le 7 octobre 2023, mais il s’agit certainement d’un moment très important qui vient rappeler à la communauté internationale la situation de désespérance humanitaire des Palestiniens, et le fait que les Israéliens n’hésitent pas à tirer en toutes circonstances. On arrive à une sorte de point d’incandescence dans le tragique, qui révèle la dimension humaine, humanitaire et politique de ce conflit.

Cet évènement s’inscrit dans un contexte particulier : il y a des pourparlers pour une trêve entre l’Etat hébreu et le Hamas avant le ramadan, dont on ignore s’ils pourront aboutir. Par ailleurs, Benyamin Netanyahou prépare une offensive terrestre sur Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Que peut-on dire de la situation humanitaire sur place ?

Nous ne disposons que des informations fournies par Israël, dans la mesure où les chiffres communiqués par le Hamas ne sont pas fiables. Les journalistes n’ont pas accès à la bande de Gaza pour faire leur métier, ce qui est inacceptable. Il reste les alertes lancées par les ONG présentes sur place. On peut clairement parler d’une situation moyenâgeuse, en contradiction totale avec le droit international humanitaire. Empêcher une population civile de se nourrir, au même titre que tirer dessus, est un crime de guerre.

Que sait-on des objectifs poursuivis par les Israéliens ?

À ce sujet, les Israéliens ont été clairs, leurs objectifs vont bien au-delà de la seule éradication politique et militaire du Hamas. Ils veulent détruire la bande de Gaza ce qui, aujourd’hui, est déjà en grande partie fait. Dans une lettre aux soldats, Benyamin Netanyahou parle également de la nécessité d’« effacer » la mémoire de Gaza, ce qui est une manière d’évoquer la destruction du patrimoine culturel. À terme, on peut imaginer qu’Israël souhaiterait que la population de Gaza finisse par quitter la zone. Mais les Egyptiens sont en train de construire un mur près de leur frontière avec Gaza, précisément pour contenir les Palestiniens qui fuient les bombardements.

Emmanuel Macron a fait part de sa « profonde indignation » sur X (anciennement Twitter) après la fusillade de jeudi. Le chef de l’Etat appelle à un cessez-le-feu et au respect du droit international. La France a toujours revendiqué tenir une position d’équilibre face au conflit israélo-palestinien, est-ce le début d’un changement de pied ?

La France n’a pas eu de positon d’équilibre, au contraire, elle a même été en déséquilibre constant. Elle a d’abord été dans une posture pro-israélienne, dont elle s’écarte progressivement. Se référer à ce que dit le droit international, comme vient de le faire Emmanuel Macron, est en revanche une manière de revenir à une position d’équilibre.

Ce matin, sur France inter, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a réclamé une enquête indépendante sur ce qu’il s’est passé à Gaza. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence et à huis clos. Que peut-on attendre de ces initiatives ?

Juridiquement, l’ONU, peut décider d’un déploiement militaire, mais si les discussions vont trop loin, les Etats-Unis ne manqueront pas d’y mettre leur veto.

La Cour pénale internationale (CPI) est compétente sur les territoires palestiniens, dans la mesure où l’Autorité palestinienne a ratifié le Statut de Rome en 2015, mais Israël ne reconnaît pas cette autorité. Fin octobre, Karim Khan, procureur de la CPI, s’est rendu en Egypte mais n’a pas pu entrer dans la bande de Gaza. »

Dans la même thématique

Viande de bœuf, poulet, fromage, automobiles…. Quels sont les produits concernés par l’accord UE-Mercosur
7min

International

Viande de bœuf, poulet, fromage, automobiles…. Quels sont les produits concernés par l’accord UE-Mercosur ?

Le texte de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, finalisé le 6 décembre, a été dévoilé cette semaine par la Commission européenne. Il prévoit une réduction drastique, voire la suppression des droits de douanes sur des quotas de produits fabriqués de part et d’autre de l’Atlantique. La France continue de s’opposer à ce texte, alors que les volumes de denrées agricoles concernés soulèvent l’inquiétude de nombreuses filières.

Le

Un réfugié syrien en France célèbre la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
6min

International

Syrie : Plusieurs pays européens suspendent les demandes d’asile des réfugiés, la France « suit attentivement la situation »

Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Djihadistes : « Beaucoup d’entre eux préféreront rester en Syrie que rentrer en France »

Le régime de Bachar al-Assad est tombé en Syrie après l’offensive victorieuse, ce week-end, des rebelles islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le groupe compte dans ses rangs de nombreux djihadistes, dont quelques Français. Faut-il craindre un retour de certains d’entre eux ? Pour le spécialiste Thomas Pierret, cela n’est pas évident. En revanche, selon lui, une résurgence de Daech dans le pays est à craindre.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Syrie : de la Turquie à l’Iran, les équilibres bouleversés au Moyen-Orient après la chute du régime Assad

Après 24 ans de pouvoir, Bachar al-Assad a fui la Syrie, chassé par une offensive éclair du groupe islamiste Hayat Tahir Al-Sham. Une large partie du pays est désormais aux mains d’une coalition de rebelles, aux soutiens et intérêts divergents. De la Turquie à l’Iran, en passant par Israël, tour d’horizon des enjeux de la chute du régime Assad, qui bouleverse les équilibres régionaux.

Le