Gaza : Raphaël Pitti et des médecins humanitaires racontent « l’horreur » et exigent « un cessez-le feu immédiat »

Auditionnés par le groupe écologiste du Sénat, exactement cinq mois après les attaques terroristes perpétrées par le Hamas le 7 octobre dernier, les médecins humanitaires intervenant dans la bande de Gaza sont revenus sur la situation humanitaire désastreuse de la petite enclave palestinienne de 350 km2 pour 2.2 millions d’habitants. Tous réclament un « cessez-le-feu immédiat », face à ce qu’ils décrivent comme une « catastrophe humanitaire ».
Alexis Graillot

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Des témoignages forts, dont les mots ne suffisent pas à décrire la situation humanitaire « dramatique ». Invités à s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu et vu à Gaza, le médecin humanitaire français Raphaël Pitti et des soignants de Palmed tirent la sonnette d’alarme face à « l’inaction » de la communauté internationale et le « deux poids, deux mesures » au regard du conflit en Ukraine.

Entre constat « effroyable », volonté d’un « cessez-le-feu immédiat » et « sanctions fortes » contre l’Etat hébreu, médecins, et ONG ont convergé dans la même direction.

 

«  C’est la première fois en 30 ans de carrière que je me retrouve confronté à une telle situation »

Une situation d’une « exceptionnelle gravité », « une population totalement désœuvrée », « des snipers qui tirent sur tout ce qui bouge », des « problèmes infectieux majeurs ». Devant une audience suspendue à son récit, le médecin-anesthésiste-réanimateur, Raphaël Pitti, qui est intervenu à Rafah, au sud de la bande de Gaza près de la frontière égyptienne en compagnie d’une délégation humanitaire, a décrit l’inimaginable.

Evaluant le besoin à « 25 000 lits » contre seulement « 1 000 » actuellement du fait d’« hôpitaux atteints » et de « bombardements très ciblés sur les structures médicales », le médecin, comme les autres intervenants, ont réclamé un « cessez-le-feu immédiat », et « pas simplement une trêve humanitaire ».

Pire encore, la « famine » n’épargne quasiment personne : « 1 enfant de moins 2 ans sur 6 est en situation de malnutrition aiguë et 2.2 millions de personnes sont en risque de famine » selon l’ONG Action contre la faim, qui parle même de « jamais vu ». « Les marchés et les boulangeries sont frappées », ces dernières ayant été divisées par 6 (de 97 à 15).

Famine d’un côté, et insalubrité totale de l’autre : « 80% des ménages n’ont pas accès à l’eau salubre », « 90% des enfants sont atteints d’une maladie infectieuse », et la population n’a « accès qu’à seulement 15% de l’aide alimentaire » dépeint l’ONG, qui estime « n’avoir jamais vu un tel niveau d’horreur ». « Concernant les accouchements, les femmes doivent sortir de 3 à 6 heures plus tard », décrit un gynécologue, avec un « froid insupportable le soir », « des enfants qui meurent en hypothermie » et des césariennes qui ne durent « que 15-20 mn, car nous ne pouvons pas transfuser ».

 

« Nous avons été une goutte dans l’océan de leur bain de sang »

Iman Marifi, infirmière, dresse un constat encore plus terrible pour la population gazaouie, parlant successivement de « bain de sang », « carnage », « boucherie », « détresse humanitaire », « génocide » ou encore « rencontre du troisième type », qui estime que le convoi humanitaire n’a constitué qu’ « une goutte dans l’océan de leur bain de sang ». « Je ne sais plus quoi faire » se désole l’infirmière, qui lance à l’auditoire : « Nous sommes tous nés pour être enterrés par nos enfants et non pas l’inverse ».

L’ « horreur innommable », c’est également le constat de Pascal André, pédiatre. Horreur renforcée par la difficulté des ONG de pénétrer dans la bande de Gaza : « Il a fallu attendre 3 mois et demi » déplore Raphaël Pitti. « Un cauchemar filmé au quotidien (…) même à Alep, ce n’était pas ça », renchérit un gynécologue.

Le docteur Khaled Benboutrif décrit de son côté « un environnement très hostile, les cris des blessés et des familles » ainsi qu’un « nombre effroyable de personnes sur un espace très restreint ». Preuve de la situation sanitaire et hospitalière désastreuse, le médecin urgentiste relève que « 12 hôpitaux sur 13 ont été détruits » à l’exception de l’hôpital européen. « On travaillait par terre », « il n’y avait pas un mètre carré de libre » se souvient-il encore, relevant que « 50% des victimes sont des enfants ». A ce titre, il livre le récit terrible de mères enceintes tuées sous les bombardements et dont les médecins ont réussi à extraire vivants les enfants, racontant que par la suite, « l’armée israélienne les a arrachés » avant qu’ils soient retrouvés le lendemain, « tous les 4 morts dans un terrain vague ». Une anecdote terrible, qui fait écho aux paroles prononcées quelques instants plus tôt par Iman Marifi : « Je me bride à ne pas raconter toutes les histoires que j’ai en tête ».

 

« Israël se comporte comme un Etat paria »

Pour tous les intervenants, le grand responsable de cette situation, est l’Etat hébreu. Pierre Motin, responsable plaidoyer à la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, souligne le « rôle d’arbitre » milite pour deux axes de recommandations. D’abord, sur le plan humanitaire, il demande comme l’ensemble des intervenants, « un cessez-le-feu durable et immédiat », « un engagement des nations pour continuer le financement de l’UNRA » (Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction) ainsi qu’un « accès sans limite de l’aide humanitaire à l’intérieur de la bande de Gaza ».

« Israël ne veut rien entendre des obligations qui lui sont faites », estime pour sa part Raphaël Pitti, pour qui « il n’y a que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». Lui plaide pour un « ultimatum humanitaire » à l’encontre de l’Etat hébreu. « Israël se comporte comme un Etat paria » continue le médecin, qui juge qu’en cas de non-respect du droit humanitaire international, « nous devons isoler Israël de la communauté internationale ». Les médecins dénoncent notamment l’absence de tout couloir humanitaire, « la première fois depuis 25 ans ».

Dans la même lignée, le docteur Khaled Benboutrif, décrit ce qu’il estime comme constitutifs de crimes contre l’humanité : « Une société civile ciblée par les exactions d’une armée régulière », le « déplacement systématique de la population gazaouie », « une situation de famine causée par un siège qui a duré », « des conditions sanitaires désastreuses et scandaleuses », « le manque d’évacuation des eaux usées » et « l’exécution d’un génocide en cours ». « La conscience humaine doit retrouver ses valeurs » tance-t-il, qualifiant pour sa part Israël, de « pays apartheid ».

En outre, pour le convoi humanitaire, l’armée israélienne vise délibérément les médecins : « Le personnel soignant est une cible de guerre », faisant état de « 300 médecins gazaouis tués ». Pire encore, lorsque le personnel médical est pris en otage, il bénéficie d’un « traitement de (dé)faveur » selon un médecin qui s’est rendu sur place.

 

« Lâcheté » et « désintérêt » des dirigeants européens

Enfin, l’ensemble des intervenants s’en prend à « l’inaction » de la communauté internationale devant une telle situation et le « deux poids, deux mesures » au regard de l’invasion russe en Ukraine, des mots du député européen écologiste, Mounir Satouri. « On alerte mais il ne se passe rien ! » s’alarme de son côté Pascal André.

Inaction du côté des Etats, mais aussi de certaines ONG selon un gynécologue : « Aucune ONG féministe ne lève le doigt pour les femmes palestiniennes », qu’il décrit comme « déshumanisées », « brisées » et, « qui ont tout perdu ». « Briser la femme, c’est briser la famille et la colonne vertébrale de la société » juge-t-il, s’en prenant enfin à l’Egypte, qui selon lui, « profite » de la situation : « On peut sortir de Gaza mais au prix 5000$ par adulte et 2500$ par enfant ».

Pour Akli Mellouli, sénateur écologiste du Val-de-Marne, il est néanmoins important de « ne pas baisser les bras ». Pour autant, selon Iman Marifi, « il est déjà trop tard », un constat partagé par Raphaël Pitti, qui rappelle que le Ramadan, mois sacré des musulmans, commence dès la fin de semaine, estimant dans ce contexte : « Aucun pays musulman ne pourra accepter cette situation ».

Quels que soient les termes employés pour décrire la situation à Gaza, il convient de toujours garder à l’esprit que les premières victimes d’un conflit sont toujours… les civils, qu’ils soient Israéliens ou Palestiniens. Rappelons à ce titre que les attaques terroristes du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas ont fait 1200 morts côté israélien dont près de 800 civils. Du côté de Gaza, près de 30 000 victimes seraient à déplorer, « sans doute plus » selon les intervenants.

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