Un an et demi après son élection, Javier Milei a-t-il réussi à mettre en place son programme économique ?
Du point de vue du discours déployé durant la campagne, il a mis en place un certain nombre de choses qu’il n’avait pas prévu. Il avait un programme très iconoclaste où il disait notamment qu’il allait dollariser l’économie. Finalement, il ne l’a pas fait et se contente plutôt d’appliquer un programme ultralibéral classique avec une réduction de 35 % des dépenses publiques et des suppressions d’administrations publiques. Un des aspects clés pour comprendre cette pratique du pouvoir c’est que le parti de Milei est minoritaire dans les deux assemblées ce qui l’oblige à faire des accords avec des partis de droite plus classiques. Ces partis sont devenus des alliés à part entière de Javier Milei et occupent des postes clés du gouvernement. Par exemple, le ministre de l’économie et la ministre de la sécurité sont issus de la droite conservatrice.
Quel est l’impact de ces coupes budgétaires sur les plus pauvres ?
Ce qui est intéressant c’est qu’il y a eu une explosion de l’inflation et de la pauvreté au début du mandat et de la pauvreté. L’inflation et la pauvreté ont ensuite reculé avec un retour au niveau de 2023 avec des effets inégaux selon les secteurs de la population. Les plus affectés sont ceux dont les ressources dépendent de l’État, donc les fonctionnaires qui ont perdu leurs postes et ceux qui n’ont pas eu de revalorisation de leurs salaires. Les retraités n’ont pas vu leurs pensions suffisamment revalorisées régulièrement. Ils sont d’ailleurs très mobilisés contre le gouvernement de Milei. Par ailleurs, en dépit d’un discours anti assistanat Javier Milei a été assez malin pour conserver un certain nombre d’allocations et les augmenter ce qui explique aussi que Milei reste populaire dans l’opinion.
Est-ce que la droite conservatrice est un frein à la mise en place de la politique libertarienne de Javier Milei ou à l’inverse le président argentin parvient à l’influencer idéologiquement ?
Malgré son faible nombre de députés et de sénateurs, le président argentin n’a pas oublié son ADN idéologique et en fait des rappels fréquents. Notamment avec la libéralisation du port d’armes semi-automatiques qui faisait partie de ses propositions et qui est entré en vigueur le 18 mai par décret. On est dans le scénario typique de l’establishment qui voit un outsider arriver et pense qu’il pourra l’influencer et le manipuler. En réalité, c’est plutôt l’inverse avec une droite classique qui est en train de se faire totalement phagocyter. La droite classique se fait remplacer. La candidate de la droite classique à la présidentielle a rejoint le parti de Milei. Les résultats électoraux partiels illustrent également cette évolution. En particulier dans les beaux quartiers de Buenos Aires, bastion de la droite conservatrice, qui soutiennent désormais Javier Milei.
Quelle est la stratégie par rapport aux autres forces politiques du pays ? Comment Javier Milei tente-t-il de marginaliser les partis du centre-gauche et de la gauche ?
Il y a une volonté de marginaliser l’opposition en menant une bataille culturelle contre la gauche. Il y a deux volets dans cette bataille culturelle. D’abord un volet discursif, avec une logique de trollage en ligne sur les réseaux sociaux et de harcèlement d’un certain nombre de secteurs et de politiciens identifiés à gauche. Les journalistes et les historiens sont des cibles prioritaires avec des insultes directes et très violentes. La presse est donc devenue très critique de la politique de Milei, même au sein de la sphère conservatrice où un journal comme la Nacion s’oppose fréquemment au président argentin. Ce dernier a notamment déclaré : « On ne hait pas assez les journalistes » et multiplié les insultes contre les journalistes. Le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse illustre cette tendance puisque l’Argentine a perdu plus de 40 places depuis l’arrivée de Milei au pouvoir en 2023 [L’Argentine occupait la 40ème place en 2023 contre la 87ème place en 2025]. On observe également une chute de l’Argentine dans l’index des pays démocratiques comme le montre le dernier rapport du V-Dem Institute, il y a un glissement autoritaire qui est en train d’avoir lieu. Sur le volet politique, les coupes budgétaires sont clairement dirigées contre les secteurs associés à ce que Javier Milei appelle le wokisme sont particulièrement visés, notamment sur la politique de la mémoire, les institutions culturelles sont visées. Le secrétariat aux droits humains est devenu un sous-secrétariat ce qui a permis de diminuer de 40 % ses ressources.
Dans quelle mesure le président s’attaque-t-il à des symboles comme la politique de la mémoire ou l’avortement ?
L’avortement a été légalisé fin 2020 en Argentine à la suite d’un mouvement social massif. Javier Milei s’est immédiatement positionné contre le mouvement social ce qui n’était pas forcément intuitif compte tenu de son discours libertarien et ultralibéral. En réalité, ça lui a permis de se rapprocher des ultra-conservateurs. Depuis un an et demi, il n’a pas particulièrement investi le sujet, déjà parce qu’il n’en a pas forcément les moyens au Parlement et parce que les enquêtes d’opinion montrent que la population y est très favorable. Il faudra voir aussi au moment des élections de mi-mandat en octobre s’il parvient à renforcer son assise parlementaire. Historiquement, les conflits mémoriels concernant la dictature argentine [entre 1976 et 1983] sont moins marqués que dans d’autres pays voisins comme le Chili par exemple. Malgré cela, il y a un véritable contre discours de la présidence sur la dictature qui réhabilite en partie le discours de la dictature de l’époque. Ce positionnement, durant la campagne, a permis à Javier Milei de renforcer sa posture iconoclaste.
Quelle relation entretient Javier Milei avec les autres leaders de droite et d’extrême droite dans le monde ? Il avait reçu un accueil particulièrement chaleureux à la conférence des conservateurs à Washington où Elon Musk avait brandi une tronçonneuse, objet fétiche du président argentin pour illustrer sa volonté de trancher dans les dépenses publiques.
Il a un positionnement relativement ambigu. Dans une certaine mesure, c’est un outsider puisque le discours libertarien n’était pas forcément dominant au sein de l’extrême droite et ne colle pas forcément avec le populisme de droite. Son élection a permis de faire émerger des réseaux d’obédience libertarienne au sein de l’extrême droite mondiale. Il n’est pas du tout protectionniste comme Trump et son rapport à la technologie le rapproche plus d’Elon Musk. On constate quand même que son discours et sa méthode inspirent largement. En France par exemple, Éric Ciotti a vanté la politique de Javier Milei, l’ancien ministre Guillaume Kasbarian avait également félicité Elon Musk dans sa « lutte contre la bureaucratie ».
Quels sont les principaux enjeux pour Javier Milei dans les mois qui viennent ?
Dans les mois qui viennent il faudra observer les résultats des élections de mi-mandat. On renouvelle la moitié du Parlement qui a été élu avant l’élection présidentielle de 2023. Quoi qu’il arrive il aura plus de députés et de sénateurs, la question reste de savoir à qui il va les prendre si c’est la droite classique, les péronistes ou la gauche.