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Grand emprunt européen pour la défense : les Etats membres peuvent-ils s’entendre ?

La question d’un nouveau grand emprunt, comme lors du covid-19, est sur la table des 27. Si Emmanuel Macron y est favorable pour la France, d’autres Etats freinent. Les regards se tournent vers l’Allemagne, opposée jusqu’ici, mais dont le nouveau chancelier, Friedrich Merz, est plus ouvert sur l’effort de défense.
François Vignal

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Face au bouleversement de la position américaine, qui s’est rapprochée de la Russie, sur la guerre en Ukraine, les Européens se retrouvent au pied du mur. L’électrochoc pousse les 27 à se prendre en main pour renforcer leur défense et ne plus dépendre des Américains. Mais pour cela, il y a beaucoup de retard à rattraper. Et donc un énorme besoin de financement.

L’idée d’un emprunt commun aux 27 est aujourd’hui sur la table. Il s’ajoute au premier plan de financement de 800 milliards d’euros, proposé il y a deux semaines par la Commission européenne, permettant aux Etats de déroger à la règle des 3 % pour une durée de 4 ans pour leurs dépenses de défense, pour un montant total estimé à 650 milliards d’euros, et autorisant 150 milliards d’euros de prêts aux Etats membres.

Cette fois, on parle d’emprunt commun, comme celui lancé lors de la pandémie de covid-19. Le président français, Emmanuel Macron, y est totalement favorable. A l’issue du sommet européen, il s’est dit jeudi soir « convaincu que l’Union européenne « devra à nouveau faire un emprunt commun » face au « mur de la dette ». Mais il a reconnu qu’« aujourd’hui, ce n’est pas du tout consensuel » au sein des 27. Ce sont les Pays-Bas, qui bloquent clairement. L’Italie et la Pologne y sont en revanche favorables. Les regards se tournent vers l’Allemagne. Le chancelier sortant, Olaf Scholz, est radicalement opposé à cette idée d’emprunt commun. Mais que fera son successeur, Friedrich Merz ?

« Les Pays-Bas sont défavorables, comme la dernière fois. Mais la dernière fois, ils avaient bougé », rappelle Nathalie Loiseau

Pour l’eurodéputée Horizons, Nathalie Loiseau, les choses peuvent encore se débloquer et rien n’est exclu pour laisser espérer une issue favorable. « Que les Européens se mettent d’accord, ce n’est jamais le cas du premier coup. Lors du covid-19, ça ne s’est pas décidé tout de suite. Je vois pas mal de similitudes avec ce qu’il s’est passé lors des réflexions au moment du covid-19. La Commission avait mis sur la table un emprunt qu’elle levait, pour financer le chômage partiel. Puis quand la France et l’Allemagne se sont mis d’accord pour les contours d’un grand emprunt, la commission est venue derrière le proposer », se souvient l’ancienne ministre chargée des Affaires européennes.

« Aujourd’hui, l’Allemagne est encore gouvernée par Olaf Scholz pour quelques semaines. La question se posera, chemin faisant, quand Friedrich Merz, qui s’est débarrassé du frein de la dette en Allemagne, sera chancelier. Sachant qu’il y a beaucoup de pays qui poussent : les pays du sud de l’Europe évidemment, et aussi des pays réputés frugaux, comme le Danemark. Les Pays-Bas sont défavorables, comme la dernière fois. Mais la dernière fois, ils avaient bougé… » rappelle Nathalie Loiseau.

Evolution favorable de la droite du Parti populaire européen

Pour y arriver et convaincre, « quand on parle de grand emprunt, il faut faire la preuve de la nécessité du grand emprunt », par des besoins précis, soutient Nathalie Loiseau. La responsable du pôle international du parti Horizons ajoute que « le grand emprunt européen a une qualité, c’est qu’il peut être fléché vers des projets véritablement européens ».

Un signe montre que la position allemande serait peut-être en train de changer. Comme le raconte Le Monde, les responsables de la droite conservatrice du Parti populaire européen (PPE), la première force politique du Parlement européen, et dont la CDU, dirigée par Friedrich Merz, est membre, se sont réunis jeudi et ont pris position en faveur d’un grand emprunt européen, « si nécessaire ». Une position qui change beaucoup de choses et qui pourrait ouvrir vers une évolution de la ligne défendue par l’Allemagne.

« Comme au moment du Covid, l’Europe peut et surtout doit être une puissance qui fédère et protègent les Européens », souligne Rachid Temal

Rachid Temal, sénateur PS du Val-d’Oise, soutient aussi l’idée du grand emprunt. « Je crois que, comme au moment du Covid, l’Europe peut et surtout doit être une puissance qui fédère et protègent les Européens », avance le socialiste.

« Un emprunt européen, c’est une Europe qui assume sa part sur le volet financier et qui permet aux Etats de renforcer leur armée et de développer, de renforcer et de muscler son industrie de défense et de souveraineté », ajoute le vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, qui évoque « notre armement, mais aussi nos infrastructures critiques, nos capacités cyber, nos capacités de renseignement, le spatial, etc ».

Le grand emprunt « envoie le message d’une Europe qui fait bloc »

« Evidemment, un emprunt européen est une des solutions possibles », réagit pour sa part le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat. Mais un emprunt « qu’il faudrait savoir rembourser », ajoute-t-il aussitôt, alors que les 27 n’ont pas fini de rembourser celui pour le covid-19. Car « les marges de manœuvre se réduisent considérablement. C’est une évidence. Mais après, la France ne peut pas rester sans agir, ni réagir », selon le rapporteur du budget, sachant « qu’il y a des arbitrages à faire. L’effort de défense est dans les priorités absolues ».

« De toute façon, il faut se donner les moyens et trouver une solution. Car elle envoie aussi derrière le message d’une Europe qui fait bloc. Dans le contexte international, c’est aussi important. Il y a une partie de psychologie, il faut savoir afficher, affirmer une force, une unité », ajoute Jean-François Husson.

« L’idée ne doit pas être de penser qu’on trouvera à chaque fois une échappatoire, une espèce d’excuse sur la responsabilité budgétaire », souligne Jean-François Husson

Quant au plan de la Commission de 800 milliards, s’il a été salué, il montre aussi ses limites car il repose essentiellement sur les dépenses des Etats. Pour les pays les plus endettés, comme la France, l’Italie ou la Belgique, décider d’alourdir la barque de ce point de vue ne sera pas évident.

« L’idée ne doit pas être de penser qu’on trouvera à chaque fois une échappatoire, une espèce d’excuse sur la responsabilité budgétaire. Il faut vraiment renoncer à toute tentative politique de contournement d’une exigence d’avoir des comptes publics mieux tenus », met en garde Jean-François Husson. Avec le plan de la Commission européenne, « les Etats membres peuvent faire suffisamment de leur côté, mais pas forcément ensemble », à la différence du grand emprunt, ajoute Nathalie Loiseau. Or « tout ce qui permet de dépenser ensemble, permet de dépenser mieux », note l’eurodéputée. Acheter ensemble permet ainsi de faire baisser les prix. Pour les 27, ce n’est pas un sous argument.

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