En Israël, il est l’une des rares personnalités politiques à s’élever contre la politique du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Mardi 20 mai, Yaïr Golan, chef de la gauche israélienne, a lancé une puissante charge contre l’intensification des opérations militaires israéliennes menées dans la bande de Gaza. « Un pays sain ne fait pas la guerre à des civils, n’a pas pour hobby de tuer des bébés et ne se fixe pas pour objectif d’expulser des populations », a dénoncé le responsable, lors d’une intervention à la radio. « Israël est en train de devenir un État paria, comme l’Afrique du Sud par le passé. »
Les propos de Yaïr Golan, connu pour avoir sauvé plusieurs rescapés lors des attaques terroristes du 7 octobre 2023 menées par le Hamas sur le sol hébreu, ont été contestés par l’ensemble des forces politiques du pays. Benyamin Netanyahou a lui-même repris l’ex-député, déplorant des « calomnies antisémites (…) à l’encontre des soldats israéliens ». « Les propos de Golan ne manqueront pas d’attiser le feu de l’antisémitisme mondial, à un moment où Israël lutte pour sa survie », a de son côté regretté le ministre des Affaires étrangères Gideon Saar. Le chef de file de l’opposition de centre-droit Yaïr Lapid, parfois critique du Premier ministre, a pour sa part estimé que l’homme politique de gauche « fait le jeu de nos ennemis ».
Toujours une certaine assise politique pour Netanyahou
Au sein d’une classe politique morcelée, la levée de boucliers quasi-unanime face à la déclaration de Yaïr Golan – qui a par la suite tempéré ses propos – témoigne des difficultés de la société israélienne à évoquer l’action de son armée dans la bande de Gaza. Et démontre, aussi, l’assise politique dont bénéficie malgré tout toujours Benyamin Netanyahou en Israël, en dépit des obstacles qui s’accumulent face à la poursuite de l’offensive militaire à Gaza. Au niveau international, la France, le Royaume-Uni et le Canada ont ainsi dénoncé cette semaine une « escalade totalement disproportionnée » dans l’enclave palestinienne. Le président américain Donald Trump, lui, ne voit pas d’un bon œil l’intensification de la guerre menée par Israël à Gaza et semble avoir raidi sa position envers son traditionnel allié.
À première vue, la situation paraît aussi se compliquer pour Benyamin Netanyahou sur la scène intérieure. Des manifestations se tiennent encore régulièrement dans les grandes villes israéliennes contre le dirigeant israélien. Fin mars, une enquête d’opinion publiée par la chaîne israélienne Channel 12 montrait par ailleurs que 70% des habitants du pays disaient ne plus avoir confiance en son gouvernement.
Un début de désaveu ? « Il y a en effet à peu près les deux tiers des Israéliens, qui, dans les sondages, ne font pus confiance au Premier ministre, mais ça ne veut pas dire qu’ils sont pour autant hostiles à l’offensive militaire. Il ne faut pas confondre les deux. C’est vraiment deux choses différentes », explique à Public Sénat Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po.
La plupart des griefs adressés par les manifestants à Benyamin Netanyahou se concentrent d’ailleurs autour d’une revendication : le retour en Israël des 58 derniers otages toujours retenus à Gaza par le Hamas. Une demande qui implique, pour beaucoup, la signature d’un cessez-le-feu avec le mouvement islamiste. « Le Premier ministre israélien est critiqué pour le fait de mener une guerre pour laquelle son objectif (éradiquer le Hamas, ndlr) est devenu secondaire », poursuit le chercheur. « Ce n’est pas une opposition, qui, sous sa forme majoritaire, est tellement inquiétante pour lui. »
Intérêts réciproques avec les partis d’extrême-droite
Début mai, le chef du gouvernement israélien a annoncé un plan de « conquête » de la bande de Gaza. Mercredi, il a de nouveau assuré que « tout » le territoire allait passer sous le contrôle de l’État hébreu. Le projet est activement soutenu par les nombreux ministres d’extrême-droite qui l’entourent au pouvoir. « La seule aide qui doit entrer dans Gaza est celle destinée à favoriser l’émigration volontaire », a martelé le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, chargé de la Sécurité nationale, il y a quelques semaines. « Gaza sera totalement détruite », promet pour sa part le ministre des Finances Bezalel Smotrich, aligné sur la même idéologie.
Benyamin Netanyahou, figure du Likoud, la droite traditionnelle, a composé cette alliance avec plusieurs formations d’extrême-droite ou religieuses ultra-orthodoxes à l’issue des élections législatives fin 2022. Sans leur soutien, son parti ne réunit pas assez de voix au Parlement israélien, la Knesset, pour réunir une majorité. Or, ces différentes forces représentent un poids de plus en plus important dans l’action de l’exécutif israélien, notamment à Gaza. « Benyamin Netanyahou est un peu obligé de leur donner des gages s’il veut que sa majorité subsiste », résume Alain Dieckhoff. Certains ministres menacent d’ailleurs régulièrement de quitter la coalition en cas d’une signature d’un cessez-le-feu avec le Hamas.
En janvier, Itamar Ben Gvir avait d’ailleurs claqué la porte après l’annonce d’une trêve avec le mouvement islamiste… avant de retrouver son poste, deux mois plus tard, au moment de la reprise des bombardements sur la bande de Gaza. « Benyamin Netanyahou a besoin de ces partis et finalement eux aussi ont, à mon sens, tout intérêt à maintenir la coalition », analyse Alain Dieckhoff. « De nouvelles élections ne seraient pas nécessairement bénéfiques pour eux, en tout cas pas pour toutes les formations. » De fait, avec leur poids électoral limité, « ceux qui sont à la manœuvre ont plutôt intérêt à rester ensemble pour le moment ». Dans ce contexte, le Premier ministre apparaît-il si fragilisé ? « Pas tant que ça », soutient le chercheur.
Opposition divisée
Sa survie politique tient également à la faible influence de l’opposition, qui peine à faire entendre sa voix. Au centre-droit, les groupes des députés à la Knesset Yaïr Lapid et Benny Gantz sont les plus fournis. Mais, sans faire partir de l’équipe du Premier ministre, leurs chefs de file « ne sont pas très critiques de la politique gouvernementale », poursuit Alain Dieckhoff. « Le seul qui s’est indéniablement démarqué, c’est Yaïr Golan. » Toutefois, les rangs du responsable de gauche ne comptent que quatre parlementaires.
Benyamin Netanyahou a-t-il donc les mains libres pour poursuivre son offensive militaire à Gaza ? « Jusque-là, il n’y avait pas d’obstacles internationaux majeurs et il pouvait sans problème donner des gages à l’extrême-droite », rappelle Alain Dieckhoff. « À présent, il va devoir rabattre davantage la barre au milieu. » Dans la situation actuelle, la position de Donald Trump sera particulièrement scrutée. Le milliardaire entend faire signer les accords d’Abraham, qui impliquent la normalisation des relations diplomatiques avec Israël, à de nouveaux pays arabes.
Après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc, le dirigeant républicain rêve de voir l’Arabie saoudite rejoindre à son tour le mouvement. Au moment de le recevoir dans la cadre de sa récente tournée dans la Golfe, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane a toutefois opposé une fin de non-recevoir à sa demande. La poursuite du conflit à Gaza apparaît comme une ligne rouge pour Riyad avant de se projeter sur une telle démarche diplomatique. Le jusqu’au boutisme annoncé par le pouvoir israélien dans l’enclave pourrait donc bien mettre à mal l’ambition américaine. Mais comme souvent, l’imprévisibilité de Donald Trump pourrait bien tout changer…