Guerre commerciale : le patronat appelle à « ne pas surréagir » dans les contre-mesures imposées à Washington à cause des droits de douane

Face aux menaces liées à la guerre commerciale de Donald Trump, les représentants du patronat étaient réunis ce mardi 29 avril devant la délégation aux entreprises du Sénat. Ils appellent à faire preuve de prudence dans les contremesures européennes apportées aux droits de douane américains. Mais aussi à se préparer pour éviter « une déferlante » de produits chinois sur le marché français…
Théodore Azouze

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Se protéger des conséquences de la guerre commerciale lancée par Donald Trump. Les représentants des principales organisations patronales étaient réunis ce mardi 29 avril au Sénat pour échanger lors d’une table ronde consacrée à l’impact des droits de douane imposés par les États-Unis sur l’activité des entreprises françaises. L’occasion, dans le même temps, d’évoquer les évolutions à mettre en place pour permettre d’améliorer les relations commerciales de l’économie tricolore à l’international. 

Après avoir annoncé un plan massif de surtaxes réciproques fin mars, le président américain était finalement revenu sur sa décision, mettant en pause cette mesure pour 90 jours – hormis concernant la Chine, dont les droits de douane américains atteignent toujours 145% pour beaucoup de secteurs. L’Union européenne devait initialement être ciblée par des tarifs supplémentaires de 20% sur la quasi-intégralité de ses produits. Aujourd’hui, ce taux a été ramené à une hausse de 10% pour toute importation arrivant sur le territoire américain. Certains biens européens – l’aluminium, l’acier ou les automobiles – sont encore visés par une augmentation plus forte de 25%. 

Succession de crises pour les petites entreprises

Des chiffres qui demeurent très importants pour les groupes français. « Les entreprises que vous représentez sont prises en étau entre une pression commerciale internationale sans précédent et une situation économique nationale marquée par l’endettement », a souligné en introduction le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Rietmann (LR). L’imprévisibilité de Donald Trump sur sa politique commerciale chaotique permettent difficilement d’anticiper les initiatives à mettre en place pour limiter les répercussions sur l’économie française. « Les multiples volte-faces du président américain font que l’on ne peut même plus compter avec certitude sur les dernières annonces de son administration », a poursuivi le sénateur.

Face à ces mesures tarifaires à la portée incertaine, les représentants patronaux présents au Sénat ce mardi ont malgré tout exposé leur analyse sur la situation. Avec d’abord un constat : l’agressivité commerciale du milliardaire républicain « rajoutera une difficulté » à certaines entreprises parfois déjà mal en point, regrette Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P). « Les petites entreprises se relèvent difficilement dans la situation actuelle de plusieurs crises : crise sanitaire, crise sur le coût de l’énergie, sur le coût des matières premières. (…) Tout cela reste inquiétant », développe le responsable. 

Fabrice Le Saché, vice-président du Medef, note que la configuration actuelle des relations commerciales des États-Unis avec ses partenaires économiques s’inscrit toutefois dans la continuité de la politique menée par les précédents présidents américains, y compris sous Obama et Biden. « L’exigence de réindustrialisation ne date pas de l’administration Trump 2, le protectionnisme et l’extraterritorialité américains ne sont pas nouveaux », ni « la fixation et la cristallisation » du pays par rapport à la Chine, précise-t-il. Tant d’enjeux, qui, selon les différents intervenants du jour, n’ont pas suffisamment été pris en compte ces dernières années pour les pouvoirs publics français et européens. 

Appel à la prudence sur les contre-mesures

Forcément, l’urgence actuelle contraint les différentes puissances du monde entier à dialoguer avec Washington pour trouver un accord et limiter l’ampleur des surtaxes qui leur seront imposées. « Il y a encore beaucoup de travail devant nous pour aboutir à des paramètres concrets (…) afin de parvenir à éviter l’imposition de droits de douane », a indiqué le commissaire européen à l’Économie, Valdis Dombrovskis, vendredi, lors d’un point presse suivant une série de réunions outre-Atlantique. Cette « reconfiguration économique brutale » va contraindre les 27 à s’interroger sur leur philosophie économique, estime Amir Reza-Tofighi, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). « Est-ce qu’on veut être une nation et un continent de producteurs ou juste un continent qui consommera des produits venus de l’étranger ? »

De nombreuses craintes ont été soulevées durant cette table ronde. Plusieurs représentants ont évoqué les conséquences en France des futures contre-mesures européennes infligées aux produits américains. « On exporte beaucoup de choses : il faut faire attention que les efforts soient bien répartis entre tous les pays européens », préconise Fabrice Le Séché. « Il faut être extrêmement présents à Bruxelles » pour éviter « les effets de bord » de certains pays qui « essaient parfois d’aller seuls » obtenir des avantages de la part de Washington. Même position ou presque pour Frédéric Coirier, le président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI). Le dirigeant appelle à « ne pas surréagir », redoutant la « désorganisation potentielle des chaînes d’approvisionnement » en cas de mauvais ciblage des biens visés par l’Europe.

La crainte d’une « déferlante asiatique » sur le marché européen

L’autre principale préoccupation du patronat ? L’arrivée d’une « déferlante asiatique », en particulier de produits chinois, sur le marché européen. Pékin, qui subit donc les plus importantes surtaxes commerciales de la part du pouvoir américain, pourrait chercher à reporter une partie de ses exportations sur le territoire américain au sein des frontières de l’UE. L’exemple des géants chinois de la fast-fashion Temu et Shein, déjà très présents en France, est souvent cité pour leur concurrence jugée déloyale vis-à-vis des entreprises françaises. Le gouvernement vient d’ailleurs d’annoncer ce mardi l’imposition « un petit montant forfaitaire sur les colis » venus de Chine pour financer le « contrôle » de ces produits, en particulier en ce qui concerne le respect des normes européennes.

Une mesure loin d’être suffisante, d’après Amir Reza-Tofighi. « On est complètement à côté de la plaque », déplore le président de la CPME, agacé par une démarche par ailleurs trop tardive à son goût. « Il nous faut deux ans pour faire supprimer l’exemption douanière et [aujourd’hui] on met des frais de quelques euros. Je vous le dis : dans deux ou trois ans, on va faire une commission d’enquête pour savoir pourquoi on a tué notre commerce en France. Si on n’est pas capable de prendre des décisions rapides et impactantes… » Cette question de la concurrence des produits chinois inquiète aussi Michel Picon, évoquant un phénomène « qui a pillé de nombreux de nos petits commerces ». Le patron de l’U2P rappelle que le nombre de défaillances d’entreprises s’est accru ces derniers mois (+12,5% entre mars 2024 et février 2025 selon la Banque de France). 

Pour les chefs d’entreprise, le chantier majeur sur laquelle se pencher est clair : la compétitivité. Les représentants du Medef, de la CPME et du METI ont tous les trois particulièrement insisté sur cette problématique. Il s’agit en fait de répondre au « choix qui a été fait depuis toujours de favoriser l’intérêt du consommateur que celui du producteur », juge Amar Reza-Tofighi. « On a les prélèvements obligatoires les plus importants de l’UE, des impôts de productions les plus élevés, (…) un niveau de charges qui fait partie des plus hauts… Et après, on s’étonne que nos entreprises ont du mal à se développer, qu’il y a des défaillances qui augmentent fortement. Ça, c’est indéfendable. » Frédéric Coirier, du METI, pousse aussi pour une meilleure « simplification » et pour une baisse de l’effort demandé aux entreprises face aux difficultés accrues par la guerre commerciale. « Quand on diminue les impôts de production, on augmente le rendement », soutient-il. 

« Aucun d’entre vous ne nous a dit que la solution était d’arrêter d’investir aux États-Unis », a relevé le président de la délégation, Olivier Rietmann, à l’issue des échanges. Une remarque dont il assume la « malice », faisant référence à une déclaration à ce sujet d’Emmanuel Macron, début avril. Le président de la République avait alors estimé qu’il serait nécessaire de « suspendre » temporairement les investissements français outre-Atlantique si Washington ne revenait sur son annonce sur les droits de douane réciproques. Chose que Donald Trump a finalement consenti à faire, au moins pour un temps…

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