90 minutes au téléphone. C’est le signal que Moscou attendait, après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Ce 12 février, le président américain s’est longuement entretenu avec Vladimir Poutine. Les deux dirigeants ont convenu de lancer des négociations « immédiates » pour un cessez-le-feu en Ukraine et ont même prévu de se voir prochainement en Arabie saoudite.
Ces discussions prendront-elles en compte les intérêts de l’Ukraine ? Rien n’est moins sûr. Depuis le début de sa campagne électorale, le président des Etats-Unis multiplie les déclarations qui laissent présager du contraire. Promettant de mettre fin à la guerre « en 24 heures », Donald Trump a plusieurs fois affirmé sa volonté de rompre le soutien financier et militaire à Kiev.
« La question de l’Otan n’est même pas en négociation, c’est une concession majeure en faveur de la Russie »
Quelques heures avant le coup de téléphone, le nouveau secrétaire américain à la Défense donnait déjà une idée du ton dans lequel les négociations s’engagent. En déjeuner à Bruxelles avec ses homologues de l’Otan ce 12 février, Pete Hegseth – ancien chroniqueur de Fox News – a déjà balayé deux conditions majeures, longtemps posées par Volodymyr Zelensky pour convenir d’un cessez-le-feu. Le retour de l’Ukraine aux frontières de 2014, c’est-à-dire avant l’annexion de la Crimée par la Russie, est jugé « irréaliste », de même qu’une adhésion du pays à l’Otan. « La question de l’Otan n’est même pas en négociation, c’est une concession majeure en faveur de la Russie », constate Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste des questions européennes.
L’Ukraine devra aussi manifestement faire des concessions sur le plan territorial. Actuellement, en plus de la Crimée et des oblasts de Louhansk et Donetsk contrôlés depuis 2014, les forces russes ont conquis des territoires dans le Donbass, au nord de Kharkiv et au sud de Kherson. Au total, plus de 18 % du territoire ukrainien est donc sous le contrôle de Moscou. À l’inverse, l’Ukraine occupe actuellement environ 500 km2 de territoire russe, dans la région de Koursk.
« Telles que Poutine et Trump sont en train de les envisager, les négociations se feront sans l’Ukraine »
Dans un entretien avec le quotidien britannique The Guardian ce 11 février, Volodymyr Zelensky s’est déjà montré prêt à « échanger un territoire contre un autre », rompant avec la position ferme qu’il adoptait depuis le début de l’invasion russe en 2022. Un deal rejeté par Moscou, qui refuse de céder un morceau de son territoire. Pour Emmanuel Dupuy, président de l’institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE), les bases de négociations posées par le président ukrainien ont peu de chances d’aboutir : « Volodymyr Zelensky est mis devant le fait accompli. Telles que Vladimir Poutine et Donald Trump sont en train de les envisager, les négociations se feront sans l’Ukraine ».
Kiev pourrait même être contraint de monnayer sa sécurité, pour assurer l’intégrité de son territoire restant. Au début du mois de février, le président des Etats-Unis a en effet proposé la poursuite de l’aide militaire, en échange d’une « garantie » d’accès au sous-sol ukrainien, riche en métaux précieux. « L’Ukraine se voit forcée d’accepter les conditions qui lui sont imposées. Donald Trump emploie la même méthode que celle qui avait permis la conclusion de son plan de paix dans le conflit israélo-palestinien, lors de son premier mandat, sans associer l’Autorité palestinienne », analyse Emmanuel Dupuy.
L’Union européenne « simple sous-traitant » de l’accord
Face aux déclarations impulsives de Donald Trump, les dirigeants européens restent pour le moment spectateurs. Aucun n’a d’ailleurs été mis au courant avant l’appel passé entre les deux puissances. « Donald Trump est en train de dire que ses alliés n’auront pas voix au chapitre. C’est une initiative unilatérale », observe Patrick Martin-Genier. Après l’ouverture des négociations, la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas a tout de même réagi, assurant que « n’importe quel accord aura aussi besoin de la participation de l’Ukraine et de l’Europe ». De son côté, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a également fait savoir qu’il n’y aurait « pas de paix juste et durable en Ukraine sans les Européens ».
Alors que l’Ukraine reste candidate à l’entrée dans l’Union européenne, quelle forme pourrait prendre la participation du continent aux négociations ? « Si les Etats-Unis ne veulent pas lui accorder plus de place dans le processus de paix, je crois que l’Union européenne sera un simple sous-traitant », assure Patrick Martin-Genier, « peut-être qu’on demandera aux armées européennes de garantir le respect de l’accord en assurant la sécurité de l’est de l’Europe. »
Pour le moment, devant des négociations qui lui sont imposées, l’Europe semble donc dans l’impasse. « Si l’Union européenne refuse de respecter l’accord qui lui est imposé, cela risque de se retourner contre elle, les Etats-Unis pourraient l’accuser de retarder le processus de paix et de faire le jeu de la Russie », estime Emmanuel Dupuy. Ce 14 février, Européens et Américains se retrouveront d’ailleurs à l’occasion de la conférence de Munich sur la sécurité, Volodymyr Zelensky est aussi invité à la table des négociations. Une première étape vers le cessez-le-feu, mais à quel prix ?