C’est sa première visite en France depuis sa nomination au poste de secrétaire d’Etat américain (département chargé des Affaires étrangères) par le président américain Donald Trump. Marco Rubio a rencontré Emmanuel Macron à l’Elysée ce jeudi. L’objectif selon Washington : « Mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine et mettre un terme à l’effusion de sang ». Lors de la campagne présidentielle, Donald Trump affirmait pouvoir « régler » le conflit russo-ukrainien en 24 heures.
Pour Emmanuel Macron, la réunion entre émissaires américains, britanniques, allemands et ukrainiens a permis une « importante convergence ». « Je pense que tout le monde veut la paix, assurément, et une paix robuste et durable », a-t-il déclaré.
« Il est difficile de spéculer sur ce qui s’est dit au cours des discussions à l’Elysée », regrette Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Securité en Europe (IPSE) et enseignant en géopolitique à l’Université catholique de Lille. « Ce qui est certain, c’est que la position française et américaine s’éloigne diamétralement avec des Américains qui concèdent à toutes les demandes de la Russie ».
Deux options sur la table
Il y a six jours, l’émissaire américain Steve Witkoff a rencontré Vladimir Poutine à Moscou. L’envoyé spécial des Etats-Unis au Moyen-Orient était aux côtés de Marco Rubio lors des discussions avec Emmanuel Macron.
Pour Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), la rencontre va au moins permettre de « connaître » la position du président russe. Selon lui, deux options seront sur la table : « La première option est que les Américains capitalisent sur la pression qu’exercent les Européens sur les Russes. Qu’ils soutiennent tacitement l’aide, ce qui leur permet de ne pas avoir à exercer de pression sur la Russie, puisque Donald Trump se refuse à le faire ».
La seconde option, et la plus probable selon l’ambassadeur, est que les Américains demandent aux Européens de lever le pied sur leur agressivité vis-à-vis de la Russie. « Marco Rubio peut demander que les Européens lèvent certaines sanctions ou encore que Bruxelles n’adopte pas les nouvelles sanctions qui sont en discussion. Les Américains peuvent également faire pression pour réduire les livraisons d’armes à l’Ukraine ou tout simplement, les Américains vont dire qu’ils souhaitent normaliser leurs relations avec la Russie et cela, peu importe la position des Européens ».
« Une réassurance américaine dans l’OTAN »
Mais selon Emmanuel Dupuy, le sujet principal de la rencontre n’est pas l’Ukraine : « Le sujet principal c’est une réassurance américaine dans l’OTAN ». Pour le chercheur, cette forme de réengagement justifie la visite du secrétaire d’Etat américain. « Dans une déclaration récente, Marco Rubio a annoncé que les Américains ne quitteraient pas l’OTAN et qu’ils allaient de nouveau s’engager au sein de l’alliance. Je pense que cette annonce justifie la visite de Marco Rubio en Europe ».
« Les Etats-Unis sont prêts à tout concéder à la Russie »
Après sa rencontre avec Vladimir Poutine, Steve Witkoff a déclaré que les discussions étaient « sur le point » de permettre des avancées. Dimanche dernier pourtant, un bombardement russe a tué au moins 35 civils dans la ville ukrainienne de Soumy.
En déplacement à Marseille, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a déclaré : « Vladimir Poutine a une nouvelle fois démontré que sa cruauté est sans limite, qu’il n’a aucune intention de cesser le feu alors que l’Ukraine y a consenti depuis plus d’un mois et qu’il va donc falloir l’y contraindre ». Une rencontre avec la délégation américaine est prévue dans la journée au Quai d’Orsay.
Côté américain, la réaction est mesurée, voire inexistante. Après avoir qualifié le bombardement d’« horrible », Donald Trump émet l’hypothèse d’une « erreur » de la part de l’armée russe.
« C’est encore une fois la preuve que les Etats-Unis sont prêts à tout concéder à la Russie », regrette Emmanuel Dupuy. « Malgré ce bombardement tragique, les conditions négociées à Ryad tiennent toujours entre les Américains et les Russes. Ils veulent que les Russes restent sur le texte négocié. Il n’y a pas de place pour l’Europe ». A la mi-février, russes et américains se sont accordés sur des conditions de « fin permanente à la guerre » lors d’un sommet organisé à Ryad.
Une coalition européenne
Entre les Etats-Unis et ses partenaires européens, les relations sont tumultueuses sur le dossier ukrainien depuis le rapprochement entre Donald Trump et le Kremlin. Face à ce revirement, Paris et Londres ont constitué une « coalition des volontaires » autour d’une trentaine de pays alliés de l’Ukraine. L’objectif : la création d’une « force de réassurance » afin d’éviter de nouvelles attaques de la Russie et de garantir un cessez-le-feu.
Mais pour Emmanuel Dupuy, cette coalition n’est réelle que sur le papier : « Au sein de la coalition, tous les pays ne sont pas d’accord pour envoyer des troupes. Il y a seulement une coalition sur le fait qu’il faut aider l’Ukraine ».
« Une focalisation sur la poursuite de la guerre »
La Russie quant à elle accuse les Européens de nuire à la paix : « Malheureusement, ce que nous voyons de la part des Européens, c’est une focalisation sur la poursuite de la guerre », a déclaré aujourd’hui le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov. Le Kremlin a aussi dénoncé, lundi dernier, un risque d’« escalade » du conflit en cas d’envoi, par l’Allemagne, de missiles Taurus en Ukraine.
« Le Kremlin accuse Paris et Londres de vouloir poursuivre la guerre car leurs positions ne sont pas claires. Pour Poutine, les conditions des Européens ne sont pas des conditions de paix, mais plutôt des conditions de capitulation pour la Russie », souligne Emmanuel Dupuy.
Les discussions du secrétaire d’Etat américain se poursuivent demain. Une délégation allemande et ukrainienne s’est également déplacée à Paris pour participer aux échanges avec les Américains. Le chef de l’administration présidentielle ukrainienne, Andriï Iermak, présent à Paris doit entamer des rencontres « bilatérales et multilatérales » avec les pays alliés de Kiev.
« Marco Rubio reste la personne la plus souple de l’administration Trump en comparaison à des personnages comme J.D Vance ou Steve Witkoff, indique Emmanuel Dupuy. Espérons que cela facilite les discussions ».