Elu président de la fédération de Russie pour la première fois le 26 mars 2000, Vladimir Poutine célèbre ses 25 ans de pouvoir.
8886627 24.03.2025 Russian President Vladimir Putin meets with Krasnodar Territory Governor Veniamin Kondratyev at the Kremlin in Moscow, Russia. Vyacheslav Prokofyev / POOL//SPUTNIK_8886627_67e13b7990968/Credit:Vyacheslav Prokofyev/SPUT/SIPA/2503241454

« Il faut s’attendre au pire » : 25 ans après son élection en Russie, quel bilan dresser du régime de Vladimir Poutine ?

Vladimir Poutine a été officiellement élu président pour la première fois le 26 mars 2000. Un quart de siècle plus tard, il est à la tête d’un régime autoritaire qui menace l’Europe. Sur fond de guerre en Ukraine et de difficultés économiques intérieures, Vladimir Poutine reste-t-il un dirigeant populaire en Russie ? Réponses avec la politologue Vera Grantseva.
Rose-Amélie Bécel

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Arrivé au pouvoir par intérim le 31 décembre, suite à la démission de Boris Eltsine, Vladimir Poutine a été officiellement élu président de la fédération de Russie pour la première fois le 26 mars 2000. En réprimant toute opposition et à la faveur d’un référendum qui lui permet d’étendre ses mandats jusqu’en 2036, son régime autoritaire paraît inébranlable.

Quel bilan peut-on dresser de ces 25 ans de pouvoir ? Sur fond de difficultés économiques et d’enlisement inattendu en Ukraine, quel regard la population russe porte-t-elle sur son dirigeant ? Après la mort d’Alexeï Navalny, enfermé par le régime dans une prison en Sibérie, l’opposition au régime continue-t-elle de s’exprimer ? Décryptage avec Vera Grantseva, politologue et enseignante à Sciences po Paris.

Vladimir Poutine a été officiellement élu pour la première fois président de la fédération de Russie le 26 mars 2000, après plusieurs mois de présidence par intérim. Quel bilan peut-on dresser de ces 25 ans au pouvoir ?

Le bilan global qu’on peut dresser de ces 25 années de pouvoir, c’est que Poutine a gâché la chance que la Russie avait d’entamer une période calme, propice au développement économique et technologique. Au début des années 2000, le pays avait pourtant l’opportunité de se développer économiquement, notamment avec la hausse des prix du pétrole. Mais cette chance a été effacée pour des raisons politiques.

En 2011 et 2012, des mouvements populaires ont contesté les résultats des élections législatives, puis la réélection de Vladimir Poutine. À partir de ce moment, il a compris que le développement économique de la Russie n’était pas un objectif, mais présentait au contraire un risque, car elle entraînerait l’émergence d’une classe moyenne. Les contestations seraient alors d’autant plus fortes : ce sont les gens qui ont une maison individuelle, une voiture, qui sont les plus susceptibles de formuler des revendications politiques en contradiction avec le régime autoritaire.

Aujourd’hui, la majorité des Russes continuent donc de vivre assez pauvrement, en dehors des grandes villes comme Moscou et Saint Pétersbourg. Pour donner un exemple, Poutine n’a pas réussi à relier toute la population au gaz, ce qui fait que 20 % des foyers se chauffent encore au bois, comme au 19ème siècle. Les indicateurs concrets de développement économique de la Russie restent difficiles à observer. Par contre, le déclin de la démographie montre très bien l’état de l’économie. Alors que nous avions atteint un pic de natalité en 2013, avec 1,7 million de naissances, nous sommes aujourd’hui autour d’1,3 million. C’est un chiffre très bas, équivalent à celui des années 1990, qui sont les années les plus dures, marquées par la chute de l’URSS.

Ce bilan très sombre que vous dressez, a-t-il entamé la popularité de Vladimir Poutine ? Après la mort d’Alexeï Navalny, figure de l’opposition au régime, les critiques à l’égard du pouvoir trouvent-elles toujours le moyen de s’exprimer ?

Lors de son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine était assez populaire, il jouissait d’une bonne image, celle d’un dirigeant qui allait redresser la Russie. Il a succédé à Boris Eltsine, qui était très âgé au moment de sa démission, ne maîtrisait plus ses discours, avait la réputation d’être alcoolique. Dans une certaine mesure, c’est une réputation qu’il a conservé lors de ses deux premiers mandats. Ils ont été marqués par un bon bilan économique, porté par l’envolée du prix du pétrole, mais aussi par un durcissement à l’égard des oligarques qui avait la mainmise sur l’économie avec la complicité d’Eltsine.

Si Poutine ne s’était pas de nouveau présenté à l’élection présidentielle en 2012, il aurait pu rester comme un leader respecté. En matière de popularité, c’est à ce moment qu’un tournant s’est opéré, avec son retour au pouvoir contre la volonté du peuple. Les manifestations ont été réprimées, des leaders contestataires arrêtés. Avec l’instauration de ce régime autoritaire, la popularité de Poutine est devenue très difficile à mesurer, car les Russes n’osent plus dire ce qu’ils pensent. Ce n’est pas seulement lié à la répression violente des opposants, mais aussi à une forte propagande, un contrôle du Kremlin sur tous les médias dont les informations génèrent un brouillard dans l’esprit des gens. Aujourd’hui, la majorité des Russes ne croient plus en rien, ni dans les politiques, ni dans la démocratie. Les gens sont cyniques, désespérés, apathiques.

C’est sous cet angle, parfois difficile à comprendre pour les occidentaux, qu’il faut penser la question de l’opposition au régime. Les Russes ne parviennent pas à transformer ce désespoir en mécontentement politique, car s’opposer au régime c’est risquer sa vie. Poutine a créé un état policier et muselé toute forme d’expression politique. Il y a une minorité de Russes qui utilisent des VPN, pour se connecter sur des réseaux étrangers, mais ce sont des dispositifs payants et compliqués à installer. L’intérêt pour la politique est donc assez peu développé, la majorité des Russes sont résignés et ne voient pas comment Poutine pourrait être renversé.

 Aujourd’hui, la majorité des Russes ne croient plus en rien, ni dans les politiques, ni dans la démocratie. 

En 2020, Vladimir Poutine a fait adopter par référendum une réforme constitutionnelle qui lui permet de rester au pouvoir jusqu’en 2036. Dans ces conditions, est-ce que la Russie se prépare d’une manière ou d’une autre à l’après-Poutine ?

C’est probablement un sujet discuté au sein de l’élite russe, même si le débat n’est pas présent dans l’opinion publique. Du côté des chercheurs spécialistes de la Russie, on formule deux hypothèses. D’abord, il est possible que Poutine reste au pouvoir jusqu’à la fin de ses jours, en trouvant une manière d’étendre ses mandats après 2036. On peut imaginer qu’il y parviendrait sans grande difficulté.

La deuxième possibilité, c’est qu’il se trouve un successeur, en 2036 ou avant, tout en conservant le pouvoir en sous-main. Cette seconde hypothèse paraît peut-être aujourd’hui moins probable, parce qu’elle présente un risque que le président désigné échappe au contrôle de Poutine. En 2012, lors des six derniers mois de la présidence Medvedev, certains témoignages rapportent qu’il ne communiquait plus avec Poutine, parce qu’il songeait à se présenter de nouveau à l’élection présidentielle. En tout cas, une chose est sûre, tant que Vladimir Poutine est vivant, il cherchera à se maintenir au pouvoir d’une manière ou d’une autre.

Si on se projette dans les prochaines années de présidence de Vladimir Poutine, alors qu’un cessez-le-feu en Ukraine est en cours de négociation, jusqu’où le Kremlin peut-il aller dans ses menaces en direction de l’Europe et des occidentaux ?

Poutine ira jusqu’au point où on le laisse aller, pour mener son projet de restauration de l’Union soviétique. S’il voit que les occidentaux sont faibles et divisés, qu’il n’est plus question d’une participation des Etats-Unis à l’effort de défense européen, alors qu’est-ce qui peut l’empêcher d’aller plus loin ? Pourquoi ne pas essayer de s’attaquer à l’Estonie ou à la Lettonie ? Depuis le début des années 2000, la Russie investit déjà beaucoup dans le soutien des populations russophones de ces pays, qui représentent parfois jusqu’à 30 % de la population de certaines régions. L’objectif, c’est d’éviter leur intégration dans la population locale, pour créer des divisions sur lesquelles il sera possible de s’appuyer pour déclencher une offensive.

Même si ça peut paraître irrationnel, tout est possible. Poutine s’est radicalisé, il est très différent du dirigeant de 2014, qui n’avait pas vraiment osé déclencher une guerre en Ukraine. Il faut s’attendre au pire. Tant qu’il est au pouvoir, il va poursuivre sa guerre hybride contre l’Europe, car les démocraties européennes portent en elle une menace intrinsèque au régime poutinien, juste par leur existence. C’est la logique même de son régime qui rend Poutine anti-occidental.

 Tout est possible, Poutine s’est radicalisé, il est très différent du dirigeant de 2014. 

C’est pour toutes ces raisons que les négociations en cours pour un cessez-le-feu en Ukraine sont décisives. Si Poutine obtient une victoire, même partielle, avec l’annexion de territoires ukrainiens, alors il sortira renforcé de cette guerre. Tant que Vladimir Poutine est au pouvoir, il va poursuivre sa guerre contre l’Europe, qui menace son pouvoir en proposant une alternative à son régime.

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