Migration Britain Rwanda
FILE - British Prime Minister Rishi Sunak speaks during a press conference at Downing Street in London, Monday, April 22, 2024. Sunak pledged Monday that the country's first deportation flights to Rwanda could leave in 10-12 weeks as he promised to end the Parliamentary deadlock over a key policy promise before an election expected later this year. Both the U.N. refugee agency and the Council of Europe on Tuesday called for the U.K. to rethink its plans because of concerns that the legislation undermines human rights protections and fears that it will damage international cooperation on tackling the global migrant crisis. (Toby Melville/Pool Photo via AP)/ALP101/24114346647266/POOL PHOTO FILE/2404231150

Immigration : que contient l’accord voté au Royaume-Uni pour expulser les demandeurs d’asile vers le Rwanda ?

Après un long parcours législatif, le projet de loi « Safety of Rwanda » a été voté par les deux chambres du Parlement britannique. L’accord devrait permettre d’expulser vers le Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni, mais de nombreuses instances s’élèvent pour dénoncer une violation des droits humains.
Rose-Amélie Bécel

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Dans la nuit du 22 au 23 avril, le Parlement britannique a adopté le controversé « Safety of Rwanda Bill », un projet de loi autorisant l’expulsion vers le Rwanda de demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni. Véritable accord de sous-traitance, le texte prévoit que les demandeurs d’asile effectuent leurs démarches depuis Kigali, qui se chargera également de les examiner, et ce, peu importe leur pays d’origine. Les demandeurs acceptés pourront rester sur place, mais sans possibilité de retour au Royaume-Uni, l’objectif étant de dissuader toute arrivée illégale sur le territoire britannique.

Avec des élections législatives prévues pour la fin de l’année 2024, Rishi Sunak – donné perdant avec la droite des Tories face au parti travailliste – a fait du vote de ce texte une question de survie politique. Alors que la question migratoire s’annonce comme un sujet central du scrutin, le Premier ministre veut montrer l’efficacité de son gouvernement en matière de contrôle des frontières et espère de premiers départs de demandeurs d’asile « d’ici 10 à 12 semaines ».

Un long parcours législatif

L’accord, dévoilé il y a deux ans par l’ancien locataire de Downing Street Boris Johnson, promet au régime rwandais de Paul Kagamé d’importantes sommes – le projet devrait à terme coûter au moins un demi-milliard de livres – pour prendre en charge les demandeurs d’asile sur son territoire. Une façon de pallier la fin du règlement de Dublin, permettant aux États européens de renvoyer les migrants vers leur premier pays d’entrée dans l’Union européenne, dont Londres ne peut plus bénéficier depuis le Brexit.

Dès l’annonce de cet accord, les recours d’ONG et de demandeurs d’asile se sont multipliés, entraînant plusieurs décisions de justice contre l’accord. Un premier vol à destination de Kigali est annulé de justesse par la Cour européenne des droits de l’homme. Puis, le 15 novembre 2023, la Cour suprême britannique confirme que le texte est illégal, estimant que les migrants risquent de se voir refoulés vers leur pays d’origine, même en cas de demande d’asile justifiée.

Le nouveau texte voté ce 23 avril permet finalement de contourner cette décision de la Cour suprême, en déclarant le Rwanda comme un pays « sûr » pour les demandeurs d’asile. En cas de recours juridique de migrants contre leur expulsion, la question de la sûreté du pays d’Afrique de l’Est ne pourra ainsi plus être invoquée par les juges. La chambre des Lords, en majorité opposée au projet du gouvernement, a tenté d’adoucir le texte en y introduisant plusieurs amendements : création d’un comité indépendant pour attester de la « sûreté » du Rwanda, exemption de l’accord des Afghans ayant collaboré avec l’armée. Aucun n’a finalement été retenu.

Un texte contraire à la Convention européenne des droits de l’homme

En parallèle, Rishi Sunak affirme avoir déployé un arsenal juridique permettant d’étudier rapidement les éventuels recours : 150 juges dans 25 cours de justice, et plus de 2 000 places en détention pour les demandeurs d’asile dont les cas doivent encore être étudiés. Lors d’une conférence de presse organisée avant le vote final du Parlement, le Premier ministre a assuré que les avions décolleraient « quoi qu’il arrive ».

Mais le texte pourrait tout de même rencontrer d’autres obstacles juridiques. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni est en effet toujours membre du Conseil de l’Europe et donc tenu au respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Or, l’article 3 du texte empêche le refoulement de demandeurs d’asile vers leur pays d’origine, même en cas de passage par un pays tiers comme ce serait le cas avec le Rwanda. Dans un communiqué, le commissaire du Conseil de l’Europe Michael O’Flaherty a appelé Londres à revenir sur son projet de loi, le qualifiant notamment « d’atteinte à l’indépendance de la justice ».

Des appels similaires se font entendre à l’ONU, où les hauts commissaires en charge des droits de l’Homme et des réfugiés, Volker Türk et Filippo Grandi, ont exhorté le gouvernement de Rishi Sunak à « prendre plutôt des mesures pratiques pour lutter contre les flux irréguliers de migrants, sur la base de la coopération internationale et du respect du droit ». Le durcissement de la législation britannique en matière d’immigration ne semble pour le moment pas freiner les traversées de la Manche, en hausse de plus de 20 % entre 2023 et 2024. Un itinéraire meurtrier, qui a de nouveau fait cinq victimes ce 23 avril, dont une enfant âgée de 4 ans.

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