D’abord la Pologne, la Roumanie, l’Estonie, puis la Norvège et le Danemark. Des incursions de drones à l’origine non identifiée se multiplient depuis le début du mois de septembre sur le territoire européen. Alors que tous les regards se tournent vers la Russie, celle-ci dément fermement toutes les accusations, quand bien même des avions russes sont entrés dans l’espace aérien de certains pays membres de l’OTAN. Si on ne doit pas « s’en inquiéter », il convient tout de même de « s’en préoccuper », selon Bruno Tetrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, interrogé ce matin sur notre antenne.
Des allures de guerre froide, sur fond de jeu russe
Ces épisodes d’incursion ravivent des vieux souvenirs de guerre froide, quand des avions venaient « tester les zones aériennes » de l’OTAN ou de l’URSS, affirme Bruno Tertrais. Bien que la nature de ces irruptions soit aujourd’hui différente, avec des drones et des cyberattaques « qui se multiplient ». Pour le chercheur, il devient « de plus en plus clair » que « Moscou nous teste », « teste l’unité de l’Europe et de l’OTAN ».
Mais peut-on réellement imputer ces événements au Kremlin ? Si l’origine des avions est facilement identifiable et qu’ « on peut repérer les trajectoires » des drones, la mise en cause d’un pays pour des cyberattaques est « plus compliquée ». Néanmoins, Bruno Tertrais assure qu’ « on peut arriver, à peu près avec certitude, à attribuer une partie de ces attaques à la Russie », qui traduiraient la volonté de Vladimir Poutine d’ « affaiblir notre solidarité » et de « voir si l’unité européenne et de l’OTAN se maintient ».
Entre peur de l’escalade et pistes de représailles
Des inquiétudes se font ressentir, et avec elles, les discussions sur d’éventuelles réponses battent leur plein. Le chercheur ne « croi[t] pas qu’aujourd’hui la Russie ait les moyens et la volonté de procéder à une attaque militaire significative sur un pays de l’OTAN », mais n’exclut pas la possibilité d’une attaque limitée dans quelques années, si le front ukrainien est stabilisé et que la Russie est toujours gouvernée par Vladimir Poutine. En cas d’affront sur la Pologne ou l’Estonie, certains membres de l’Alliance atlantique pourraient avoir « peur de l’escalade » et se dire qu’il « ne faut pas prendre le risque de rentrer en guerre contre la Russie », une position qui se révèlerait contreproductive pour le chercheur, puisque « c’est justement l‘unité des pays de l’OTAN qui peut dissuader » le chef d’État russe. D’autant plus avec le retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, qui laisse penser au Kremlin qu’il a un allié à la Maison Blanche, en dépit des discours imprévisibles du président américain.
D’après Bruno Tertrais, il est question de montrer « que nous ne sommes pas des va-t’en guerre, mais qu’on ne peut pas laisser Poutine jouer ce jeu ». Un jeu d’équilibriste qui a conduit Emmanuel Macron à annoncer que les pays de l’OTAN doivent monter d’un cran leur riposte, en cas de nouvelle incursion russe, tout en restant bien flou sur les contours de ces représailles. L’Alliance atlantique s’est dite prête, en début de semaine, à utiliser tous les moyens militaires à sa disposition. Le chercheur évoque la possibilité de menacer d’abattre tout avion russe qui rentrerait dans la zone aérienne d’un pays de l’OTAN, en rappelant qu’ « il y a dix ans, la Russie a vu un de ses avions abattus dans l’espace aérien turc », après plusieurs incursions. Un incident qui « a causé une grosse crise diplomatique entre Ankara et Moscou », mais « qui ne s’est plus jamais reproduit », souligne-t-il.
L’ambassadeur de la Russie en France a mis en garde contre toute tentative de viser un avion russe, laissant planer la menace d’une rentrée en guerre. Mais pas de quoi s’alarmer pour Bruno Tertrais, qui dénonce un diplomate « là pour faire sa propagande », « à ne pas prendre trop au sérieux ».
L’Union européenne « plutôt unie »
Le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique dépeint le portrait d’une Union européenne « plutôt unie ». Avec la Hongrie et la Slovaquie qui, alors qu’elles peuvent se montrer « indulgentes » à l’égard du Kremlin, « ont compris » qu’elles ne devaient pas « aller trop loin dans leur prise de distance du consensus » européen, parce que ces deux territoires dépendent de « la solidarité économique » des États membres de l’UE.
En termes de capacités de l’OTAN, Bruno Tertrais nie toute « faille », mais relève quelques faiblesses, au niveau des défenses anti-drones par exemple. Interrogé sur la piste d’un « mur anti-drones », le chercheur avance une idée « réaliste », selon « combien d’argent on y met, et combien de temps ». « De plus en plus de moyens de défense » seront déployés, en particulier « au Nord-Est » de l’OTAN, complète-t-il, « mais après si des milliers des drones arrivent en même temps », il faudra « passer à la contre-attaque ».