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Ingérence dans la campagne présidentielle américaine : « La Russie a décidé de jouer dans les démocraties occidentales le rôle de déstabilisateur », analyse Thomas Huchon

Le département de la justice américaine a annoncé ce mercredi 4 septembre des poursuites juridiques et des sanctions financières, ainsi que la saisie de nombreux domaines informatiques utilisés dans des campagnes d’ingérence russes. Eclairage avec Thomas Huchon, journaliste spécialiste de la désinformation et créateur du média AntifakenewsAI.
Rédaction Public Sénat

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En février 2018, un rapport publié par le département de la justice américaine et par l’ancien directeur du FBI Robert S. Muller accusait le gouvernement russe de s’être immiscé dans la campagne électorale présidentielle américaine de 2016. Aujourd’hui, le scénario se répète. Un acte d’accusation fédéral incrimine Kostiantyn Kalashnikov et Elena Afnasyeva, employés de RT, un site russe, d’avoir dépensé 10 millions de dollars dans le but d’influencer l’opinion publique américaine, notamment en blâmant l’Ukraine pour la guerre avec la Russie. Thomas Huchon, journaliste spécialiste de la désinformation nous alerte sur la menace de cette ingérence.

Une déclaration du FBI sorti ce mercredi 4 septembre annonce que l’objectif de cette campagne de propagande est de promouvoir la candidature de Donald Trump. Est-ce l’agenda de la Russie ?

Alors pour ça, pour connaître l’agenda de la Russie il faut observer les déclarations des dirigeants russes. Par exemple, Dmitri Medvedev a déclaré que c’était le rôle de la Russie de soutenir partout dans le monde les partis et les politiciens favorables aux intérêts russes.

C’est une déclaration suffisamment claire pour nous montrer que la Russie a décidé de jouer dans les démocraties occidentales le rôle de déstabilisateur et que ce rôle n’est pas neutre. Ils vont déstabiliser les gens qui leur sont opposés, ou soutenir ceux qui leur sont favorables.

Du Brexit à l’élection de Trump, la patte invisible mais pourtant présente de la Russie existe un peu près partout.
Leur agenda est de défendre les intérêts de la Russie et on a tous bien compris que Trump est plus favorable à la Russie que son adversaire démocrate.

Toutes ces campagnes de déstabilisation se passent dans le numérique et il est difficile de remonter au donneur d’ordre mais on sait que la Russie a décidé de jouer ce jeu-là, et ils ont à disposition leur savoir d’agents secrets de déstabilisateur et en même temps ils trouvent un écho dans les pays dans lesquels ils cherchent à agir.

Il semble que la Russie ait changé de technique d’ingérence. De quelle manière ont-ils procédé pour s’ingérer dans la campagne cette fois-ci ?

Si on prend le cas des élections de 2016, la ferme de trolls fabriquait des narratifs, diffusés via Facebook en espérant que ces mensonges soient repris dans les débats américains. On a vu un changement, ils ne vont plus créer des narratifs, ils vont observer la société, les points de clivages et jouer le jeu de l’astroturfing pour donner de l’ampleur au sujet clivant.

Par exemple, en France, pour le mouvement des agriculteurs en colère, le nouveau hashtag avait été choisi et poussé par les Russes. Le hashtag a été inondé de publications mais en réalité beaucoup d’entre elles n’émanaient pas d’agriculteurs, mais de comptes russes.

Donc ces derniers temps, leur méthode de travail a un peu évolué. Au lieu de fabriquer des mensonges, ils observent les sujets clivants et appuient là où ça fait mal. Et là, au-delà des forces numériques, on se retrouve avec de vraies personnes qui vont s’intéresser aux sujets et faire grandir le buzz.

Est-ce que, d’après vous, les sanctions qu’ont prises les Etats-Unis seront efficaces pour lutter contre les ingérences ?

C’est un peu le jeu du chat et de la souris. Ces sanctions ne régleront pas le problème, mais rendront pendant les quelques heures et jours qui suivent la tâche de déstabilisation plus compliquée à mener. Si vous n’arrivez pas à atteindre la totalité de votre adversaire il faut trouver d’autres moyens de le toucher, et de limiter ses capacités d’actions. Donc fatalement, ça change quelque chose mais ce serait être trop optimiste par rapport à la réalité de la menace.

Ce jeudi 5 septembre, au cours d’un forum économique à Vladivostok, le président Vladimir Poutine a affirmé soutenir la candidate démocrate Kamala Harris. Quelle est la stratégie de Poutine derrière cette déclaration ?

Je ne suis pas certain qu’il faille attribuer du crédit à ce que dit Poutine. Je ne crois pas à cette histoire. Ils sont particulièrement habiles dans leur capacité à troubler l’ordre. Et en fait, ce n’est pas un bon argument pour les électeurs de Kamala Harris de se dire que cette dernière soutient Poutine.
Il faut que les démocraties occidentales comprennent qu’il y a de la part de la Russie une opération massive de déstabilisation. Il faut qu’on ait un comportement agressif vis-à-vis de ce qui nous est proposé.

Est-ce que les influences russes peuvent réellement changer le cours des élections selon vous ? Comment peut-on réellement mesurer l’impact de l’ingérence et émettre une conclusion ?

Trump a gagné les élections de 2016 grâce à Cambridge analytica. C’est toujours la même chose et le problème c’est qu’on ne pourra jamais connaître le donneur d’ordre et l’impact de tout ça. Il ne faut pas se poser la question de comment mesurer l’influence, mais plutôt se demander si on peut réellement nier l’impact de l’influence ? Des études montrent que l’exposition à un gros mensonge fait que d’autres mensonges nous semblent plus crédibles. Et c’est une des stratégies utilisées par le Kremlin. L’idée, ce n’est pas toujours de nous faire croire à quelque chose mais plutôt de nous dégoûter de croire à quelque chose. Et alors le côté invisible des conséquences de cette influence est une forme de rejet total des informations.

A votre avis, sachant que les sanctions prises par les Etats Unis hier ne résoudront pas le problème en profondeur, comment lutter contre la désinformation ?

A mon avis, il faut changer non pas la bataille mais le champ de bataille. Les réseaux sociaux ne contrôlent pas les contenus qu’ils diffusent. Il faut considérer les réseaux sociaux comme des médias. Le vrai problème c’est davantage X et Facebook que les armées russes de trolls russes. S’il n’y avait pas ces réseaux, il n’y aurait pas ces ingérences. Il faut donc que ces réseaux soient à la hauteur des immenses pouvoirs dont ils disposent. De grands pouvoirs appellent à de grandes responsabilités.
Ce qu’on remarque, notamment en France, c’est que ce ne sont pas les politiques qui font changer les choses là-dessus, mais la justice, et c’est peut-être ça la clé de ces problèmes.
En réalité les politiques ne nous défendent pas beaucoup des GAFA.
Par exemple, je constate que la justice fait plus pour nous protéger de Telegram que monsieur Macron.

 

Propos recueillis par Juliette Durand

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Le choix de l’Italien, ministre des Affaires européennes au sein du gouvernement de Giorgia Meloni, est en effet vivement contesté par les eurodéputés de gauche, opposés à la nomination d’une personnalité d’extrême droite à la Commission. « La France sort affaiblie de cette séquence » Enfin, côté français, le bilan de ces nominations semble contrasté. Après la démission fracassante du commissaire européen Thierry Breton, victime de ses relations exécrables avec Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron a finalement proposé la candidature de Stéphane Séjourné. Le ministre démissionnaire des Affaires étrangères obtient une place de choix dans ce nouveau collège : un poste de vice-président, chose que Thierry Breton n’avait pas obtenue, ainsi qu’un portefeuille dédié à la « prospérité » et à la « stratégie industrielle ». « Grâce à sa position de vice-président, Stéphane Séjourné aura une position importante et transversale au sein de la Commission, que n’avait pas Thierry Breton. 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