Ingérences étrangères : la Russie « joue la politique du pire », selon Frédéric Encel

Le professeur de géopolitique met en garde contre la multiplication des tentatives de déstabilisation que subit la France, souvent à l’initiative de la Russie. Pour lui, se joue aussi la « crédibilité » de la France dans sa capacité à répondre à ces menaces
Rédaction Public Sénat

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Face à la révolte des indépendantistes kanaks et aux violences qui déchirent l’archipel depuis une semaine, Emmanuel Macron a décidé de se rendre en Nouvelle-Calédonie, où il est arrivé mercredi soir pour tenter de ramener le calme. Les tensions, nées d’un projet de réforme constitutionnelle visant à élargir le corps électoral calédonien, seraient aussi entretenues, d’après le gouvernement et de nombreux élus, par l’ingérence de puissances étrangères. Le géopolitologue Frédéric Encel désigne deux pays qui ont particulièrement intérêt à la déstabilisation de la Nouvelle-Calédonie : la Russie et la Chine. « La Russie parce que Monsieur Poutine a décidé de renverser la table des relations internationales. Il n’use plus de rapports de force classiques depuis les réactions européennes et américaines fortes à son invasion de l’Ukraine », analyse Frédéric Encel. « Du Sahel à la Nouvelle Calédonie en passant par le cyberespace, il tente de récréer une guerre froide, peut-être de manière beaucoup plus virulente avec l’Occident », complète le professeur à Sciences Po Paris.

Des motivations différentes

Dans ce contexte, la France est donc une cible idéale, « depuis qu’elle est devenue l’un des fers de lance du soutien à l’Ukraine ». La Chine quant à elle n’a pas les mêmes motivations. L’idée de Pékin n’est pas de « déstabiliser l’Europe », assure Frédéric Encel. Les Chinois ont en effet besoin d’une Europe prospère et stable pour maintenir leurs exportations et leur balance commerciale excédentaire vis-à-vis du Vieux continent. Ce sont des « raisons géostratégiques » qui président aux ingérences présumées de Pékin en Nouvelle-Calédonie : « La Chine cherche à pousser ses pions dans l’ensemble du Pacifique sud, avec la volonté de conquérir de manière diplomatique et commerciale ces archipels très importants », explique Frédéric Encel. D’autant plus que la Nouvelle Calédonie présente deux avantages de taille : son poids démographique et la présence de nickel – matière première primordiale dans la fabrication de voitures électriques notamment – dans son sous-sol.

« Intérêt stratégique »

Si les ingérences étrangères – « très lourdes, très incisives » – ne sont pas la cause de la crise calédonienne « qui dure depuis des décennies », elles « contribuent à accroître » les difficultés de la France sur ce territoire, indique Frédéric Encel. Pour le professeur de relations internationales, ce type de tentative d’ingérences étrangères – contre lesquelles le Sénat a adopté mercredi une proposition de loi – devrait continuer à l’avenir. « La France ne peut pas être directement attaquée sur le plan militaire. Donc un certain nombre d’adversaires tentent de nous affaiblir d’une autre manière », affirme Frédéric Encel. Dans ce contexte, la proposition de loi votée hier au Sénat est la bienvenue : « la France a un intérêt stratégique absolument évident à réagir, ne serait-ce que pour démontrer sa crédibilité ». Car le phénomène n’est pas circonscrit à la question calédonienne. Les tentatives de déstabilisation de la société se multiplient ces derniers mois autour d’un autre sujet : le conflit entre Israël et le Hamas. Fin octobre, des centaines d’étoiles de David étaient apparues sur les murs de Paris et sa proche banlieue, suscitant immédiatement la consternation de l’ensemble de la classe politique, dans un contexte de montée en flèche du nombre d’actes antisémites.

La Russie veut « le chaos »

Quelques jours plus tard, c’est un couple de Moldaves qui est finalement arrêté. D’après Le Monde, ces actions auraient été commanditées par l’homme d’affaires moldave Anatolii Prizenko et largement relayées par le réseau de propagande prorusse Doppelgänger. Mi-mai, bis repetita. De vives polémiques éclatent et des accusations d’antisémitismes émergent à l’encontre d’étudiants présents devant le campus de Sciences Po Paris les mains grimées de rouge lors d’un rassemblement propalestinien. Ces derniers les arborent selon eux pour dénoncer les massacres commis sur la population palestinienne à Gaza, mais d’autres y voient une référence au lynchage de Ramallah survenu en 2000 sur trois soldats de Tsahal, et donc un appel au meurtre des Juifs. Peu après la polémique retombée, des mains rouges sont découvertes sur le Mur des Justes du mémorial de la Shoah. L’émoi est immense. Selon « le Canard enchaîné », là encore, les enquêteurs soupçonnent Moscou d’avoir commandité ces actes de vandalisme. « Aujourd’hui, sur une thématique extrêmement brûlante, la Russie joue la politique du pire », explique Frédéric Encel, pour qui cela « montre bien » que Moscou « a décidé de créer les conditions du chaos ».

Après l’annonce de la reconnaissance de l’Etat palestinien par la Norvège, l’Espagne et l’Irlande, le professeur de relations internationales note par ailleurs que la position d’Israël « recule d’un point de vue diplomatique », avant de nuancer : «Après 8 mois d’une guerre extrêmement dure, les quatre Etats arabes signataires des accords d’Abraham n’ont pas remis en cause ces accords. L’Arabie saoudite continue à discuter avec les Etats-Unis de la reconnaissance d’Israël ».

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