Il y a une semaine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait surpris de nombreux observateurs en annonçant des propositions de sanctions de l’UE contre Israël, lors de son discours au Parlement européen à Strasbourg sur l’Union européenne. « La famine causée par l’homme ne peut jamais servir d’arme de guerre », avait-elle lancé devant les eurodéputés, en évoquant une situation « inacceptable » dans la bande de Gaza et en appelant à la libération des otages du Hamas, à un accès illimité pour l’aide humanitaire, ainsi qu’à un cessez-le-feu immédiat.
Ce mercredi, la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas a officialisé et détaillé ces propositions de sanctions inédites. « Je veux être très claire, le but n’est pas de punir Israël. Le but est d’améliorer la situation humanitaire à Gaza », a-t-elle plaidé devant la presse.
Israël a déjà exhorté Bruxelles à ne pas aller de l’avant avec les propositions. « La pression par des sanctions ne fonctionnera pas, » a écrit le ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Saar dans une lettre à la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Suspension de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Israël
La principale sanction proposée par la Commission est la suspension de l’accord commercial entre l’Union européenne et Israël. Concrètement, en cas d’accord des Etats-membres de l’Union européenne, 37 % des importations israéliennes au sein de l’UE seront à nouveau taxées, selon les règles en vigueur au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Cette sanction douanière représente un surplus tarifaire de 227 millions d’euros par an pour les exportateurs israéliens. Les produits les plus pénalisés seraient les importations agro-alimentaires, a expliqué un haut responsable de l’UE. Les fruits et les produits à base de fruits seraient par exemple soumis à des droits de douane compris entre 8 et 40 %. L’Union européenne est le premier partenaire d’Israël qui exporte au total chaque année 15 milliards d’euros de biens sur le marché européen.
La Commission européenne a également décidé mercredi d’interrompre son aide bilatérale à Israël, soit une vingtaine de millions d’euros, sans toutefois remettre en cause son soutien aux Palestiniens ou à la société civile israélienne.
Pour l’eurodéputé Modem Christophe Grudler, membre du groupe centriste Renew au Parlement européen, « ces sanctions sont la suite logique de la résolution qui a été votée par une majorité d’eurodéputés la semaine dernière à Strasbourg. L’article 2 de notre accord d’association avec Israël prévoit le respect des droits de l’homme. Il est clair que le droit international est violé à Gaza donc il est normal qu’on remette en cause le contrat. On ne peut pas s’asseoir sur les droits de l’homme. »
« Ces sanctions équilibrées sont un succès de méthode, car elles résultent, malgré le sujet sensible, d’un consensus entre la gauche, le centre et la droite du PPE, au sein du Parlement européen », explique François Kalfon, eurodéputé français socialiste, membre du groupe des Sociaux-démocrates, dans l’hémicycle strasbourgeois. « Et puis elles participent de la mise au ban du gouvernement de Benjamin Netanyahou, face à l’aggravation des bombardements à Gaza. »
Du côté du Rassemblement national, pas question de soutenir ces sanctions contre Israël. « Ce qu’il se passe à Gaza est la responsabilité du Hamas qui se sert des populations civiles pour se protéger en faisant des boucliers humains, en installant ses quartiers généraux dans des hôpitaux », assure Jean-Paul Garraud, eurodéputé RN. « Ce n’est pas une bonne idée de remettre en cause notre accord commercial avec Israël alors que beaucoup d’entreprises françaises exportent vers I’Etat hébreu, notamment dans le secteur automobile. »
Sanctions contre les colons violents et deux ministres israéliens
La Commission a également réitéré sa proposition de sanctions contre deux ministres israéliens d’extrême-droite, Itamar Ben-Gvir, chargé de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, chargé des Finances. Ce dernier avait par exemple déclaré en août 2024 que « laisser mourir de faim » les habitants de la bande de Gaza pourrait être « justifié et moral. » Bruxelles souhaite aussi sanctionner les colons israéliens extrémistes et violents. Au printemps dernier, les Nations Unies relevaient que les colons israéliens blessaient dans leurs attaques une quarantaine de Palestiniens par mois, soit le niveau le plus élevé depuis vingt ans. « L’UE durcit également les sanctions contre des responsables du Hamas », rappelle Christophe Grudler. « Nous avons une position équilibrée ». Pour Jean-Paul Garraud, également opposé à ces sanctions contre les colons, « tout extrémisme est condamnable, mais ce sujet regarde Israël et le peuple israélien. Il faut respecter les souverainetés. »
Vers un blocage des sanctions par les Etats-membres de l’UE ?
Alors que ces sanctions devraient recueillir une majorité au Parlement européen, la réciproque est moins certaine du côté des 27 Etats-membres. Les sanctions contre les colons et les ministres israéliens doivent être votées à l’unanimité du Conseil européen. Seule la Hongrie a émis ces derniers mois un veto contre ces mesures et rien ne dit que Viktor Orban pourrait le lever.
La suspension de l’accord commercial avec Israël nécessite lui l’aval d’une majorité qualifiée d’Etats-membres (au moins 15 Etats représentants plus de 65 % de la population européenne). Elle devrait se heurter au refus de pays proches d’Israël qui se sont opposés ces dernières semaines à des sanctions contre l’Etat hébreu comme l’Allemagne, l’Italie et la République tchèque. « Ces pays n’arriveront pas à constituer une minorité de blocage pour bloquer ces sanctions », assure, confiant, Christophe Grudler.
Rome et Berlin refusent également de bouger sur une proposition de Bruxelles d’exclure les entreprises israéliennes du lucratif programme européen de recherche « Horizon ».
Un paquet de sanctions très politique pour Ursula von der Leyen
Au-delà de l’urgence à Gaza, l’annonce de ces sanctions inédites proposées par la Commission européenne a un intérêt politique pour Ursula von der Leyen. Elles permettent de calmer les critiques de certains commissaires européens, qui dénonçaient en interne l’immobilisme de la Commission sur Gaza. C’est le cas de la vice-présidente de la Commission européenne, la socialiste espagnole Teresa Ribera, qui, début septembre, a qualifié publiquement de « génocide » ce qui se passe dans ce territoire palestinien. Ursula von der Leyen espère aussi, via ses sanctions, consolider le soutien du groupe des Sociaux-démocrates au Parlement européen, alors qu’elle va devoir faire face à deux motions de censure, début octobre, dont une déposée par le groupe La Gauche (composé notamment d’élus LFI). « Ces sanctions sont clairement une victoire politique pour le groupe des Sociaux-démocrates qui militent dans ce sens depuis longtemps », explique François Kalfon. Mais dans cette équation politique, Ursula von der Leyen pourrait perdre des voix dans sa propre famille politique, la droite du Parti populaire européen, dont certains eurodéputés restent réticents à des sanctions contre Israël. « La solidité politique d’Ursula von der Leyen repose sur le PPE, mais ce dernier se fragmente sur plusieurs sujets en ce moment, notamment sur la question israélienne », explique Christophe Grudler.