Une audition de deux heures, et plusieurs moments de tensions. Joshua Zarka, ambassadeur d’Israël en France a été entendu ce mercredi 11 juin par la commission des Affaires étrangères du Sénat, invité à répondre aux questions des élus sur la politique conduite par son gouvernement, un an et huit mois après le début de la guerre dans la bande de Gaza.
Alors que les rapports entre Tel-Aviv et Paris se tendent depuis plusieurs semaines – la France étant sur le point de reconnaître l’existence d’un Etat palestinien – le diplomate a été vivement interpellé à plusieurs reprises par les élus de gauche. « Il ne s’agit en rien d’une audition de courtoisie, il s’agit d’une convocation pour rendre compte des crimes du régime que vous représentez », lui a notamment lancé Michelle Gréaume, sénatrice communiste du Nord. De quoi obliger la sénatrice LR Catherine Dumas, qui présidait cette audition, à recadrer les choses : « Il s’agit aujourd’hui d’une invitation, l’ambassadeur a accepté de venir. Le but c’est d’éclairer, d’informer les membres de cette commission quelles que soient leurs opinions. »
Sur la reconnaissance d’un Etat palestinien
Emmanuel Macron pourrait reconnaître le 17 juin, à l’occasion d’une conférence internationale coprésidée par la France et l’Arabie saoudite aux Nations Unis, à New York, l’existence d’un Etat palestinien. Cette démarche ferait suite aux propos tenus par le chef de l’Etat en avril, qui après avoir durci le ton contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou a estimé qu’il fallait « aller vers une reconnaissance » de l’Etat palestinien.
« La reconnaissance de l’Etat palestinien par la France la semaine prochaine sera un désastre pour les Palestiniens, pour les Israéliens, pour les relations franco-israéliennes et pour la possibilité de la France d’influencer sur les différents processus diplomatiques qui pourraient avoir lieu au Moyen Orient dans le futur », a averti Joshua Zarka.
Rappelant « qu’Israël n’était pas opposé à l’idée d’un Etat palestinien », ce diplomate est revenu sur les compromis exigés par Tel-Aviv après l’attaque du 7 octobre, notamment « le fait que cet Etat doit être complètement démilitarisé et que l’entité politique palestinienne ne devra jamais avoir le contrôle de ses frontières. »
« Après le 7 octobre nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une entité palestinienne qui nous menacerait », a-t-il martelé. « Si la France et d’autres pays occidentaux reconnaissent dès maintenant l’Etat palestinien, alors les Palestiniens n’auront plus aucune raison d’accepter ces compromis ».
Sur les accusations de génocide
Le ton est monté d’un cran lors de la deuxième partie de l’audition, à l’évocation des accusations de « génocide » dans la bande de Gaza. C’est une question de Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste, qui a mis le feu aux poudres. « Quelles perspectives envisagez-vous qui n’implique pas le génocide du peuple palestinien ? », a lancé l’élu isérois.
« Vraiment, utiliser ce terme, c’est inacceptable et ne pas regarder les faits tels qu’ils sont », s’est agacé Joshua Zarka. « Je ne discute pas sur le nombre de morts, cette guerre est terrible, mais notre but n’était pas de causer 50 000 morts », a-t-il assuré. « Vous savez quel est le taux de natalité chez les Palestiniens ? C’est trois enfants par personne. Il y a plus de Palestiniens aujourd’hui qu’il y en avait le 7 octobre. Dire qu’il y a un génocide quand la population augmente, c’est grave », a tenté d’argumenter l’ambassadeur.
Il a également évoqué la situation des Palestiniens de Cisjordanie, accueillis dans des hôpitaux de Jérusalem. « Dire qu’il y a un génocide quand Israël aide le service de santé palestinien, aide les Palestiniens. Yahya Al-Sinwar [ancien chef de la branche armée du Hamas, ndlr] lui-même a été sauvé dans un hôpital israélien. Si notre but était de génocider les Palestiniens, nous l’aurions laissé mourir car il avait un cancer cérébral. »
« Ce qu’il se passe à Gaza est terrible, la souffrance des Palestiniens est terrible, ça n’est pas une guerre que nous avons choisie », a encore plaidé Joshua Zarka. « Si nous avions eu la possibilité de nous débarrasser du Hamas sans faire de victimes palestiniennes, nous l’aurions fait avec grand plaisir. Le problème, c’est que cette organisation utilise de la façon la plus cynique la population palestinienne. » Il estime à 25 000 le nombre de terroristes abattus par les forces israéliennes, à raison « d’une victime civile collatérale par terroriste tué ».
Sur l’acheminement de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza
Interpellé sur le blocage de l’aide humanitaire à Gaza, l’ambassadeur a expliqué qu’il s’agissait pour les forces israéliennes de faire en sorte que ces denrées arrivent directement jusqu’aux populations et ne finissent entre les mains du Hamas.
« En 2024, le Hamas s’est enrichi en pillant et en revendant l’aide humanitaire. Nos renseignements ont montré de façon très claire que le Hamas a réussi à s’enrichir de 500 millions de dollars pendant la guerre, simplement en vendant l’assistance humanitaire à la population », a-t-il expliqué. « C’est la raison pour laquelle nous avons arrêté le passage de l’aide humanitaire en mars, pour trouver une solution de distribution à la population sans passer par le Hamas. »
« Aujourd’hui, l’aide humanitaire est distribuée par deux canaux, le premier c’est l’organisation GHF, qui est une organisation américaine. Elle a distribué 13 millions de repas jusqu’à présent à la population gazaouie. Le deuxième moyen se fait par l’Onu », a-t-il précisé.
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Sur les otages
À ce jour, 55 Israéliens enlevés le 7 octobre 2023 sont encore détenus dans la bande de Gaza par le Hamas, a confirmé Joshua Zarka. « Malheureusement nous n’avons pas de nouvelles, on sait qu’ils sont torturés », a-t-il glissé.
« On a vu les autres otages sortir de la façon la plus terrible qui soit. Certains parlent de ce qui leur est arrivé, c’est très difficile. La plupart préfèrent ne pas en parler, surtout les femmes. » Leur libération reste le principal objectif des opérations militaires, a assuré ce diplomate.
Sur la situation régionale
Au cours de cette audition, Joshua Zarka a désigné le régime de Téhéran comme le principal cerveau des attaques du 7 octobre et une menace directe pour la survie d’Israël. « Quand le régime iranien dit de façon très claire qu’il veut exterminer Israël et qu’il développe les capacités de le faire, avec l’arme nucléaire, nous le prenons très au sérieux, surtout après le 7 octobre. »
« Notre but est d’empêcher l’Iran d’avoir l’arme nucléaire, quoi qu’il arrive », a rappelé l’ambassadeur. Il a également ciblé « l’architecture de proxys » installée autour d’Israël par l’Iran, « avec le Hezbollah, le régime d’Assad, les milices chiites en Irak, les Houthis au Yémen et le Hamas à Gaza. »
Sur les suites du conflit
« Pour ce qui est du lendemain de la guerre, nous l’avons dit de façon très claire : ce sera aux Gazaouis de décider de leur gouvernance, mais nous avons posé certaines conditions », a indiqué Joshua Zarka. « Premièrement, ce ne sera pas le Hamas. Secundo, ce ne sera pas Israël qui reprendra le contrôle de Gaza. Enfin, ce ne sera pas l’Autorité palestinienne si elle n’est pas réformée », a-t-il énuméré. « L’Autorité palestinienne, au cours des 30 dernières années, avait l’occasion de créer une atmosphère de paix, elle a fait l’inverse, elle a créé une atmosphère de guerre, une atmosphère de mort », a épinglé le diplomate.
« Déplacer la population de Gaza n’est pas un plan israélien », a-t-il encore insisté. « Le Premier ministre l’a dit, seuls ceux qui le veulent partiront. Notre but n’est pas de vider ou d’annexer la bande de Gaza. »