DC: Senate Foreign Relations Hearing on Ambassador Nominations
Charles Kushner, nominee to be US Ambassador to France and Monaco, testifies during a hearing on their nomination in a Senate Foreign Relations Committee hearing in Washington DC on Thursday, May 1, 2025. (Photo by Aaron Schwartz/Sipa USA)/61119802/as/2505012031

L’ambassadeur américain fustige le gouvernement français : “c’est terrifiant d’utiliser l’antisémitisme à des fins politiques”, réagit Bertrand Badie

L'ambassadeur des États-Unis en France, Charles Kushner, critique “l’absence d’action suffisante” du gouvernement contre l’antisémitisme. Des accusations qui suivent à quelques jours d’écarts celles du Premier ministre israélien. Le Quai d’Orsay dénonce des propos “intolérables” et convoque Charles Kushner. Analyse du spécialiste de relations internationales Bertrand Badie.
Clémentine Louise

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Ce n’est pas vraiment une carte postale qui est arrivée hier sur le bureau d’Emmanuel Macron.. datée du 25 août mais récupérée la veille par l’AFP, la missive explosive vient de l’ambassadeur des États-Unis, Charles Kushner. 

La date n’est pas choisie au hasard, le 25 août “marque le 81e anniversaire de la libération de Paris par les Alliés, mettant fin à la déportation des juifs en France, date qui me paraît pertinente pour vous exprimer ma profonde inquiétude face à la flambée de l’antisémitisme en France et à l’absence d’action suffisante de votre gouvernement pour le combattre”, écrit le nouveau résident de l’Ambassade américaine, un mois et demi après sa prise de fonction. 

La lettre s’ajoute à la longue liste des altercations franco-américaines et franco-israéliennes, depuis l’annonce, le 24 juillet, de la future reconnaissance par la France de l’Etat palestinien. Une consécration qui devrait avoir lieu lors de la 80e Assemblée générale des Nations Unies, qui débute le 9 septembre prochain. 

Et plus la date approche, plus les coups de pression s’accélèrent. Dans un courrier officiel, le Premier ministre israelien, écrivait la semaine dernière : “Votre appel à un État palestinien alimente ce feu antisémite. Cela récompense la terreur du Hamas, renforce le refus du Hamas de libérer les otages, encourage ceux qui menacent les juifs français et favorise la haine des juifs qui rôde désormais dans vos rues”. 

Une judéité française “en péril” selon l’ambassadeur américain

Sans surprise, Charles Kushner reprend l’argumentaire de Benjamin Netanyahou : “Des déclarations qui vilipendent Israël et des gestes en reconnaissance d’un État palestinien encouragent les extrémistes, fomentent la violence et mettent en péril la judéité en France. Aujourd’hui, ce n’est plus possible de tergiverser : l’antisionisme, c’est l’antisémitisme, point.” 

L’ambassadeur ajoute : “il ne se passe pas un jour en France sans que des Juifs soient agressés dans les rues, des synagogues et des écoles dégradées, et des entreprises appartenant à des Juifs vandalisées. Le ministère de l’Intérieur de votre propre gouvernement constate que des écoles maternelles ont été ciblées par des dégradations antisémites”.

Si le ton très offensif du courrier surprend, le message qu’il porte appuie la position de la Maison Blanche qui fait “front commun” avec le gouvernement israélien, selon Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales. “Et puis Charles Kushner est très proche de Donald Trump. Il a souvent été impliqué dans l’intimité diplomatique.” Proximité politique, mais aussi familiale, car l’ambassadeur américain en France n’est autre que le père de Jared Kushner, le mari d’Ivanka Trump, la fille du président américain.

Pousser la France à faire machine arrière

“Les États-Unis pensent qu’en faisant peur, ils pourraient faire reculer la France sur son annonce de reconnaissance de l’État palestinien, explique Bertrand Badie, ils l’ont déjà fait, souvenez-vous de Georges W. Bush qui avait fait un “french bashing” quand Jacques Chirac avait critiqué leurs actions en Irak. Il avait réussi, Jacques Chirac avait reculé.”

Mais dans le contexte actuel, le politiste n’imagine pas comment le président français pourrait revenir sur ses engagements. “Je pense qu’en annonçant la reconnaissance de l’État palestinien plusieurs mois avant de consacrer cette décision à l’ONU, Emmanuel Macron espérait créer un effet dissuasif. Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. La guerre à Gaza s’intensifie, la colonisation aussi, donc je vois mal comment il pourrait faire machine arrière.”

Le Quai d’Orsay convoque Charles Kushner

Devant la lettre de Charles Kushner, la réaction du Quai d’Orsay ne s’est pas fait attendre. Son porte-parole a jugé ces accusations “inacceptables” et les “réfute fermement”. 

“Elles vont à l’encontre du droit international, en particulier du devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des Etats […]. Elles ne sont par ailleurs pas à la hauteur de la qualité du lien transatlantique entre la France et les Etats-Unis et de la confiance qui doit en résulter entre alliés.” L’ambassadeur était convoqué ce jour, lundi 25 août, au ministère des Affaires étrangères. 

 

“Je crois que si la réaction a été aussi vive à l’Élysée et au Quai d’Orsay c’est parce que le coût est élevé en France de voir s’installer une crise entre la communauté juive et L’Etat français”, analyse Bertrand Badie. 

Si la France a immédiatement répondu avec l’argument du droit, elle s’est aussi défendue d’une “mobilisation totale […]” face à la montée des actes antisémites sur son territoire et “déplore” cette hausse.

Une “diplomatie de la mauvaise foi” difficile à contrer

Pour Bertrand Badie, les attaques récurrentes de la Maison Blanche se lisent au travers d’une “diplomatie de la mauvaise foi”. “Ces accusations sont très difficiles à traiter. Autant, il est possible de répondre sur le droit mais face à des injures, c’est très dur. Donald Trump méprise le langage diplomatique et c’est ainsi qu’il séduit son électorat. Mais c’est très dangereux d’utiliser l’antisémitisme à des fins politiques. À mesure que le discours se banalise, il alimente l’antisémitisme, au risque de faire penser à tous ceux qui soutiennent la Palestine,  qu’être contre Israël c’est être contre les Juifs. Et plus il y aura d’actes antisémites en France, plus Trump pourra se targuer d’avoir eu raison. “Trump was right”, comme il est écrit sur une de ses casquettes.” 

 

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le nombre d’actes antisémites sur le territoire français a bondi. Le ministère de l’Intérieur publie néanmoins des chiffres en baisse pour la période janvier-juin 2025 ( -27,5% ), mais qui restent tout de même très élevés par rapport à la situation antérieure à l’attaque du 7 octobre.

Partager cet article

Dans la même thématique

Security Council ministerial meeting on the situation in Ukraine, UN Headquarters, New York, United States – 23 Sep 2025
5min

International

Corruption en Ukraine : « Le départ de Yermak provoque une déstabilisation majeure du pouvoir ukrainien »

L’un des personnages les plus influents de l’entourage de Volodymyr Zelensky, Andriy Yermak, a remis vendredi sa démission. Celui qui dirigeait la présidence est aujourd’hui éclaboussé par une enquête de grande ampleur sur des soupçons de corruption touchant plusieurs membres du premier cercle du pouvoir. Stratège politique, directeur de cabinet et véritable coordinateur du fonctionnement de l’État, Yermak était considéré comme l’homme indispensable de Zelensky. Pour Public Sénat, Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po, spécialiste des questions européennes et internationales, auteur du livre « L’Europe a-t-elle un avenir? » (Studyrama), analyse les potentielles conséquences politiques de cette affaire.

Le

France Ukraine
6min

International

Guerre en Ukraine : un plan de paix ne pourra se faire sans l’Ukraine et les Européens « autour de la table », estime Emmanuel Macron

A l’occasion d’une rencontre entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky, les deux dirigeants ont rappelé leur volonté de mettre fin à la guerre. Les deux dirigeants ont remercié les Etats-Unis pour leurs efforts de médiation avec la Russie tout en rappelant qu’un accord de paix ne pourrait être conclu sans les Européens.

Le

Lithuanian Armed Forces Day
6min

International

Obligatoire, volontaire ou par tirage au sort : tour d’horizon des services militaires en Europe

Face à la menace russe, Emmanuel Macron envisage l’instauration d’un service militaire volontaire, 28 ans après la fin de la conscription obligatoire en France. En Europe, certains pays disposent de dispositifs sur la base du volontariat ou l’envisagent, tandis que d’autres n’ont jamais abandonné le service militaire obligatoire. Etat des lieux des pratiques de nos voisins européens.

Le

SWITZERLAND-GENEVA-U.S. AND UKRAINE-GENEVA TALKS-RUBIO
6min

International

Plan de paix pour l’Ukraine : « Poutine négocie, car il est en position de faiblesse »

En réponse au plan de paix américain pour l’Ukraine jugé conforme aux exigences russes, les Européens ont établi une contre-proposition que Reuters a dévoilé. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué des avancées importantes, mais encore insuffisantes pour une « paix réelle ». Selon Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), ce « moment charnière » n’est que le début d’un « long processus ». La contre-proposition européenne ne convient pas à la Russie a fait savoir le Kremlin.

Le