Ce n’est pas vraiment une carte postale qui est arrivée hier sur le bureau d’Emmanuel Macron.. datée du 25 août mais récupérée la veille par l’AFP, la missive explosive vient de l’ambassadeur des États-Unis, Charles Kushner.
La date n’est pas choisie au hasard, le 25 août “marque le 81e anniversaire de la libération de Paris par les Alliés, mettant fin à la déportation des juifs en France, date qui me paraît pertinente pour vous exprimer ma profonde inquiétude face à la flambée de l’antisémitisme en France et à l’absence d’action suffisante de votre gouvernement pour le combattre”, écrit le nouveau résident de l’Ambassade américaine, un mois et demi après sa prise de fonction.
La lettre s’ajoute à la longue liste des altercations franco-américaines et franco-israéliennes, depuis l’annonce, le 24 juillet, de la future reconnaissance par la France de l’Etat palestinien. Une consécration qui devrait avoir lieu lors de la 80e Assemblée générale des Nations Unies, qui débute le 9 septembre prochain.
Et plus la date approche, plus les coups de pression s’accélèrent. Dans un courrier officiel, le Premier ministre israelien, écrivait la semaine dernière : “Votre appel à un État palestinien alimente ce feu antisémite. Cela récompense la terreur du Hamas, renforce le refus du Hamas de libérer les otages, encourage ceux qui menacent les juifs français et favorise la haine des juifs qui rôde désormais dans vos rues”.
Une judéité française “en péril” selon l’ambassadeur américain
Sans surprise, Charles Kushner reprend l’argumentaire de Benjamin Netanyahou : “Des déclarations qui vilipendent Israël et des gestes en reconnaissance d’un État palestinien encouragent les extrémistes, fomentent la violence et mettent en péril la judéité en France. Aujourd’hui, ce n’est plus possible de tergiverser : l’antisionisme, c’est l’antisémitisme, point.”
L’ambassadeur ajoute : “il ne se passe pas un jour en France sans que des Juifs soient agressés dans les rues, des synagogues et des écoles dégradées, et des entreprises appartenant à des Juifs vandalisées. Le ministère de l’Intérieur de votre propre gouvernement constate que des écoles maternelles ont été ciblées par des dégradations antisémites”.
Si le ton très offensif du courrier surprend, le message qu’il porte appuie la position de la Maison Blanche qui fait “front commun” avec le gouvernement israélien, selon Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales. “Et puis Charles Kushner est très proche de Donald Trump. Il a souvent été impliqué dans l’intimité diplomatique.” Proximité politique, mais aussi familiale, car l’ambassadeur américain en France n’est autre que le père de Jared Kushner, le mari d’Ivanka Trump, la fille du président américain.
Pousser la France à faire machine arrière
“Les États-Unis pensent qu’en faisant peur, ils pourraient faire reculer la France sur son annonce de reconnaissance de l’État palestinien, explique Bertrand Badie, ils l’ont déjà fait, souvenez-vous de Georges W. Bush qui avait fait un “french bashing” quand Jacques Chirac avait critiqué leurs actions en Irak. Il avait réussi, Jacques Chirac avait reculé.”
Mais dans le contexte actuel, le politiste n’imagine pas comment le président français pourrait revenir sur ses engagements. “Je pense qu’en annonçant la reconnaissance de l’État palestinien plusieurs mois avant de consacrer cette décision à l’ONU, Emmanuel Macron espérait créer un effet dissuasif. Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. La guerre à Gaza s’intensifie, la colonisation aussi, donc je vois mal comment il pourrait faire machine arrière.”
Le Quai d’Orsay convoque Charles Kushner
Devant la lettre de Charles Kushner, la réaction du Quai d’Orsay ne s’est pas fait attendre. Son porte-parole a jugé ces accusations “inacceptables” et les “réfute fermement”.
“Elles vont à l’encontre du droit international, en particulier du devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des Etats […]. Elles ne sont par ailleurs pas à la hauteur de la qualité du lien transatlantique entre la France et les Etats-Unis et de la confiance qui doit en résulter entre alliés.” L’ambassadeur était convoqué ce jour, lundi 25 août, au ministère des Affaires étrangères.
“Je crois que si la réaction a été aussi vive à l’Élysée et au Quai d’Orsay c’est parce que le coût est élevé en France de voir s’installer une crise entre la communauté juive et L’Etat français”, analyse Bertrand Badie.
Si la France a immédiatement répondu avec l’argument du droit, elle s’est aussi défendue d’une “mobilisation totale […]” face à la montée des actes antisémites sur son territoire et “déplore” cette hausse.
Une “diplomatie de la mauvaise foi” difficile à contrer
Pour Bertrand Badie, les attaques récurrentes de la Maison Blanche se lisent au travers d’une “diplomatie de la mauvaise foi”. “Ces accusations sont très difficiles à traiter. Autant, il est possible de répondre sur le droit mais face à des injures, c’est très dur. Donald Trump méprise le langage diplomatique et c’est ainsi qu’il séduit son électorat. Mais c’est très dangereux d’utiliser l’antisémitisme à des fins politiques. À mesure que le discours se banalise, il alimente l’antisémitisme, au risque de faire penser à tous ceux qui soutiennent la Palestine, qu’être contre Israël c’est être contre les Juifs. Et plus il y aura d’actes antisémites en France, plus Trump pourra se targuer d’avoir eu raison. “Trump was right”, comme il est écrit sur une de ses casquettes.”
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le nombre d’actes antisémites sur le territoire français a bondi. Le ministère de l’Intérieur publie néanmoins des chiffres en baisse pour la période janvier-juin 2025 ( -27,5% ), mais qui restent tout de même très élevés par rapport à la situation antérieure à l’attaque du 7 octobre.