« Défiler, ce n’est pas la finalité d’une armée d’emploi », affirme en préambule de sa conférence de presse, le chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard. C’est un discours qui doit servir de prélude au discours du président de la République devant les armées, le 13 juillet à 19 heures au cours duquel le plus haut gradé de l’armée a dressé un panorama des menaces stratégiques qui pèsent sur la France.
Un événement rare puisque le chef d’état-major des armées ne s’était pas exprimé publiquement depuis septembre 2021. Un indice sur la teneur du discours à venir d’Emmanuel Macron qui doit comporter « des annonces majeures » selon l’Elysée. Un accroissement des dépenses militaires au-delà de la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire ou encore une forme de retour du service militaire pourraient être annoncés.
Après avoir rappelé qu’aujourd’hui le CICR recense 120 conflits dans le monde contre une trentaine dans les années 1990, Thierry Burkhard évoque un monde dans lequel « les crises se multiplient et se superposent ». Le général souligne également un « effet cliquet » de ces crises excluant un « retour en arrière ».
Moment de bascule
Pour appuyer la nécessité d’un « changement de référentiel stratégique », le chef d’état-major des armées avance quatre marqueurs qui permettent de comprendre et voir ce à quoi nous sommes confrontés. Ces marqueurs sont un recours à la force désinhibé, une contestation croissante de l’ordre établi après 1945, la puissance de l’information et l’impact du changement climatique, catalyseur du chaos. Pour illustrer le premier point, Thierry Burkhard souligne, « une forme d’accoutumance à la violence qui augmente ». Un phénomène particulièrement visible au Proche et Moyen-Orient depuis le 7 octobre et les récents échanges de missiles entre Israël et l’Iran.
En creux, le chef d’état-major des armées présente une redéfinition des équilibres stratégiques irriguée par la multipolarité et évoque des menaces caractéristiques d’une « période de compétition ». Dans ce contexte, plusieurs compétiteurs comme la Chine ou l’Iran sont identifiés. Néanmoins, la Russie fait figure de principal compétiteur et est présentée comme « une menace durable ».
La Russie, « grand compétiteur » de la France
Durant son intervention, le général Burkhard a notamment rappelé que la Russie avait « ouvertement désigné la France comme son premier adversaire en Europe ». A ce titre, le pays dirigé par Vladimir Poutine a déployé un grand nombre d’actions de nuisance visant à saper la cohésion nationale, « un centre de gravité de tous les pays ». « La cohésion nationale fait notre force, mais elle peut être source de faiblesse. Le risque inhibe notre capacité de réaction et nos facultés à se défendre, le mode d’action privilégié est la désinformation. Ces menaces sont difficiles à contrer, difficiles à attribuer formellement », pointe le chef d’état-major des armées. Ce dernier évoque alors les manœuvres de désinformation comme les rumeurs sur la prolifération des punaises de lit avant l’organisation des jeux olympiques, les tags anti-Israël sur le mémorial de la Shoah ou plus généralement la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux.
La menace ne se limite cependant pas au champ informationnel, mais se manifeste également dans le champ spatial avec des manœuvres de satellites russes pour gêner et brouiller les satellites français. Les attaques cyber se sont aussi multipliées et ciblant des objectifs divers. Ainsi, des hôpitaux, des PME, des collectivités territoriales ou des réseaux de transports ont pu être touchés. Dans ces cas, le chef d’état-major des armées déplore les difficultés à « attribuer et dénoncer ces attaques ». Autant d’éléments qui permettent à Thierry Burkhard d’affirmer que « le Kremlin a fait de la France une de ses cibles prioritaires ».
Une menace sur le temps long
Malgré cet état des lieux inquiétant, la France n’est « probablement pas le pays le plus menacé directement » du fait de sa position géographique mais également de sa dissuasion nucléaire. Si la France ne risque pas de guerre sur son territoire, « pour la Russie, la guerre en Ukraine est une guerre existentielle qui poursuit l’objectif d’affaiblir l’Europe et démanteler l’Otan ». Des objectifs qui indiquent que la Russie représente une menace persistante pour les pays européens.
Une menace sur le temps long incarnée par la capacité de la population russe à « durer et endurer » les effets de la guerre ainsi qu’à soutenir le passage à une économie de guerre. « La Russie est construite sur son système de force et dispose de tous les attributs d’un État totalitaire, avec une capacité de décision très centralisée, un conditionnement de la population depuis les plus bas âges », résume Thierry Burkhard. Autant d’éléments qui renforcent l’idée que la Russie constitue une menace sur le temps long. Dans ce contexte, le soutien à l’Ukraine apparaît crucial. « Compte tenu de la position américaine, la défaite de l’Ukraine serait de plus en plus une défaite européenne », prévient le chef d’état-major des armées.