Un communiqué commun à vingt et un Etats, dont la France et le Royaume-Uni, juge « inacceptable » le projet de construction de 3 400 logements en Cisjordanie occupée approuvé hier par le gouvernement israélien. Ce projet représente « une violation de la loi internationale » condamnent ces Etats dans la droite ligne du porte-parole de l’ONU hier. Ce projet baptisé E1 pourrait conduire à la partition en deux de la Cisjordanie occupée. Il représente « une menace existentielle pour la solution à deux Etats. », ajoute l’ONU.
Le professeur émérite des Universités et président d’honneur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo) Jean-Paul Chagnollaud revient sur la genèse de ce projet et ses conséquences en vue de la création d’un Etat palestinien.
Depuis quand ce projet de construction de 3 400 logements baptisé E1 existe-t-il ?
C’est un projet qui doit dater de la fin des années 1990. E1 se situe entre Maalé Adoumim qui est une des colonies israéliennes les plus importantes et Jérusalem Est. S’il est mis en œuvre, il couperait pratiquement en deux la Cisjordanie. Pas entièrement parce qu’on peut toujours passer par Jéricho, mais ça casserait toute forme de continuité territoriale, laquelle est déjà très largement entamée. Ce projet vise à empêcher la création d’un Etat palestinien et c’est d’ailleurs comme cela que le présente le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich. Notons aussi qu’aujourd’hui ce n’est pas un terrain vague, il y a des Bédouins qui y habitent.
Si c’est un projet qui date d’il y a plus de 30 ans, pourquoi a-t-il été validé le 20 août 2025 ?
Cela veut dire deux choses. D’abord que nous sommes dans un contexte très particulier avec un gouvernement d’extrême droite et deuxièmement que les Américains ne s’y opposent plus. Jusque-là, à chaque fois qu’il y avait une velléité de mettre en œuvre E1, aussitôt il y avait des réactions internationales y compris, et c’est très important, des Etats-Unis qui s’y opposaient fermement. Donc les gouvernements successifs, et Benyamin Netanyahou qui est au pouvoir depuis longtemps, ont différé le projet et ne l’ont pas mis en œuvre.
Est-ce que c’est aussi envisagé comme une réponse aux volontés affichées par plusieurs Etats, dont la France, de reconnaître l’Etat palestinien en septembre ?
Oui il y a cet élément-là. Mais il ne faut pas se raconter d’histoires. La colonisation s’est considérablement intensifiée depuis 2 ans et l’arrivée de ce gouvernement. On compte environ 700 000 colons avec Jérusalem Est. Derrière tout ça, il y a un projet messianique qui consiste à dire que « la Cisjordanie est à nous et donc on va l’annexer ». C’est un projet qui est très établi dans l’esprit des dirigeants de droite et d’extrême droite. Parce qu’on fait toujours une distinction entre le Likoud (le parti de Benyamin Netanyahou, ndlr) et l’extrême droite mais en réalité sur la colonisation et le refus d’un Etat palestinien, ils sont d’accord. Déjà en 1978, le Likoud était un acteur majeur de la colonisation.
Donc la décision de reconnaître l’Etat de Palestine par la France et d’autres n’est pas à l’origine de cette décision, c’est un vieux projet. Je pense que la vraie fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre E1, c’est le retour de Donald Trump au pouvoir qui a commencé son deuxième mandat en envoyant un fervent partisan de la colonisation Mike Huckabee au poste d’ambassadeur américain en Israël. Jusque-là les Etats-Unis avaient toujours considéré que les colonies étaient un obstacle à la paix et qu’elles étaient contraires au droit international. Quand Donald Trump est arrivé en 2017, il avait déjà dit à l’époque qu’il ne considérait pas que c’était contraire au droit international.
Plusieurs condamnations de ce projet ont tout de même été formulées publiquement par 21 Etats dans un communiqué commun et par l’ONU. Est-ce qu’il y a encore une possibilité pour que la construction du projet E1 en Cisjordanie occupée soit suspendue ?
Dans la configuration actuelle, je vois mal pourquoi ça s’arrêterait. C’est un tout, il y a une espèce de machine qui s’est mise en œuvre : la machine de guerre à Gaza et une machine qui conduit au blocage complet en Cisjordanie en empêchant toute circulation. Nous sommes dans cette phase terrible où tout semble possible pour la coalition au pouvoir en Israël. Concernant les réactions internationales, il y en a eu, il y en aura d’autres, mais le gouvernement israélien sait qu’il n’y aura pas d’actes concrets posés comme des sanctions par exemple. Les déclarations n’ont jamais rien empêché sur ce plan-là.
La possibilité d’une solution à deux Etats avec la création d’un Etat palestinien est donc définitivement enterrée avec ce projet E1 ?
D’un point de vue purement géographique, le positionnement d’E1 couperait incontestablement la Cisjordanie. Mais je continue à penser que ce n’est pas la matérialité d’une situation géographique qui doit empêcher la création d’un Etat. Ça rend effectivement les choses beaucoup plus complexes, mais ce qui manque le plus c’est de la volonté politique. C’est important de noter que désormais des pays occidentaux qui étaient en bloc contre la reconnaissance d’un Etat de Palestine, vont franchir le pas de la reconnaissance : le Canada, l’Australie, peut-être le Japon, la Grande-Bretagne, la France. C’est une première étape mais la seconde, c’est de créer un rapport de force au niveau diplomatique pour contraindre Israël à accepter des négociations qui aboutiraient à la solution à deux Etats. C’est beaucoup plus compliqué et avec la position américaine, ça paraît extraordinairement difficile. Mais comme cherche à le faire la France, il faut mettre en place un processus diplomatique avec la reconnaissance d’un Etat palestinien tout en intégrant Israël à l’ensemble du monde arabe. Ça va se discuter à New York en septembre notamment avec l’Arabie saoudite mais il faudra aussi y mettre des moyens politiques, c’est-à-dire des sanctions. Mais c’est une voie extraordinairement difficile.