Le Sénat appelle à suspendre TikTok si le réseau ne se met pas en conformité avec certaines demandes

Rendu public ce jeudi 6 juillet, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur TikTok alerte sur les « risques évidents » que représente ce réseau social d’origine chinoise pour la sécurité nationale. Les élus dénoncent les risques de manipulation et d’espionnage, l’ampleur de la désinformation mais aussi l’impact que peut avoir l’application sur la santé psychologique des plus jeunes.
Romain David

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La commission d’enquête parlementaire ouverte par le Sénat sur le réseau social TikTok, son fonctionnement, sa gestion des données et ses liens avec les autorités chinoises, a présenté ses conclusions ce jeudi 6 juin. Des conclusions en forme d’ultimatum : en tête de la vingtaine de recommandations qu’ils formulent, les élus demandent au gouvernement « de suspendre TikTok en France et de demander sa suspension au sein de l’UE à la Commission européenne pour des raisons de sécurité nationale » si TikTok refuse de se plier, d’ici le 1er janvier 2024, « aux principales questions et mesures demandées » par cette même commission d’enquête. Ces mesures comprennent un accroissement de la modération francophone, des garanties sur le retrait des « fake news », la mise en place d’un contrôle effectif de l’âge ou encore davantage de transparence sur le capital et les statuts de ByteDance, la maison-mère de TikTok.

Dans un rapport de 181 pages, le Sénat alerte sur les « risques évidents » que représentent les liens de TikTok avec le gouvernement chinois – en dépit des dénégations régulières de l’entreprise -, sa gestion obscure des données des utilisateurs et son modèle économique, qui interroge sur la finalité même de la plateforme. Les sénateurs invitent également l’exécutif à étendre de l’interdiction faites aux fonctionnaires d’Etat d’utiliser l’application à l’ensemble des « opérateurs d’importance vitale » (OVI), c’est-à-dire les personnels qui utilisent des installations considérées comme indispensables à la survie du pays.

Dépendance financière et technique à la Chine

Lancée en France en septembre 2016, TikTok France cumule plus de 22 millions d’inscrits, principalement des adolescents, sur un total d’un milliard d’utilisateurs mondiaux. Si le réseau est né en Chine – où il est baptisé Douyin – l’entreprise rejette régulièrement les accusations de collusion avec Pékin, arguant notamment du fait que sa maison mère, ByteDance, est officiellement domiciliée aux îles Caïmans. « Nous avons tous été frappés par cet oxymore que j’appellerai une transparence opaque. […] Il y a une opposition entre les protestations de transparence de TikTok et une réalité qui est celle d’une opacité voulue », a expliqué le sénateur Les Indépendants Claude Malhuret, rapporteur de cette commission d’enquête lors d’une conférence de presse.

Les élus expliquent avoir constaté la double dépendance, « capitalistique et technique » de TikTok à la Chine. « ByteDance Ltd, installée aux îles Caïmans pour des raisons d’opacité, est en partie détenue par un fonds chinois. Surtout le fondateur Zhang Yiming détient 20 % du capital », indique le rapport. « Plusieurs lois ont été édictées en Chine pour renforcer le contrôle de l’Etat sur les sociétés et les obliger à coopérer avec les services de renseignement chinois. Aujourd’hui, ces dispositions font l’objet d’une extraterritorialité, c’est-à-dire qu’elles s’appliquent aux dirigeants de société vivant hors de Chine, » rappelle, Claude Malhuret. Sur le plan technique, « TikTok France ne peut fonctionner sans les services de Douyin en Chine », souligne encore l’élu, où sont localisées les opérations techniques et les ingénieurs.

« Ce n’est pas une entreprise économique, mais une entreprise politique »

La commission d’enquête pointe également l’opacité qui entoure l’algorithme de recommandation de TikTok, « extrêmement addictif », selon Claude Malhuret, et l’inconnu sur le sort réservé aux données personnelles recueillies par l’application. La plupart des demandes d’éclaircissement formulées par les régulateurs français, la Cnil et l’Arcom, restent sans réponse. « Avec 1 milliard d’utilisateurs dont 22 millions en France, les autorités chinoises ne peuvent pas ne pas s’y intéresser. Ce serait une faute professionnelle de la part de leurs services », raille le sénateur Malhuret.

« On a l’impression d‘une entreprise qui fonctionne à perte, alors que les réseaux sociaux ont une rentabilité extrêmement rapide. Qu’est-ce que cela signifie ? N’est-ce pas l’instrument d’une puissance étrangère ? », interroge le sénateur Renaissance André Gattolin, membre de la commission d’enquête. « Les recettes publicitaires sont ridicules par rapport à celles de réseaux sociaux américains qui ont moins d’audience », explique-t-il. « Cela laisse penser, en tout cas je l’assume, que ce n’est pas une entreprise économique, mais une entreprise politique avec vocation de capter des données personnelles pour un usage beaucoup plus général dans l’écosystème informatique global. »

Le risque de désinformation

Le rapport rappelle notamment que des « mesures avérées de censure et de désinformation au bénéfice de la Chine » ont déjà été mises en évidence, notamment par la presse. Selon les chiffres présentés, sur 102 millions de vidéos retirées par TikTok au 1er semestre 2022, moins de 1 % l’a été pour un motif de désinformation. Les élus citent également une étude conduite par Global Witness : 90 % des contenus de désinformation volontairement postés par cette ONG sur TikTok ont été approuvés par les services de modération, contre seulement 20 % sur Facebook.

Evoquant le rôle joué par les réseaux sociaux dans l’organisation des récentes émeutes urbaines qui ont frappé la France après la mort du jeune Nahel, le rapport évoque « les risques que représente une application ainsi largement diffusée, dont les contenus, comme il a été démontré, pourraient être biaisés au profit d’autorités chinoises soucieuses d’alimenter des troubles susceptibles d’affaiblir l’image de la démocratie. » Dans la liste des recommandations figure d’ailleurs l’injonction de « retirer ou bloquer » l’accès à des contenus d’appel à la violence ou aux dégradations. Cette proposition ne vise pas seulement TikTok, mais l’ensemble des plateformes.

Un enjeu de santé publique

Un important volet du rapport est également consacré à l’impact sanitaire des réseaux sociaux et plus spécifiquement aux effets psychologiques de TikTok sur les plus jeunes. Alors qu’elle est interdite aux moins de 13 ans, l’application est utilisée par 63 % des jeunes Français de 12 ans. Les mineurs y passent en moyenne 1h47 par jour. « Les effets sur la qualité de sommeil des enfants et des adolescents sont aussi démontrés : risques de dépression, anxiété et baisse de la concentration en classe », liste le rapport. L’exposition aux contenus violents ou hypersexualisés et la multiplication des défis dangereux est également pointée du doigt. Sur ce point, les élus proposent de « traiter TikTok en éditeur à travers son fil ‘Pour Toi’ et tenir la société responsable de son contenu ».

« Le modèle économique de ces plateformes, c’est l’addition mais c’est un modèle économique incontrôlable, toxique, pervers », a dénoncé la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly. Pour sa part, le sénateur socialiste Mickaël Vallet, qui présidait cette commission d’enquête, a salué « un travail de déniaisement, à la fois des responsables publics et du grand public ».

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