Election américaine 2024 : les 7 choses à savoir avant le scrutin
Avant l’élection présidentielle américaine du 5 novembre, Public Sénat fait le point sur les 7 points essentiels à avoir en tête pour comprendre le scrutin.
Par Ella Couet
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On connait l’ampleur des mouvements féministes au Mexique. Les militantes ont-elles selon vous joué un rôle important dans cette dépénalisation ?
Il est clair que les différentes mobilisations ont joué un rôle très important. C’est une association de défense des droits reproductifs, la GIRE (Groupe d’information pour la reproduction choisie), qui est allée demander à la Cour Suprême de réviser la constitutionnalité du Code Pénal fédéral. Quelqu’un devait aller les voir directement pour exiger de modifier la loi. Les militantes ont fait usage d’un instrument juridique, spécifique à l’Espagne et aux pays d’Amérique latine que l’on ne connait pas bien en France, qui s’appelle l’amparo. Il offre la possibilité à toute personne, privée ou publique, de demander une révision de constitutionnalité d’une loi ou de n’importe quel acte juridique public. Les textes qui ont été révisés dans le cas de l’avortement dataient de 1931 et ils n’avaient jamais été révisés.
Ce sont des textes qui pénalisaient l’avortement dans toutes les situations, sans même créer d’exceptions pour des cas particuliers comme les viols, et avec des formulations très générales. Il y avait déjà 12 Etats, dont Mexico, qui l’avaient légalisé parce que le Mexique est un Etat fédéré, donc chaque Etat peut écrire ses propres lois. Mais cette fois, c’est dans le Code Pénal donc le jugement va obliger tous les Etats à aligner leur législation.
La loi va-t-elle entrer en application immédiatement ?
Cela peut prendre du temps. Certaines personnes peuvent faire pression, pour des raisons conservatrices, sur différentes étapes du processus. Il faut comprendre qu’au Mexique, il y a une importante sociologie de l’anti-avortement, 80% de la population est catholique. Il y a beaucoup de militantes en faveur de l’avortement, mais aussi beaucoup de militants « pro-vie ». Ce sont des groupes très diffus et qui ont le soutien de l’Eglise catholique. On peut avoir l’impression qu’ils sont peu visibles en public, mais ils sont très actifs. En fait, il y a une grande majorité de personnes pas intégristes, mais très catholiques, et qui considèrent que la vie est sacrée. Ils considèrent qu’elle est donnée par Dieu et que de ce fait les humains ne peuvent pas décider de la vie ou de la mort. A cause de ça, les élus, même de gauche, sont très prudents, parce qu’ils savent que leur électorat est foncièrement contre l’avortement.
Ce qui peut aussi expliquer la lenteur de l’application de la loi, c’est que d’autres priorités peuvent s’imposer aux agendas, ou une certaine incompétence de la part des responsables politiques. C’est une question très délicate, qu’ils ont une très grande réticence à aborder. Ils ont tendance à caresser les conservateurs dans le sens du poil sur les questions de mœurs. Le Président de la république lui-même a toujours été réticent à prendre position. Même si dans son parti, il y a des féministes, notamment la candidate à la présidentielle Claudia Sheinbaum, qui est une universitaire, assez libérale. Tous les élus ont ce même réflexe de protection.
Même dans les Etats qui avaient déjà une législation autorisant l’avortement, elle n’est souvent pas appliquée. Des études ont montré qu’il y a encore des juges qui sont réticents à la faire appliquer, et qu’il y a toujours des condamnations et des poursuites judiciaires dans des cas d’avortement à certains endroits. Heureusement, ces personnes ont des recours. Mais il y a donc un problème d’exécution : la loi n’est pas ambigüe, mais certains font encore comme si elle n’existait pas.
La Colombie est le dernier pays du continent en date à avoir autorisé l’avortement. Est-ce qu’on peut parler d’un mouvement global de dépénalisation à l’échelle de l’Amérique latine ?
Ça va globalement dans ce sens. Mais des conjonctures de crises sociales et politiques pourraient amener certaines personnes à prendre des positions dures dans le sens contraire. Déjà, l’Amérique latine est un continent très hétérogène, donc on doit faire attention à ne pas faire de généralisations abusives. Du côté du Chili, de l’Argentine et du Brésil, on a des débats très houleux avec une importante polarisation entre « pros » et « antis ». Selon les élus ou les changements de régimes, il y a des risques de retour à un certain autoritarisme. Dans ces pays, la démocratie est en danger. Il y a une tendance positive sur le fond, mais on ne peut pas écarter le scénario d’un retour en arrière, comme c’est le cas aux Etats-Unis.
On observe déjà une reprise en main des questions sécuritaires par certains candidats qui peuvent se rapprocher d’un Trump ou d’un Bolsonaro. En Argentine, on a par exemple le candidat à la présidentielle Javier Mileil, qui est en bonne position dans les sondages. C’est un candidat qui se dit « anarcho-capitaliste », il est pour une liberté absolue dans les échanges, il est pour la vente d’organes libre. Mais sur les questions qui touchent au corps des femmes, il a des positions fermées. Pour ces personnes, ce sont des questions de valeurs, des choses établies auxquelles il ne faut pas toucher. C’est le paradoxe latinoaméricain : on a des politiques qui sont à la fois ultra-conservateurs en termes de mœurs, et ultra-libéraux au niveau économique.
Comment peut-on expliquer les évolutions contraires de la législation entre le Mexique et les Etats-Unis ?
Aux Etats-Unis, il y a aussi des différences dans le rapport à l’avortement selon les classes sociales ou les groupes socio-professionnels. Mais il y a une tendance plus claire, dans la classe politique, vers la pénalisation ou au moins un accès plus difficile à l’avortement. Ce sont des positions tranchées et claires. En Amérique latine, il y a plus de prudence de la part des élus et des partis. Mais malgré tout, je ne vois pas une différence radicale.
D’un côté, en Amérique latine, on a un contexte d’avancée rapide du féminisme dans une société qui a été pétrie pendant longtemps par le machisme et le catholicisme. C’est un changement très spectaculaire. Aux Etats-Unis, le féminisme est ancré dans la société depuis plus longtemps. Les questions d’égalité hommes-femmes et de « dépatriarcalisation » sont plus anciennes, on a des lois plus anciennes. Donc le retour de bâton est d’autant plus impressionnant. Il a lieu car les groupes religieux radicaux sont minoritaires, mais extrêmement actifs. A l’inverse, en Amérique latine, ils sont très nombreux mais plus diffus, moins actifs que les groupes féministes par exemple, donc l’agenda politique est aussi moins radical, car il n’y a pas, derrière, ces groupes virulents. La société civile est beaucoup plus organisée aux Etats-Unis dans le sens de la pénalisation. Ils mettent la pression sur les élus, ils les poussent. En Amérique latine, les mouvements féministes marquent des points ces derniers temps, mais les conservateurs n’ont pas encore vraiment réagi. C’est possible qu’il y ait une levée de bouclier en réaction maintenant.
Mais malgré tout, ça reste des mécanismes similaires et on a tendance à exagérer la différence entre l’Amérique latine et les Etats-Unis. On a tendance à segmenter ainsi, mais c’est un vieux réflexe à abandonner. Il y a une communauté de « latinos » transversale au Canada et aux Etats-Unis. Et inversement, il y a une influence culturelle, politique, et de valeurs qui est exercée par les Etats-Unis, même dans les pays du sud du continent. Il ne faut pas fonctionner en contraste absolu.
Sur la question de l’avortement, il y a des différences très marquées entre les pays en Amérique latine. Il y a une ligne de fond qui est à la dépénalisation et à la consolidation des droits des femmes, mais c’est un chemin long sur lequel il peut y avoir des revirements. Et les revirements qui ont lieu aux Etats-Unis peuvent avoir une influence sur le continent, donc on ne peut pas tirer trop de conclusions sur l’avenir. Mais le tissu associatif est très solide et devrait permettre de limiter les retours en arrière.
L’aboutissement d’un long processus de luttes
Jusqu’à maintenant, l’interruption volontaire de grossesse était seulement légale dans 12 des 32 Etats que compte le Mexique. En 2007, le premier Etat à l’autoriser était l’Etat de la ville de Mexico. C’était aussi la première juridiction d’Amérique latine à le faire. Plusieurs autres Etats avaient ensuite suivi sa voie. Il y a deux ans, le 7 septembre 2021, la Cour Suprême avait ouvert la porte à une légalisation, en reconnaissant que la pénalisation de l’avortement était inconstitutionnelle et en annulant plusieurs articles du Code Pénal de l’Etat de Coahuila, dans le nord du pays, qui prévoyait des peines de prison pour les personnes ayant avorté. La sentence ne s’appliquait qu’à Coahuila mais a établi une jurisprudence dans le pays. Le 21 juin dernier, une nouvelle décision de la Cour Suprême autorisait les femmes à contester les lois pénalisant l’avortement en déposant des recours, ce qui revenait à l’autoriser de facto. La dernière décision en date de la Cour entérine de manière explicite la fin de cette interdiction. Ce nouvel acquis social forme un contraste frappant avec le processus de re-pénalisation de l’IVG en cours chez ses voisins états-uniens, depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade de la Cour Suprême.
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