Police aux Frontieres, Menton.

Après Lampedusa, une arrivée de migrants dans les Alpes-Maritimes ? « L’histoire se répète et l’on ne tire pas de conclusions »

La situation migratoire à Lampedusa laisse supposer, d’ici les prochains jours, une arrivée importante de migrants à la frontière franco-italienne, dans les Alpes-Maritimes où les autorités gèrent déjà de nombreuses entrées clandestines. Divisés sur la politique migratoire à adopter, sénateurs de gauche et de droite – qui auront la primeur de l’examen du nouveau projet de loi immigration cet automne - rappellent la nécessité d’une stratégie européenne.
Romain David

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L’arrivée de quelque 12 000 personnes sur la petite île italienne de Lampedusa la semaine dernière a créé une onde de choc en Europe qui pourrait rapidement atteindre la France. Les autorités se préparent désormais à un important afflux de migrants à la frontière franco-italienne, et ont annoncé l’ouverture d’un lieu provisoire de transit, destiné à faciliter le travail de la police aux frontières (PAF) et ce que l’on appelle les « récupérations », c’est-à-dire la remise aux autorités italiennes des migrants interpellés sur le sol français. Lundi, une certaine confusion régnait autour de cette mesure, présentées par certains médias comme la création d’un camp de migrants dans les Alpes-Maritimes.

« Il n’y a aucune réquisition en cours pour la création d’un camp de migrants à Menton, rien n’est envisagé de ce type. Je le dis assez fermement », a tenu à recadrer Bernard Gonzalez, le préfet des Alpes-Maritimes, lors d’un point presse. « Il est vrai que les locaux de la police aux frontières sont parfois un peu exigus pour abriter l’ensemble des personnes interpellées, nous avons le souci de pouvoir les placer dans un environnement matériel plus adapté compte tenu de leur nombre, puisque l’on peut se retrouver, parfois, avec une centaine de personnes. Nous avons contacté une association de protection civile pour qu’elle soit à même de venir en appui à la PAF dans des locaux qui restent à définir », a-t-il expliqué.

Renvois en Italie

En mai dernier, la Première ministre Elisabeth Borne avait annoncé le renforcement des forces de sécurité présentes sur place, avec le déploiement d’une « border force » de 150 policiers et gendarmes supplémentaires. Manière pour l’exécutif de faire montre de sa volonté de passer à l’action, alors que son projet de loi immigration, dont le parcours législatif a été percuté de plein fouet par la réforme des retraites en mars dernier, cumule aussi bien les critiques à gauche qu’à droite. La présentation d’un nouveau texte est attendu dans les prochaines semaines, avant un examen parlementaire qui doit débuter le 6 novembre au Sénat.

Au total, 200 membres des forces de l’ordre sillonnent chaque jour le terrain dans les Alpes-Maritimes, auxquels s’ajoutent 120 militaires de l’opération Sentinelle, selon les chiffres de la préfecture.

Les migrants en situation illégale interpellés à l’intérieur d’une bande de 20 kilomètres le long de la frontière sont automatiquement remis aux forces italiennes. On parle de « récupération », selon le règlement de Dublin qui veut que ce soit au pays d’arrivée de gérer les demandes d’asile, à moins qu’un autre Etat européen ne se porte volontaire pour participer à la prise en charge, ce qui a pu être le cas de l’Allemagne ces dernières années. « Sur le terrain, les forces de l’ordre se livrent à une sorte de jeu du chat et de la souris sur des itinéraires de passages identifiés par les passeurs et les gardes-frontières », rapporte le sénateur EELV des Bouches-du-Rhône Guy Benarroche, spécialiste des questions d’immigration. « Il faut avoir en tête que certains étrangers ont besoin d’une aide médicale d’urgence, que dans certains cas il n’est pas possible d’identifier le pays d’origine ou encore que la présence de mineurs empêche les reconduites et donne lieu, généralement, à une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance ».

Si un migrant est interpellé au-delà de la limite des 20 kilomètres, sans titre de séjour, il a la possibilité, dans un délai imparti, de déposer une demande en France à condition de ne pas l’avoir déjà fait dans un autre pays. Si cette demande est refusée, il est alors convoqué devant un juge qui peut prononcer une obligation de quitter le territoire (OQTF). Soit le juge considère que les garanties sont suffisantes pour le laisser en liberté jusqu’à l’exécution de l’OQTF, soit il ordonne un placement dans un centre de rétention administrative pour une durée maximale de 90 jours. Au-delà, l’étranger est remis en liberté si l’expulsion vers le pays d’origine n’a pas pu être organisée. En 2022, seules 6,9% des OQTF avaient pu être exécutées, selon le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. « Notre système est une machine à fabriquer des situations irrégulières », soupire le sénateur Guy Benarroche.

« Il s’agit bien d’un problème qui doit être réglé au niveau européen »

Ce mardi, sur BFMTV, Charles Ange Ginésy, le président LR du Conseil départemental des Alpes-Maritimes, a lancé un cri d’alerte : son département n’est plus en mesure de gérer un flux toujours plus important d’arrivées. « Ce que je demande, c’est que nous ne soyons plus en responsabilité directe, parce qu’il s’agit d’un flux migratoire européen. Il s’agit de quelque chose de très fort où les Etats membres doivent régler ce problème et ne pas laisser un département confronté à lui seul à cette vague », a-t-il déclaré, faisant étant de 5 000 mineurs arrivés dans son département en 2022. Mais du côté des instances européennes, le pacte migratoire proposé en 2020 peine à faire consensus. En cause notamment, les mécanismes de solidarité auquels s’opposent la Hongrie et la Pologne.

« Le pacte tel qu’il a été voté par le Conseil européen, c’est-à-dire les Etats membres est une bonne chose pour avoir des centres de rétention et des dépôts de demandes d’asile qui se fassent aux frontières de l’Europe. […] Le problème, c’est que si ce pacte a été adopté par le Conseil en juin, c’est-à-dire les Etats, il y a une opposition du Parlement européen », a pointé Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, ce mardi dans la matinale de France Inter. « Lampedusa, c’est cette île où se joue l’avenir de l’Europe. Le chaos migratoire irrite de plus en plus les peuples et si l’on n’y apporte pas une réponse ferme et déterminée, il y aura des insurrections électorales comme on en a déjà vues en Europe ou même à Mayotte », a encore averti l’ancien filloniste.

« On a l’impression que l’histoire se répète et que l’on ne tire pas les conclusions des expériences vécues. Je pense notamment à ce qu’il s’est passé en 2015 », s’agace auprès de Public Sénat François-Noël Buffet, le président de la commission des lois du Sénat, auteur de plusieurs rapports sur la question migratoire. « Il s’agit bien d’un problème qui doit être réglé au niveau européen. Quelle stratégie l’UE veut-elle appliquer ? Cela ne peut pas être tout ou rien. Nous avons besoin d’un juste équilibre à travers une protection ferme de nos frontières, via Frontex, et une position claire sur l’immigration économique », martèle l’élu du Rhône.

Le législateur impuissant ?

Guy Benarroche insiste sur la nécessité de sortir du mécanisme de Dublin, qui fait reposer la pression migratoire du continent sur une petite poignée de pays : l’Italie, la Grèce, Malte et l’Espagne. « Tant que l’on ne progressera pas, au moins sur la règle du pays de primo-arrivée, ces Etats devront continuer à gérer la situation ». L’élu, en revanche, ne croit pas à la politique d’endiguement que défend la droite. « On continue à s’interroger sur la manière de stopper ces arrivées, et personne ne veut voir que dans les années à venir il va y avoir de plus en plus de monde sur les routes migratoires. À mes yeux, il est purement utopique d’imaginer que le législateur, au vu du contexte économique, géopolitique et climatique, soit en mesure de régler ce problème ».

Pour cet écolo d’ailleurs, le projet de loi immigration, tel qu’il a été adopté en mars par la commission des lois du Sénat avant la suspension de l’examen parlementaire, ne portait aucune mesure susceptible de résoudre la situation face à laquelle les Alpes-Maritimes pourraient se retrouver confronter dans les prochains jours. « Il aurait permis tout du moins, avec les améliorations apportées par la commission, de dégager une stratégie interne », objecte François-Noël Buffet. « Et donc de ne pas céder à la désorganisation ».

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