Après des semaines de négociations avec les États membres, Ursula von der Leyen a dévoilé ce 17 septembre les noms des personnalités qui l’entoureront lors de son nouveau mandat à la tête de la Commission européenne. Les profils des 27 nouveaux commissaires ont directement été recommandés par les États membres, puis validés par Ursula von der Leyen. Les candidats aux postes devront encore être auditionnés au Parlement européen, qui validera leur nomination par un vote. Comment se compose ce nouveau collège de commissaires ? De quel portefeuille la France hérite-t-elle ? Certaines personnalités risquent-elles d’être retoquées par les eurodéputés ? Décryptage. La parité, enjeu central dans l’attribution des portefeuilles de commissaires Signe des difficultés rencontrées par Ursula von der Leyen pour former cette nouvelle équipe, l’annonce de sa composition a finalement été reportée d’une semaine. Un retard qui n’a rien d’exceptionnel, souligne Francisco Roa Bastos, maître de conférences en sciences politiques à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne : « La composition de la Commission européenne est toujours un exercice compliqué, parce qu’il faut satisfaire plusieurs logiques, de géographie, de parité, en plus des exigences des différents États membres. » Cher à Ursula von der Leyen depuis son premier mandat, c’est notamment le critère de parité qui semble avoir donné du fil à retordre à la présidente de la Commission. « Lorsque j’ai reçu les premières propositions de nomination des États membres, nous avions 22 % de femmes et 78 % d’hommes. Vous imaginez bien que c’était tout à fait inacceptable », a-t-elle déploré à l’occasion d’une conférence de presse. Finalement, le collège proposé comporte 40 % de femmes. Une répartition non-paritaire, compensée toutefois par l’attribution de quatre des six postes clés de vice-présidents de la Commission à des femmes. « Ursula von der Leyen a su faire de cet enjeu de parité un élément de négociation important dans la répartition des portefeuilles entre les différents États membres », observe Francisco Roa Bastos. Sommés de proposer le nom d’une femme pour le poste, les pays qui ont joué le jeu – notamment la Bulgarie, la Slovénie et la Roumanie – se voient en effet attribuer « des portefeuilles importants », estime-t-il. Les socialistes obtiennent un poste clé, un proche de Meloni nommé vice-président Par ordre d’importance, après Ursula von der Leyen, c’est d’ailleurs l’Espagnole Teresa Ribera qui hérite du poste le plus influent. La socialiste, ministre de la Transition écologique dans le gouvernement de Pedro Sanchez, est nommée vice-présidente de la Commission et prend en charge le portefeuille de la concurrence. Un rôle central. « Elle guidera les travaux pour que l’Union européenne reste sur les rails du Pacte vert, de la décarbonation et de la réindustrialisation », a détaillé Ursula von der Leyen. Pourquoi la présidente de la Commission européenne, membre de la droite européenne du PPE, a-t-elle attribué ce poste de premier plan à une socialiste ? « Elle a été fine stratège », estime Francisco Roa Bastos : « Avec la nomination de Teresa Ribera, il va être plus difficile pour les eurodéputés socio-démocrates de contester la composition globale du collège de commissaires, au risque de voir ce poste leur échapper ». Deuxième force politique du Parlement derrière le PPE, le groupe S&D aura en effet un rôle central à jouer dans la validation par un vote de ce nouveau collège de commissaires. Le profil de Teresa Ribera pourrait ainsi calmer les critiques venues de la gauche quant à la nomination d’un autre vice-président : Raffaele Fitto. Le choix de l’Italien, ministre des Affaires européennes au sein du gouvernement de Giorgia Meloni, est en effet vivement contesté par les eurodéputés de gauche, opposés à la nomination d’une personnalité d’extrême droite à la Commission. « La France sort affaiblie de cette séquence » Enfin, côté français, le bilan de ces nominations semble contrasté. Après la démission fracassante du commissaire européen Thierry Breton, victime de ses relations exécrables avec Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron a finalement proposé la candidature de Stéphane Séjourné. Le ministre démissionnaire des Affaires étrangères obtient une place de choix dans ce nouveau collège : un poste de vice-président, chose que Thierry Breton n’avait pas obtenue, ainsi qu’un portefeuille dédié à la « prospérité » et à la « stratégie industrielle ». « Grâce à sa position de vice-président, Stéphane Séjourné aura une position importante et transversale au sein de la Commission, que n’avait pas Thierry Breton. Mais son portefeuille n’inclut que la politique industrielle, on peut regretter qu’il n’intègre pas des éléments de politique commerciale, notamment la concurrence », analyse Elvire Fabry, chercheuse senior à l’institut Jacques Delors. Pour Francisco Roa Bastos, la nomination de Stéphane Séjourné peut même être vue comme une « rétrogradation » par rapport au poste occupé par Thierry Breton. Sans pouvoir s’occuper des politiques centrales de concurrence, attribuées à Teresa Ribera, l’influence de Stéphane Séjourné pourrait selon lui être « limitée », comparée à celle que pouvait avoir Thierry Breton. « C’est assez clair pour tous les observateurs, la France sort affaiblie de cette séquence », tranche Francisco Roa Bastos. Pour être confirmé à son poste, le nouveau commissaire français devra dans tous les cas se soumettre au vote des eurodéputés. Un soutien qui ne semble pas acquis dans le camp des eurodéputés français. « Stéphane Séjourné hérite d’un portefeuille clé, avec possiblement plusieurs commissaires expérimentés sous ses ordres. Avec quelle expertise ? Il va se faire manger et l’influence française va payer l’addition », a par exemple raillé l’eurodéputé Les Républicains Céline Imart, auprès de l’AFP.
L’invasion russe en Ukraine, « l’un des plus grands ratages stratégiques du XXIème siècle »
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Dans leur livre L’Ours et le renard [Ed. Perrin], les historiens militaires Michel Goya et Jean Lopez font « l’histoire immédiate » de la guerre en Ukraine. Dans les premiers enseignements à tirer de ce conflit encore en cours et par définition indécis, les deux historiens estiment que l’approche de l’invasion développée par les Russes en mars 2022 a été capitale dans l’enlisement du conflit.
« Un désastre pour l’armée russe »
« Les Russes ont dessiné une opération sur la foi de renseignements de terrain, d’une culture militaire particulière et d’une vision politique. Tout cela leur a fait penser que leur adversaire ne leur opposerait pas de résistance, parce que celle-ci serait concentrée dans un noyau dur à la tête de l’Etat et qu’en prenant Kiev, l’opération d’invasion se transformerait en occupation », détaille Jean Lopez, journaliste et historien, fondateur de la revue Guerres et histoire.
D’après lui, cette erreur d’interprétation initiale a été à l’origine « d’un échec total extrêmement grave » pour l’armée russe, qui « prendra sa place dans les manuels d’histoire militaire comme l’un des plus grands ratages stratégiques, du XXIème siècle au moins. » Michel Goya, historien militaire, abonde : « Les Russes ont en quelque sorte fait tapis pour obtenir un succès décisif d’emblée, mais dans la bataille décisive de Kiev, ils ont complètement échoué. Cet échec a déterminé la suite des événements et a été un désastre pour l’armée russe. »
« Ce genre de conflit, ça se compte en semaines ou ça se compte en année »
Le colonel de marine y voit un schéma classique des « guerres industrielles » contemporaines : « Dans ce type de guerre, soit un vainqueur s’impose en quelques semaines, soit on bascule dans une guerre très longue. On compare souvent ce conflit à la Première Guerre mondiale. Cela ressemble beaucoup à la guerre de Corée, ou à la guerre entre l’Irak et l’Iran, avec une invasion irakienne qui se transforme en guerre de tranchée pendant huit ans. Ce genre de conflit, ça se compte en semaines ou ça se compte en années. Malheureusement, là ça va se compter en années. »
Jean Lopez dresse lui aussi un parallèle avec la guerre de Corée (1950-1953), notamment « sur la façon dont la guerre ne s’est pas terminée » : « On a eu un gel des positions et on est revenu au statut ex-ante, après plusieurs millions de morts pour rien. Aujourd’hui, on est toujours dans cette ni-guerre, ni-paix entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Un scénario semblable d’hostilité franche et affirmée sur des positions bloquées, ce n’est pas impensable. »
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