Dix-huit minutes d’autosatisfecit. Onze mois après son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump s’est adressé aux Américains mercredi soir dans une allocution télévisée. Le président des Etats-Unis a cherché à rassurer ses compatriotes sur le bien-fondé de sa politique économique, qui soulève de plus en plus d’inquiétudes dans les sondages outre-Atlantique. Il a ainsi assuré, avec son emphase habituelle, que les Etats-Unis allaient connaître « un boom économique comme le monde n’en a jamais connu ». Il a vanté la baisse des prix sur certains produits, alors que l’inflation globale devrait se maintenir à 3 %, défendu sa politique douanière agressive, et fait valoir les « 18 000 milliards de dollars » prétendument investis en faveur des entreprises et de la sécurité depuis son retour aux manettes.
« J’ai hérité d’un désastre et je le répare », a expliqué Donald Trump, décrivant « un système corrompu et malade », renvoyant une fois de plus la responsabilité à son prédécesseur, Joe Biden. Il s’en est aussi largement pris aux immigrés, accusés d’être à l’origine de la crise du logement, d’avoir « volé » des emplois et « submergé » le système hospitalier. Le milliardaire s’est en revanche montré assez peu loquace sur sa politique internationale, se contentant d’évoquer les « huit guerres » auxquelles il aurait mis fin, sans plus de précision. Interrogé par Public Sénat, André Kaspi, historien, spécialiste des États-Unis, décrit un président prisonnier des promesses faites pendant la campagne, finalement davantage préoccupé par son image à l’international que par les difficultés que connaissent ses compatriotes, ce que son camp risque de payer dans les urnes au moment des élections de mi-mandat.
Selon vous, qu’est-ce qui explique que Donald Trump ait voulu parler maintenant pour tirer un premier bilan de sa présidence, seulement onze mois après son retour à la Maison Blanche ?
« Deux raisons expliquent cette prise de parole : vous l’avez dit, il est au pouvoir depuis près d’un an, ce qui invite à dresser un premier bilan. Surtout, en novembre prochain auront lieu les élections de mi-mandat, les ‘mid-terms’. Vue d’Europe, cette échéance peut paraître lointaine, mais elle est déjà très présente dans l’esprit des Républicains, dans la mesure où, traditionnellement, les électeurs infligent une correction au président en place. De ce que l’on sait, ce sont les conseillers de Donald Trump qui l’ont poussé à faire cette allocution, afin de se recentrer sur les sujets de politique intérieure, quand lui ne rêve que de briller à l’international. Son discours, semble-t-il, avait été écrit et défilait sur un prompteur. On a l’impression qu’il le lit à toute vitesse, ce qui laisse penser qu’il s’est plutôt plié à cet exercice de mauvaise grâce.
Est-ce à dire que Donald Trump est à nouveau en campagne ?
Donald Trump n’a jamais cessé d’être en campagne, il reste très sensible aux fluctuations de l’opinion américaine. Lui-même évoque régulièrement la présidentielle de 2028, même si la Constitution des Etats-Unis lui interdit de faire un troisième mandat.
Si l’on vous suit, c’est ce besoin de renouer avec l’électorat qui explique l’attention portée aux questions économiques dans son allocution, notamment le pouvoir d’achat de ses compatriotes. Et pourtant, son bilan est plutôt contestable sur ce point.
Donald Trump n’a jamais bénéficié d’une majorité arithmétique dans l’opinion, sa cote de soutien se situait autour de 45 %, mais les derniers sondages montrent qu’il a baissé, y compris au sein du camp républicain. Aujourd’hui, dans les enquêtes d’opinion, seuls 35 % des sondés lui donnent encore leur approbation. C’est une perspective plutôt inquiétante avant les prochaines élections, dans la mesure où les Républicains ne disposent que d’une petite majorité au Sénat et à la Chambre des représentants.
En se concentrant sur l’économie, Donald Trump montre qu’il s’intéresse aux préoccupations quotidiennes des Américains. Il a beaucoup insisté sur la baisse des prix de certains produits, comme les œufs et la dinde. Ces deux exemples ne doivent rien au hasard, puisque nous sommes à quelques jours de Noël. Il essaye de montrer que, malgré l’inflation, le pouvoir d’achat a été préservé. Mais s’il veut éviter la dégringolade dans les prochains mois, il va devoir sortir de l’incantation et obtenir des résultats beaucoup plus concrets.
Pratiquement aucun mot de sa part sur la politique internationale, alors que les Etats-Unis sont très impliqués dans les discussions avec la Russie, et dans le processus de paix au Proche-Orient. Faut-il y voir un aveu d’échec de la part de celui qui avait promis de mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures ?
Encore une fois, cela s’explique parce que les électeurs sont plus sensibles aux sujets intérieurs. Je ne suis pas certain que beaucoup d’Américains s’intéressent de près aux tractations entre l’Ukraine et la Russie. En revanche, lorsqu’il annonce un blocus total contre les pétroliers du Venezuela, dans le cadre de sa politique de lutte contre le narcotrafic, Donald Trump, indirectement, s’adresse encore aux Américains, suivant la logique qui voudrait que la drogue arrive aux Etats-Unis transportée par les migrants d’Amérique latine. Rappelons que sur le plan de la politique intérieure, la lutte contre l’immigration est l’autre grande bataille de Trump, après l’économie.
Son obsession pour le Prix Nobel de la paix transparaît lorsqu’il prétend avoir mis fin à huit conflits internationaux, ce qui est très discutable. La plupart de ces conflits ne sont pas terminés ou alors n’avaient rien d’armés. Par exemple, les tensions entre l’Egypte et l’Ethiopie concernaient un désaccord autour d’un barrage installé sur le Nil.
La publication de la nouvelle Stratégie de sécurité nationale américaine a suscité la consternation en Europe. Ce document programmatique ne mâche pas ses mots pour brosser « le déclin » du vieux continent, évoquant un « effacement civilisationnel ». Aujourd’hui, les Européens peuvent-ils encore considérer les Américains comme des alliés ?
Alliés, c’est beaucoup dire, surtout si l’on sous-entend par ce terme une intervention directe des Etats-Unis à nos côtés, dans l’hypothèse d’une attaque. Aujourd’hui, Donald Trump estime que l’Europe doit dépenser plus d’argent pour sa propre défense avant de demander l’aide des Etats-Unis. Le vice-président J.D. Vance n’avait pas dit autre chose lors du discours moralisateur qu’il a tenu à Munich en avril dernier. Cela dit, l’Union européenne reste importante pour les Américains, ne serait-ce que par les débouchés commerciaux que représente son vaste marché.
La publication mi-décembre, par le magazine Vanity Fair, d’un portrait de Susie Wiles, la directrice de cabinet de Donald Trump, a fait l’effet d’une petite bombe. Personnage plutôt discret mais influent, elle y étrille largement le président américain, dont elle évoque notamment « la personnalité d’alcoolique ». Comment expliquer une telle sortie par un membre du cénacle ?
On ignore dans quelles conditions ces propos ont pu être recueillis, ils sont donc à considérer avec précaution. Leur teneur est d’autant plus étonnante que Susie Wiles est une partisane très dévouée de Donald Trump. Si ses déclarations ne sont pas très favorables au président américain, je note qu’elle s’attaque aussi beaucoup à J.D. Vance, présenté jusqu’à présent comme l’héritier de Donald Trump pour la présidentielle de 2028. Or, il faut avoir à l’esprit que Vance ne sera certainement pas le seul à vouloir prendre le relais. D’autres ont cette ambition chez les Républicains, à l’image de Marco Rubio, dont la nomination comme secrétaire d’Etat a aussi été une manière d’acheter la paix à l’intérieur du parti. »