Après le Royaume-Uni, c’est au tour des Pays-Bas de voir se rassembler des militants d’extrême droite pour protester contre l’immigration. Ils ont été plusieurs centaines à se réunir samedi 20 septembre, sur le Malieveld, un grand espace vert proche de la gare centrale de La Haye, avant que des violences n’éclatent.
Cet épisode s’inscrit dans un essor « des groupuscules violents d’extrême droite », « dans la plupart des pays de l’Union européenne », remarque Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS de Sciences Po Paris.
Une foule qui a tourné à l’émeute
Tout avait commencé dans le calme, autour d’une prise de parole d’Els Rechts (Els « de droite »), vêtue d’une robe aux couleurs du drapeau des Pays-Bas et sous une bannière « Stand up for the Netherlands » (« Debout pour les Pays-Bas »). Cette influenceuse de 26 ans et fervente militante du Parti pour la liberté (PVV), une formation d’extrême droite, avait enjoint sur les réseaux sociaux à manifester contre la politique actuelle du gouvernement néerlandais en matière d’asile.
Mais rapidement, le rassemblement a pris une tournure violente. Des émeutiers, brandissant des drapeaux néerlandais et des drapeaux associés à des groupes identitaires, ont visé la police avec des jets de pierres et de bouteilles, mis le feu à un véhicule de patrouille et bloqué un temps l’autoroute. Le bureau du parti politique de centre gauche D66 a également été vandalisé, et un groupe a essayé de forcer l’entrée du Binnenhof, des bâtiments du Parlement, qui sont néanmoins fermés pour travaux. En réponse, les forces l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène et de canons à eau afin de disperser la foule.
Les condamnations ont fusé de tout bord de l’échiquier politique. Le premier ministre Dick Schoof a fustigé « des images choquantes et bizarres de violence éhontée » et des affronts à la police et au D66 « totalement inacceptables ». De son côté, le chef du parti D66 Rob Jetten a assuré que « nous ne laisserons jamais notre beau pays être confisqué par des émeutiers extrémistes », et de réprimander : « Ne touchez pas aux partis politiques ». Des dénonciations se sont fait entendre jusque dans le camp de l’extrême droite, à l’instar de Geert Wilders, leader du PVV, qui a qualifié d’ « idiots » les manifestants ayant pris à partie les forces de l’ordre. Et Els Rechts de déplorer l’issue de ce rassemblement : « J’ai supposé que les gens venaient manifester pacifiquement, mais malheureusement, pour une raison ou une autre, les choses se sont passées très différemment ».
Un contexte politique néerlandais fragilisé
Ces débordements surviennent à cinq semaines des élections législatives anticipées néerlandaises, prévues le 29 octobre afin d’élire les 150 représentants de la Seconde Chambre des États généraux. A l’origine desquelles, la chute du gouvernement en place après que Geert Wilders, chef de file du PVV, a retiré ses ministres sur fond de désaccords sur la question migratoire début juin. Son parti, qui préconisait l’interdiction des mosquées et la sortie de l’Union européenne, avait créé la surprise aux dernières élections de 2023, en raflant 23 % des voix et 37 sièges. S’il lorgnait le poste de Premier ministre, il avait dû y renoncer, faute de parvenir à former un gouvernement de coalition et c’est Dick Schoof qui avait pris ses fonctions au mois de juillet 2024.
Depuis l’été dernier, le PVV formait une coalition avec le VDD, la formation de droite du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, le mouvement populiste des citoyens fermiers (BBB) et le parti centriste New Social Contract (NSC). Le bloc peinait à s’accorder sur la politique migratoire, que Geert Wilders souhaitait durcir, via l’adoption immédiate d’un plan en dix points pour réduire radicalement l’immigration aux Pays-Bas, comprenant l’arrêt complet de l’asile et la suspension temporaire des regroupements familiaux pour les demandeurs d’asile qui ont obtenu le statut de réfugié. Relevant « aucune signature dans le cadre de nos plans d’asile », le patron du PVV avait alors claqué la porte de la coalition. Dans la foulée, Dick Schoof avait déclaré soumettre la démission de son gouvernement au roi des Pays-Bas Willem-Alexander, comme le veut la tradition néerlandaise.
Une décision vivement critiquée par les dirigeants du VDD, du BBB et du NSC, et dénoncée par certains comme le résultat de calculs électoraux pour celui, « dont l’objectif est de finir Premier ministre », affirme Gilles Ivaldi. Geert Wilders « sait que sa popularité tient à l’immigration, qui porte le vote », et ne pouvait se permettre d’ « être dans le compromis sur la politique migratoire » car « c’était prendre le risque de perdre une partie de son électorat ». Alors, « en jouant la victimisation et en renvoyant la responsabilité sur ses partenaires » de l’échec d’un accord sur la politique migratoire, le leader du PVV adopte « une stratégie plutôt gagnante pour le moment », explique le chercheur.
En effet, les sondages, pour l’heure, placent le PVV en légère avance dans les intentions de vote. Mais dans un pays « très fragmenté », précise-t-il, les élections réservent « toujours des surprises ». Reste notamment à voir si les autres partis de la coalition « seront sanctionnés » par l’électorat, comme « l’espère » Geert Wilders, et si ce dernier s’imposera, aux yeux de ses sympathisants, « comme celui qui a tenu bon », il pourrait alors « en sortir renforcé ».
Un phénomène de « normalisation » de l’extrême droite
Cette manifestation fait écho aux mobilisations très suivies au Royaume-Uni, ayant rassemblé plus de 100 000 personnes le 13 septembre dernier et essuyé plusieurs débordements. Et qui existent aussi « en Hongrie, en Slovaquie, en Pologne, en République tchèque… », énumère Gilles Ivaldi. Avec, comme mot d’ordre commun : la lutte contre l’immigration. L’extrême droite « sous toutes ses formes, a acquis une forme de légitimé dans beaucoup de pays », « au-delà des partis eux-mêmes », analyse le spécialiste. Ce qui donne « un nouvel espace à des idées qui ont longtemps été socialement réprimées », dont se saisit « toute une galaxie de groupuscules » qui, jusqu’ici, « ne pouvait pas aussi facilement aller prendre la rue » et peut à présent « surfer sur cette vague d’extrême droite plus légitimée ». C’est un « modèle qui s’exporte », par « effet de contagion », poursuit-il, évoquant l’influence des États-Unis de Donald Trump.
La question de l’immigration qui « reste le principal enjeu pour l’extrême droite », avance le chercheur, s’inscrit dans « un contexte économique, international et culturel compliqué ». Ce terreau d’ « anxiétés et incertitudes qui ouvrent un boulevard à un certain nombre de partis d’extrême droite » va permettre à ces « groupuscules », qui jouissent également « de toute la nébuleuse qui existe autour des réseaux sociaux », de « continuer à prospérer dans les années à venir ».
Ces « mouvances » sont « des composantes très radicales » de l’extrême droite, et n’ont donc « pas de grand écho dans l’électorat », affirme Gilles Ivaldi, néanmoins, elles « constituent un indicateur de la diffusion et de la propagation de ce type d’idées » et sont « une pierre dans l’édifice de l’extrême droite » portée par « les partis institutionnels » dont « le but ultime » est « de prendre le pouvoir ».
Et si Geert Wilders a condamné les violences qui se sont tenues à La Haye, car « il n’a pas du tout intérêt stratégiquement à être associé à ces mouvances radicales » et « doit paraître le plus respectable », en vue des prochaines élections, ce dernier « a pu aussi être vecteur d’idées très extrémistes », et participer à leur « normalisation » alerte l’universitaire, rappelant les condamnations pour discrimination et insultes du politicien.