Protest in defense of public education in Buenos Aires, Argentina – 23 Apr 2024
The head of a column passes in front of the National Congress. Mobilization of hundreds of thousands of students, teachers and workers in defense of public education to denounce the defunding of Argentina's national universities, which must face the year 2024 with the same budget as in 2023 and an inflation of more than 280%. - Santiago Oroz / SOPA Images//SOPAIMAGES_09350160/Credit:SOPA Images/SIPA/2404240951

Manifestations en Argentine : « Il y a une convergence entre des secteurs qui ne se parlaient pas auparavant »

Lundi, le président argentin Javier Milei a annoncé que son pays avait enregistré le premier excédent public trimestriel (+ 309 millions de dollars ) depuis 2008. Dans le même temps, des centaines de milliers d’Argentins ont manifesté mardi à Buenos Aires et en province contre la politique d'austérité du gouvernement ultralibéral. Maricel Rodriguez Blanco, maître de conférences en sociologie à l’Institut catholique de Paris, analyse pour Public Sénat la situation instable dans laquelle se trouve aujourd’hui l’Argentine.
Steve Jourdin

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Au premier trimestre 2024, l’Argentine a réalisé un excédent budgétaire de 275 milliards de pesos, soit l’équivalent de 300 millions de dollars. Il s’agit selon Javier Milei du « premier excédent public trimestriel depuis 2008 ». La politique du président argentin porte-t-elle ses fruits sur le plan comptable ?

 Derrière cette annonce se cache la plus grave politique d’austérité jamais connue en Argentine ! Les déclarations du président sont problématiques à plusieurs titres. Il continue de nier la réalité sociale de ce pays, la plupart des travailleurs et salariés argentins sont dans une situation financière et économique très problématique. De plus, il refuse de prendre en considération les protestations sociales qui se multiplient dans le pays, et continue de rejeter tout dialogue avec les différents acteurs politiques d’opposition.

 

Des centaines de milliers d’Argentins ont manifesté mardi dans tout le pays « en défense de l’université publique gratuite ». A Buenos Aires, la mobilisation a même rassemblé entre 100 000 et 150 000 personnes. Quelles sont les revendications ?

 Les universités publiques sont mobilisées, car elles manquent de moyens pour fonctionner, pour assurer la logistique et même pour simplement payer les factures d’électricité ! Il y a certes eu des augmentations de budget. Mais l’inflation est tellement importante que cela ne suffit pas. Ce n’est pas seulement un problème au niveau de l’enseignement, les institutions de recherche sont elles aussi touchées. Elles ne peuvent plus fonctionner normalement. Cela a une conséquence très directe : les produits de ces recherches, qui ont une valeur et une utilité sociale indéniables, ne verront jamais le jour, c’est donc toute la société qui est concernée. Par ailleurs, et c’est inédit, les universités privées se mobilisent elles aussi. On n’avait jamais connu ça ! Tout cela est dû à la politique de Javier Milei.

 

Socialement, quels sont les secteurs de la société qui sont le plus touchés par cette politique ?

Toute la société argentine est ébranlée. Les personnels des hôpitaux publics sont affectés par les licenciements et la diminution des budgets. Une bonne partie des employés publics ont été mis à la porte. Les salariés du privé voient eux aussi leur pouvoir d’achat chuter drastiquement, et certaines personnes doivent choisir entre se nourrir et payer leur loyer. La dérégulation des prix de l’immobilier et l’explosion des prix des mutuelles touchent fortement les classes moyennes, qui n’ont plus les moyens de maintenir leur niveau de vie. Même les retraités commencent à payer le prix de cette politique.

 

Pourtant, les sondages indiquent que Javier Milei bénéficie encore d’un soutien non négligeable dans la population. Comment vous l’expliquez ?

 Ceux qui le soutiennent encore aujourd’hui sont ceux qui l’ont fait gagner lors des primaires de l’été dernier. Il l’avait alors emporté grâce à un socle électoral très mobilisé, d’environ 30 % environ. Il s’appuie aujourd’hui sur ce noyau dur, composé surtout de jeunes hommes et de jeunes femmes, convaincus par la volonté de Milei de réformer de manière drastique l’Argentine vers moins d’Etat et plus de marché. Il y a aussi une partie des classes aisées qui sont derrière le président, car ces groupes profitent grandement des mesures de dérégulation qui ont été prises depuis son arrivée au pouvoir.

Néanmoins, ces dernières semaines, on constate une inflexion dans l’opinion publique. Javier Milei a conservé pendant un certain temps une image positive, mais moins longtemps que ses prédécesseurs. Au mois de février, pour la première fois, son image négative a dépassé son image positive. De plus en plus de ses électeurs sont déçus d’avoir voté pour lui. Les classes populaires qui pensaient qu’il allait apporter des solutions nouvelles sont aujourd’hui désabusées. Elles se rendent compte qu’il ne s’attaque pas à « la casta », l’élite politique et économique, comme il l’avait promis lors de sa campagne, mais qu’il la sert au contraire.

 

L’Argentine a une dette de 44 milliards de dollars envers le FMI. Est-ce qu’il faut lire l’action de Javier Milei au prisme des recommandations de l’institution internationale ?

 Ce n’est pas le premier prêt conclu avec le FMI, le pays est habitué à ce genre d’accord. L’Argentine se caractérise par une dette extérieure très importante, ce qui constitue le principale obstacle a son développement. Chaque fois, l’Etat se tourne vers le FMI pour demander de l’aide, et l’institution exige en échange des politiques d’austérité qui passent souvent par une baisse des dépenses sociales. Les principales victimes sont les gens qui ont le plus besoin de l’Etat. En Argentine, on considère que Javier Milei s’inscrit dans cette tradition politique de droite, qui se traduit par la libéralisation de l’économie et l’austérité budgétaire.

Mais le gouvernement de Milei fait surtout partie d’une extrême droite qui a aujourd’hui le vent en poupe partout dans le monde. C’est contre cela que la résistance s’organise en ce moment en Argentine. La mobilisation sociale à laquelle on assiste est très large, elle va bien au-delà du traditionnel combat de classes. Elle se nourrit des luttes de ces dernières années, notamment de celles des femmes et des chômeurs. On est en train de voir naître une convergence entre des secteurs qui ne se parlaient pas auparavant. C’est un mouvement qui peut s’inscrire dans la durée.

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